Juillet / Août 2019
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AGEFI Luxembourg
Economie
Par Julien LAMOTTE, Partner, Deloitte Tax &
Consulting & Guilhem CORNU, Senior
Manager, Deloitte Tax &Consulting
A
u 1
er
janvier 2019, une
nouvelle règle de limita-
tion de déduction des
intérêts est entrée en vigueur.
Si cette règle existait déjà
dans certains Etats membres
de l’Union européenne, elle
constitue une nouveauté au
Luxembourg qu’il faut appré-
hender. Cette nouvelle règle
témoigne de l’évolution
du cadre global de
la fiscalité au
sein duquel la
simple déduction
fiscale d’une char-
ge comptable réelle
tel qu’un intérêt
deviendra désormais
plus complexe.
Bien que cette nouvelle règle soit
applicable à tous les contribuables,
nous nous limiterons dans le cadre de cet
article à l’analyse des impacts pour le secteur
financier. Ce zoom particulier sur le secteur finan-
cier pourrait à première vue paraître étrange puis-
qu’il s’agit d’un secteur qui pourrait àpriori se sen-
tir relativement épargné par cette nouvelle règle-
mentation et ce pour différentes raisons que nous
allons aborder. Néanmoins, nous tenterons d’atti-
rer l’attention sur le fait que les exceptions dont ce
secteur peut se prévaloir peuvent en réalité impac-
ter le taux effectif global de ces acteurs.
Un cadre global pour ces
nouvelles limitations
Au cours des dernières années, nous avons assisté
àunevolonté collectivevisant à rétablir la confian-
ce dans l’équité et l’efficience de l’environnement
fiscal international. L’idée première partait du
constat que les recettes fiscales de certains Etats
n’étaient pas ce qu’elles devraient être et que les
bénéfices réalisés dans un contexte international
n’étaient pas toujours répartis de manière conve-
nable entre les Etats concernés. Cette volonté s’est
notamment traduite par des recommandations
relatives à la lutte contre l’érosion de la base d’im-
position et le transfert de bénéfices («
Base Erosion
and Profit Shifting
- BEPS»), émises sous l’égide de
l’Organisation de coopération et de développe-
ment économiques.
Pour faire échoà ces recommandations et leurdon-
ner un caractère concret, l’Union européenne a
décidé d’adopter la directive (UE) 2016/1164 du
Conseil du 12 juillet 2016 établissant des règles
pourluttercontrelespratiquesd’évasionfiscalequi
ont une incidence directe sur le fonctionnement du
marché intérieur (
Anti-Tax Avoidance Directive
-
«ATAD», la «Directive»). Cette Directive prévoit
l’introduction de dispositions relatives à cinq
grands principes : la limitation de la déductibilité
des intérêts, l’imposition à la sortie, une clause anti-
abus générale, des règles relatives aux sociétés
étrangères contrôlées, ainsi que des règles pour lut-
ter contre les dispositifs hybrides.
ChaqueEtatmembrede l’UEavait pour obligation
de transposer la Directive en droit interne pour le
31 décembre 2018. En tant qu’Etat membre, le
Luxembourg a ainsi transposé la Directive dans
sondroit fiscal aucoursdumoisdedécembre2018.
Les dispositions telles que transposées sont appli-
cables depuis le 1
er
janvier 2019 à l’exception des
règles relatives à l’imposition à la sortie qui sera
quant à elle effective au 1
er
janvier 2020. Il convient
de préciser que certaines dispositions de la
Directive existaient déjàdans la loi luxembourgeoi-
se mais ces dernières ont toutefois été complétées
et/ou ajustées afin de se conformer au mieux à la
Directive.Au travers de cet article, nous souhaitons
nous focaliser sur les principaux tenants et aboutis-
santsde la règlede limitationde ladéductibilitédes
intérêts
(1)
qui vise àdécourager les pratiques consis-
tant à avoir recours à des paiements d’intérêts
considérés comme excessifs alors qualifiés de «sur-
coûts d’emprunts», et ce pour toutes les dettes
qu’une entreprise peut contracter (i.e. au niveau
national, au sein de l’Union européenne ou auprès
d’un pays tiers, qu’elles soient dues à des tiers ou
même relatives à des opérations intragroupes).
De la limitationde la déductibilité
des intérêts en général
De manière générale, la règle de limitation de la
déductibilité des intérêts, du point de vue du légis-
lateur,viseàéviterquedesentreprisesaientrecours
à de l’endettement excessif ayant pour objet de
réduire la charge fiscale du contribuable. Sont par-
ticulièrement visées par cette disposition des tran-
sactions au traversdesquellesuncontribuable situé
dans un Etat disposant d’un niveau d’imposition
moyen voire élevé aurait un niveaud’endettement
lui permettant de transférer du résultat dans un
pays dont le niveau d’imposition est plus faible ou
inexistant, maximisant ainsi une déduction fiscale
sous la forme d’une charge d’intérêt dans un Etat
autauxd’impositionélevéetminorantl’imposition
d’un revenu d’intérêt correspondant dans un Etat
ayant un taux plus faible.
