AGEFI Luxembourg - mai 2025

AGEFI Luxembourg 32 Mai 2025 Fonds d’investissement ParRenaudBARBIER,ManagingPartner-Osons Unemutation silencieusemais profonde L emonde feutré des family of- fices a longtemps été synonyme de discrétion, de stabilité et de préservation. Structures créées pour gérer et transmettre les patri- moines de grandes familles, leur vocationpremière fut—et reste—la sécurisationd’actifs, la planification successorale et la gouvernance familiale. Pour- tant, en l’espace de quelques an- nées, cemodèle traditionnel montre ses limites. La montée en puissance des nouvelles générations, souventmieuxformées,plusmobilesetplussensibles aux enjeux environnementaux et sociaux, entraîne une redéfinitionprogressivemais radicaledespriori- tés. Le family office ne peut plus se contenter de faire fructifieruncapital:ilestdésormaisattendusursaca- pacitéàdonnerdusens,àincarnerdesvaleursetàins- crire la stratégie patrimoniale dans un projet plus large, souvent intergénérationnel et sociétal. Cette mutation, bien que discrète, s’accompagne d’une transformationde posture : les attentes ne sont plussimplementfinancières,ellesdeviennentexisten- tielles.L’argentn’estplusunefin,maisunmoyend’ac- tion. La richesse devient un vecteur d’influence, une plateformed’engagementetparfois,unoutilderépa- ration sociale ou écologique. Par ailleurs, la montée en puissance des plateformes dedonnées,desoutilsd’analyseprédictiveetdesmo- dèles ESG a offert de nouvelles perspectives aux fa- milyoffices.Lesfamillespeuventdésormaissuivreen tempsréell’impactdeleursinvestissements,mesurer leurempreintecarbone,ouencoreévaluerleurcontri- butionaudéveloppementterritorial.Cettecapacitéde suiviplusgranulaireetplustransparentouvrelavoie àdesarbitragespluscomplexes,maisaussiàdesstra- tégies d’influence plus élaborées.. Le family office face à ses contradictions Cette évolution n’est pas sans créer de tensions. De nombreusesfamillesdoiventcomposeravecdesaspi- rationsdivergentes:entreaînésattachésàlapérennité patrimoniale et jeunes générations désireuses d’im- pact,entregestionprudenteetgoûtpourl’innovation, entre volonté de discrétion et injonction à la transpa- rence.Lesdilemmessontnombreux:faut-ilcéderàla pression des marchés ou s’autoriser des paris à long terme?Peut-onallierperformancefinancièreetcontri- butionsociétale?Etsurtout,commentarbitrercesten- sions sans fracturer l’unité familiale ? Pour certains family offices, ces contradictions se tra- duisent par une véritable remise en question de leur modèleéconomique.Commentconcilierlebesoinde rentabilité avec une prise de risque inhérente à l’in- vestissementd’impact?Commentrépondreauxexi- gences croissantes de transparence sans renoncer à la discrétionqui fait leurADN? D’un point de vue organisationnel, ces tensions peu- vent également générer des fractures internes. Les jeunes générations, souvent plus connectées aux enjeuxenvironnementauxetsociaux,peuventressen- tir une frustration face à des choix d’investisse- ment perçus comme dépassés ou contraires à leurs valeurs. Cette situation peut même conduire à des conflits d’intérêt entre mem- bres de la famille, notamment lorsque des décisions stratégiques majeures sont prises sans concertation.. Vers un family office “élargi” : quatre axes d’évolution Une gouvernance réinventée Lepremierlevierdetransfor- mation réside dans la gouver- nance. Là où le modèle ancien reposait sur quelques décideurs concentrant pouvoir et savoir, les nouveaux family offices tendent à intégrer davantage de parties prenantes. On voit apparaître des comités familiaux élargis, des chartes de valeurs partagées, des mécanismes de re- présentation des jeunes générations. Certains vont jusqu’àadopterdesstructuresprochesdesentreprises à mission, intégrant des administrateurs indépen- dants oudes experts ESGdans leurs conseils. La gouvernance ne se limite plus à la gestion des conflits ou à la succession : elle devient un outil d’in- clusion, de projection et d’harmonisation des ambi- tions. Elle favorise aussi une meilleure articulation entre les enjeuxpatrimoniaux, familiaux et sociétaux, en créant des espaces de dialogue structuré et de dé- cisioncollégiale.L’émergencedefamilycouncils,d’as- semblées annuelles intergénérationnelles ou encore decomitésconsultatifspermetégalementdefluidifier lacommunication,declarifierlesattentesetdeconso- liderlavisionstratégique.Certainsfamilyofficesvont même jusqu’à intégrer des programmes de média- tion, visant à prévenir ou à résoudre les conflits po- tentiels, tout enpréservant la cohésion familiale.. Une allocation d’actifs repensée Historiquementorientéeversl’immobilier,lesactions cotées et les produits de gestion privée, l’allocation d’actifsdesfamilyofficesévoluerapidement.L’impact investing,longtempsperçucommeungadgetouune niche, s’impose comme une tendance de fond. De plusenplusdefamillesallouentunepartsignificative (jusqu’à 10-15%) de leur portefeuille à des fonds thé- matiques, àdesprojets àvocationsocialeouenviron- nementale, voire à des entreprises à gouvernance responsable.Lesvéhiculesd’investissementhybrides, mêlant performance etmission, semultiplient. Ce changement ne concerne pas seulement les actifs eux-mêmes,maisaussilescritèresd’analyseetlesou- tilsutilisés. L’ESGn’est plusunfiltre accessoire : il de- vient un principe structurant, intégré à toutes les décisions d’investissement. L’analyse extra-financière se raffine, combinant indi- cateursquantitatifs,récitsd’impactetengagementac- tionnarial. Des outils digitaux permettent désormais un reporting plus transparent, plus pédagogique, à mêmede nourrir la confiancedes bénéficiaires et des parties prenantes. Cette approche permet également dediversifierlessourcesderevenus:lesfamilyoffices investissent dans des entreprises sociales, des fonds de capital-risque durable ou encore des projets d’in- frastructure verte. Le tout, en cultivant une vision à long terme, parfois à contre-courant des marchés fi- nanciers traditionnels. L’éducation comme levier de transmission Une autre transformation majeure réside dans l’ap- procheéducative.Transmettreunpatrimoinenesuffit plus:ilfauttransmettreunecapacitéàlecomprendre, àlegéreretàenfaireunlevierd’action.Lesnouveaux familyofficesinvestissentmassivementdansdespro- grammesdeformationinterne.Bootcampsfinanciers, séminaires sur l’impact investing, accompagnement à la gouvernance ouà laprisedeparolepubliquede- viennentmonnaie courante. Onvoit également se développer des “next genpro- grams” mêlant mentorat, apprentissage entre pairs et expériences concrètes (visites de start-up, partici- pation à des boards, projets philanthropiques en im- mersion). Cette éducation s’étend parfois à la sphère publique:certainshéritierssontforméspourprendre la parole, devenir des influenceurs ou des ambassa- deursd’unecausechèreàlafamille.Celapermetnon seulement de valoriser le patrimoine familial, mais aussi d’inscrire la famille dans une dynamique d’in- fluence positive. Un rôle sociétal plus affirmé Enfin, la montée en puissance de la responsabilité sociétale redéfinit en profondeur le rôle des family offices. De simples gestionnaires d’actifs, ils devien- nent désormais des catalyseurs d’impact territorial, socialetculturel,s’élevantainsiaurangd’acteursstra- tégiques dans le paysage économique et social. Ce repositionnement se traduit par des engagements plus structurés dans la philanthropie, mais aussi par des partenariats stratégiques avec des écosystèmes locaux tels que des incubateurs, des fonds d’investis- sement à impact, des fondations ou des collectivités. Certains family offices s’impliquent activement dans desprojetsderevitalisationterritoriale,soutiennentla recherche scientifique, ou accompagnent le dévelop- pement d’entreprises sociales et solidaires. Loind’être uniquement financiers, ces engagements s’appuientdeplusenplussurdesstratégiesintégrées, articulant des ressources financières, des compé- tences en gestion de projet, et un réseau d’influence. Cemécénat “élargi” prend souvent la forme de pro- grammes pluriannuels, visant à instaurer des trans- formations structurelles durables, plutôt que de simples dons ponctuels. Par ailleurs, certains family offices adoptent une approche encore plus ambi- tieuse en développant leurs propres “impact funds” ou en lançant des initiatives entrepreneuriales à vo- cationsociale.Cesfondsthématiques,orientésversla santé,l’éducation,oulatransitionécologique,permet- tentnonseulementdegénérerdesrendementsfinan- ciers