Désormais, les surcoûts d’emprunt, correspondant
au montant du dépassement des coûts d’emprunt
déductibles supportéspar uncontribuablepar rap-
port aux revenus d’intérêts imposables et autres
revenus imposables économiquement équivalents
réalisés par ce contribuable, ne pourront constituer
pour leur totalité à des charges déductibles au titre
de la période d’imposition au cours de laquelle ils
ont été effectivement subis. En effet, leur déductibi-
lité est désormais limitée à hauteur de 30% du
résultat imposable avant intérêts, impôts, déprécia-
tions et amortissements, communément appelé
«EBITDA» du contribuable, avec cependant un
seuil de
minimis
de 3milliond’euros - lemontant le
plus élevé des deux seuils étant à retenir.
Anoterquedanslecasoùuncontribuablemembre
d’un groupe consolidé à des fins de comptabilité
financière, serait en mesure de démontrer que le
ratiodesesfondspropressurletotaldesesactifsest
égal ou supérieur au ratio équivalent dugroupe, ce
dernier pourrait le cas échéant déduire intégrale-
ment ses surcoûts d’emprunt.
L’introductionde cette règledevait enprincipeper-
mettre de garantir que les déductions des surcoûts
d’emprunts supportés par un contribuable sont
proportionnelles et en ligne avec son activité éco-
nomique, concept qui lui-même pourrait faire l’ob-
jet de discussions. Du fait de l’application de cette
limite, le contribuable voit potentiellement sa base
imposable s’élargir et par conséquent cette mesure
pourrait conduire à une augmentation du taux
effectif de certains contribuables.
Lors de la transposition de la Directive par le
Luxembourg, des options prévues par le texte
européen pouvaient être prises s’agissant des
règles encadrant la limitation des dépenses
d’intérêts. Le Luxembourg a finalement décidé
d’introduiredeuxoptionspermisespar laDirective
à savoir :
- L’exclusion des entreprises financières de telle
sorte que la déduction des surcoûts d’emprunts
soit intégralement admise si le contribuable est
une entreprise financière au sens de la Directive;
ainsi que
- La possibilité de calculer les surcoûts d’emprunts
et l’EBITDAau niveau du groupe intégré en addi-
tionnant les résultats de tous ses membres.
De l’impact de la limitationdes
dépenses d’intérêt en cas d’intégration
fiscale des entreprises financières
Si le Luxembourg avait dès l’origine décidé d’in-
troduire l’option laissée par la Directive d’exclure
les entreprises financières (dont la définition com-
prend notamment les établissements de crédits
ainsi que les sociétés d’assurance et de réassuran-
ce
(2)
) ainsi que les entités autonomes du champ
d’application de la limitation des dépenses
d’intérêt, une seconde option relative à la possibi-
lité de déterminer la limite au niveau d’un groupe
dans le cas d’une intégration fiscalen’avait quant à
elle pas été initialement retenue. Pour rappel,
l’intégration fiscaleestunemesurequi permet àun
groupe de sociétés de faire lamasse de ses revenus
afin que l’impôt soit calculé sur une base conso-
lidée et reflète mieux la situation globale du grou-
pe. Cela permet d’aligner la situation fiscale sur la
situation financière d’un groupe et d’anticiper
l’utilisation de pertes commerciales
en son sein sans attendre que
l’entité ayant réalisé une perte
réalise à nouveau du bénéfice
pour utiliser ses pertes.
A titre comparatif, selon une
étude interne menée par
notre firme, la majorité des
Etats ont choisi de transpo-
ser l’option permettant
d’exclure les entreprises
financières du champ d’appli-
cation de la règle de limitation
des intérêts. En revanche, la plu-
part de nos voisins et grands
centres financiers euro-
péens n’ont pas rete-
nu cette option
(par exemple
la France, le
Royaume-Uni
ou l’Allemagne).
Il est intéressant
de noter que la
possibilité d’appli-
quer ces règles non
pas au niveau indi-
viduel d’un contribuable
mais au niveau d’un groupe
d’intégration fiscalea fait l’ob-
jet d’une transposition plus disparate mais que
les grands centre financiers (à savoir l’Allemagne,
la France et le Royaume-Uni) ont tous pris cette
option à l’instar du Luxembourg.