mais aussi d’inscrire leur action dans une dynamique de changement systémique. Enfin, lemécénat de compétences constitue un levier puissantpourlesfamilyoffices,quipeuventmobiliser leursexpertspouraccompagnerdesprojetsàfortim- pact social ou environnemental. Ces actions, souvent peumédiatisées,contribuentàrenforcerleurlégitimité etleurancragelocaltoutendonnantunenouvelledi- mension à la notiond’héritage. Illustration EnEurope, plusieurs initiatives illustrent cette transi- tion vers un family office plus engagé et plus ancré dans son environnement. EnAllemagne, une grande famille industrielle a créé une fondation dotée de 100M€ dédiée à la transition énergétique locale. Ce fonds soutient des projets d’énergies renouvelables, finance des programmes d’éducationsur le climat et investit dansdes start-ups spécialisées dans le recyclage des déchets industriels. En Suisse, un family office a restructuré son porte- feuille pour atteindre 70%d’actifs alignés sur les Ob- jectifs de Développement Durable (ODD). Au-delà des placements financiers, la famille a égalementmis en place un “board impact” composé d’experts en ESG, chargés d’évaluer et d’optimiser les investisse- ments à impact social. En France, certains family offices s’impliquent dans l’agriculture régénérative, la tech for good ou encore la formationdes jeunes talents issus de quartiers sen- sibles.L’und’euxaparexemplelancéunprogramme de mentorat entrepreneurial visant à soutenir des jeunes entrepreneurs issusde ladiversité, leur offrant àlafoisunaccompagnementfinancieretdesconseils stratégiques. Aux États-Unis, la Blue Haven Initiative, fondée par la famille Pritzker Simmons, est un exemple emblé- matique d’un family office totalement orienté vers l’impact. Tous les actifs sont alloués selondes critères ESG stricts, avec une priorité donnée aux investisse- mentsdanslesénergiespropres,l’inclusionfinancière et le développement d’infrastructures durables. AuMoyen-Orient,plusieursfamillesdepremierplan, historiquementtournéesversl’immobilier,réorientent désormais leurs stratégies vers des projets de déve- loppement durable. Des initiatives de reforestation, des investissements dans des technologies propres et des programmes de formationpour les jeunes entre- preneurs émergent, portés par des family offices en quêtedelégitimitéetdenouveauxrelaisdecroissance. Et demain ? Lefamilyofficededemainnesecontenterapasd’op- timiser des portefeuilles ou de structurer des succes- sions. Il devra évoluer pour devenir un véritable catalyseur de transformation économique, sociale et environnementale, tout en intégrant des outils tech- nologiques de pointe. L’intelligence artificielle, par exemple, pourrait bouleverser les pratiques de sélec- tion d’actifs, d’analyse de risque, voire de gouver- nance. Des plateformes de data analytics permettent déjà demesurer en temps réel l’impact social et envi- ronnemental des investissements, de détecter les si- gnaux faibles de risques émergents ou encore d’anticiper les tendances sectorielles. Par ailleurs, lapression réglementaire s’intensifie. Les family offices devront s’adapter à des exigences de transparence accrues, notamment en matière de re- porting ESG, de lutte contre le blanchiment d’argent ou de conformité fiscale. Ceux qui sauront anticiper ces évolutions en intégrant des solutions de com- pliance automatisées et des tableaux de bord interac- tifs prendront une longueur d’avance. Mais au-delà des outils technologiques, le family office de demain sera avant tout un architecte de l’influence. Il jouera un rôle clé dans la réconciliation des générations, en cultivant une gouvernance inclusive, en donnant la paroleauxjeunesleadersfamiliauxetenintégrantles objectifs d’impact dans la stratégie globale. En fin de compte, sa mission pourrait évoluer : il ne s’agiraplus seulement deprotéger uncapital oude le fairefructifier,maisdecultiveruneinfluenceéclairée, de fédérerdesvisions et d’inscrire lepatrimoinedans une dynamique de progrès collectif. Family Office nouvelle génération : du patrimoine à l’impact Par Daniel LURCH, Lead Portfolio Manager & Jordan MAMBIR, Investment Specialist, J. Safra Sarasin T out comme le 20 e siècle