La loi relative au budget de l’Etat pour l’exercice
2019 récemment adoptée, a finalement permis l’in-
troduction de l’option relative à l’intégration fiscale
enmême temps qu’une baissedu tauxd’impôt sur
le revenu des collectivités avec effet rétroactif au 1
er
janvier 2019. Afin de refléter cette option, le
Luxembourgamodifié l’article164bisLIRrelatif au
régime d’intégration fiscale et ses modalités d’ap-
plication. Suite à cette modification, les sociétés
membres d’un groupe fiscal peuvent déterminer
de manière collective leur surcoût d’emprunt ainsi
que leurEBITDAleur permettant dès lorsdedéter-
miner leur limite de déductibilité des dépenses
d’intérêt au niveau du groupe fiscal. Cette mesure
est a priori bénéfique et permet de tenir compte de
lamasse des résultats d’un groupe fiscal intégré (et
donc de maximiser l’EBITDA) afin de calculer la
limite de déduction des intérêts.
Afin d’illustrer l’interaction entre les deux options,
prenons l’exemple simplifié d’un groupe bancaire
ou d’assurance établi au Luxembourg, ce groupe
étant composé de plusieurs sociétés opération-
nelles dont l’entreprise financière est l’entité princi-
pale i.e. l’entité réalisant l’essentiel de l’activité du
groupe et ainsi dotée d’un important EBITDA.
Prenons également l’hypothèse que cet ensemble
de sociétés forme un groupe d’intégration fiscale.
Sur basede cet exemple et des options retenuespar
le Luxembourg, l’EBITDA réalisé par l’entreprise
financière ne pourrait pas être pris en considéra-
tion au niveau de l’intégration fiscale et ainsi aug-
menter la base sur laquelle la limite de déduction
des intérêts est calculée.Al’inverse, lemême grou-
pe de sociétés mais dont les membres seraient
actifs dans d’autres secteurs d’activité pourrait
maximiser le calcul de son EBITDA pour appli-
quer la règlede limitationdes intérêts. Cela revient
en pratique à dire que tout groupe de sociétés
incluant une entreprise financière au Luxembourg
et qui souhaiterait mettre en place une intégration
fiscale serait en réalité potentiellement discriminé
par rapport aux acteurs d’autres secteurs d’activité
enmatière de limitation des intérêts.
Le télescopage des dispositions relatives à l’exclu-
sion des entreprises financières et à la possibilité de
tenir compte de l’intégration fiscale pour l’applica-
tionde la règle de déductiondes intérêts revient en
pratique à limiter l’efficacité fiscale de tout endette-
ment réalisé en dehors de l’entreprise financière.
Pour les contribuables structurés de la sorte, il est
fort probable qu’ils voient ainsi leur base taxable
augmenter alors même que cela n’aurait pas été le
cas si l’exception pour le secteur financier n’avait
pas été prise ou si les règles dans le cadre de l’inté-
gration fiscale permettaient malgré tout de tenir
compte de l’EBITDAd’une entreprise financière.
Enréponseauxavis rendus suiteà la revuedupro-
jet de Loi, notamment par la chambre de commer-
ce et la chambre des salariés, le Gouvernement
s’est engagé à réaliser d’ici une année, un audit de
l’impact concret des décisions prises lors de la
transposition d’ATAD 1 en droit luxembourgeois.
Ainsi, sur base des conclusions de cet audit, il
pourrait être intéressant de s’interroger sur l’intro-
duction d’une plus grande flexibilité quant à l’ap-
plication de la règle en cas d’intégration fiscale. En
effet, les deux options (exclusion du secteur finan-
cier et intégration fiscale) sont indépendantes dans
la Directive et on pourrait examiner l’opportunité
d’éventuellement donner la possibilité aux entre-
prises financières de lever leur exclusion de l’ap-
plicationde la règlededéductiondes intérêts (sous
certaines conditions àdéfinir) cequi permettrait de
limiter certains impacts négatifs des deux options
en question pouvant conduire à une augmenta-
tion du taux effectif d’imposition et ainsi renforcer
la compétitivité du secteur financier luxembour-
geois. Cela est d’autant plus vrai en considérant les
options prises par les autres Etats. Si tel n’était pas
le cas, les groupes financiers en intégration fiscale
devraient dans tous les cas s’interroger d’ores et
déjà sur l’opportunité d’une revue globale de leur
structure de financement afin d’anticiper et de
quantifier l’impact de ces règles sachant que celles-
ci sont déjà en vigueur et auront donc un impact
sur les comptes relatifs à l’année 2019.
1)Introduiteautraversde l’article168bisLIR
2)Ausensdel’article13deladirective2009/13/CE.Parexemple,lescap-
tives de réassurance ne peuvent pas bénéficier de l’exception selon la défi-
nitionde ladirective.
L’apparente simplicité de la règle fiscale de limitation
des dépenses d’intérêt pour le secteur financier
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