a été défini par le pétrole, le 21 e siècle s’an- nonce comme l’ère des matériaux stratégiques. Lesmétauxetminéraux indispensables audévelop- pement des pays émergent comme des ressources cruciales,alorsquel’économiemondialeentameune transition verte, accompagnée d’une urbanisation rapide, d’une numérisation accélérée et de besoins d’infrastructurescroissants.Avecl’intensificationdes tensions géopolitiques, garantir un approvisionne- ment fiable encesmatériauxest devenuunepriorité pour les gouvernements dumonde entier. Bien que les marchés boursiers aient décliné depuis le début de 2025, sous l’effet des tarifs douaniers imposés par Donald Trump et des représailles qui ont suivi, certains métaux comme le cuivre (+12,6 % par rapport à l’indice MSCI All Country World) et l’argent (+8,4 % par rapport à MSCI ACWI) ont surperformé cette année. Les entreprises engagées dans l’extraction et le trai- tement de cesmatériaux ont égalementmontré une résilience relative (+8,5 % par rapport à MSCI ACWI). Cette décorrélation par rapport aumarché global est un indicateur révélateur de tendances structurelles en cours. Les récents développements géopolitiques et les annonces de grands projets soulignent l’importance croissante desmatériaux stratégiques. LesappelsrépétésdeTrumpàannexerleGroenland et le Canada, les discussions avec l’Ukraine pour conclure un accord sur les ressources naturelles et le récent décret «Libérer l’énergieaméricaine»mettent en lumière la lutte acharnée pour sécuriser ces res- sources. Le fonds d’infrastructure de 500 milliards d’euros de l’Allemagne et l’accord industriel proprede l’UE, qui mobilisera plus de 100 milliards d’euros, ont créé un contexte propice à une demande accrue en matériaux. Aux États-Unis, le projet Stargate, d’un montant de 500milliards dedollars, destiné àfinan- cer l’infrastructure de l’IA, nécessitera davantage de centres de données, augmentant ainsi la demande en cuivre pour les connexions au réseau. Leplan InvestAI de l’UE, évalué à 200milliards d’eu- ros, vise également à développer une infrastructure localepour l’IA, offrant denouvelles opportunitésde croissancepourlesmatériauxstratégiquesetlesentre- prises du secteur. Bien que les matériaux stratégiques aient surper- formé le marché global depuis le début de 2025, il est essentiel de comprendre la nature cyclique des entreprisesminières etmétallurgiques et les risques associés. Si les conflits tarifaires devaient entraîner une récession généralisée, les matériaux straté- giques ne seraient pas épargnés. Cependant, ces matériaux ont historiquement été parmi les pre- miers à rebondir lorsque les tendances du marché redeviennent positives. En outre, un portefeuille géré activement peut offrir l’opportunité d’investir dans des segments plus défensifs de la chaîne de valeur des matériaux stra- tégiques, permettant de mieux gérer les risques en casdedétériorationsignificativede l’environnement macroéconomique. Ainsi, notre solution d’actions ciblée, JSS Sustainable Equity – Strategic Materials, alloue de manière dynamique à travers l’ensemble de la chaîne de valeur des matériaux stratégiques, des producteurs en amont et des recycleurs aux uti- lisateursenavaletauxfabricantsdematériauxavan- cés, améliorant la capacité à naviguer à travers les cycles économiques. Par exemple, les services publics qui construisent et exploitent des réseaux électriques – nécessitant des quantités importantes de cuivre – bénéficient de contrats à long terme qui protègent leurs revenus en périodederalentissement,toutenleurpermettantde répercuter l’inflationdes coûts sur leurs clients. En résumé, les matériaux stratégiques représentent une combinaison unique de potentiel de diversifica- tion et de moteurs de croissance structurelle solides. De plus, les entreprises de cette chaîne de valeur se distinguent dans le contexte économique actuel, offrantuneprotectioncontrel’inflationetsenégociant àdesmultiples inférieurs par rapport aumarchéglo- bal,dontlesratioscours/bénéficesrestentencoresupé- rieurs aux moyennes historiques – un argument convaincant pour les investisseurs. Matériaux stratégiques : le pétrole du 21 e siècle © iStock

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