Agefi Luxembourg - novembre 2025

AGEFI Luxembourg 14 Novembre 2025 Économie A u Luxembourg comme ailleurs, l’innovation est devenue l’éten- dard d’une économie en transi- tion. Le pays affirme son ambition de devenir un hub technologique euro- péen, attire talents et capitaux, et sou- tient activement les jeunes entreprises par des disposi- tifs d’accompagnement, des fonds publics, des incuba- teurs. Et pourtant, un para- doxe demeure : les startups luxembourgeoises, pour- tant naturellement inno- vantes, restent largement à l’écart du régime fiscal relatif aux actifs de pro- priété intellectuelle (plus communément appelé « IP Box »). Prévu à l’article 50ter de la loi sur l’impôt sur le re- venu (LIR), ce dispositif vise à favoriser la valorisa- tion des actifs de propriété intellectuelle issus d’activités de recherche et développement. Sur le papier, tout semble aligné : unpays pro-innovation, un régime fiscal compétitif, et une génération d’en- trepreneurs tournés vers la technologie. Mais dans la réalité, les choses sont plus complexes. Car ce ré- gime, pensé pour l’innovation, n’est aujourd’hui ni utilisé ni utilisable par celles qui l’incarnent le plus directement : les start-ups. Un régime conçu pour l’innovation… rentable Le régime IP Box luxembourgeois est conforme aux exigences internationales, notamment celles du « nexus modifié » de l’OCDE. Il permet une exonération de 80 % des revenus nets issus d’ac- tifs de propriété intellectuelle qualifiés – comme les brevets ou les logiciels protégés – développés en tout ou en partie au Luxembourg. Le taux ef- fectif d’imposition peut alors descendre dans le meilleur des cas à environ 5 %, un avantage signi- ficatif à l’échelle européenne. Mais cette carotte fiscale repose sur un postulat implicite : celui d’une entreprise déjà profitable, qui dégage des revenus nets d’exploitation liés à des actifs immatériels formellement protégés. C’est ici que le régime se heurte à la réalité du monde des start-ups. Les startups : innovantes, mais rarement bénéficiaires La quasi-totalité des jeunes entreprises innovantes traversent, durant leurs premières années, une phase prolongée de développement sans rentabi- lité. Elles investissent dans laR&D, testent leurmo- dèle, lèvent des fonds, ajustent leur produit. Le bénéfice net n’est pas leur priorité – et il n’est d’ail- leurs pas attendu par leurs investisseurs. Dès lors, un régime fiscal qui ne crée un avantage qu’en pré- sence de revenu imposable ne peut produire aucun effet immédiat. Ce décalage est aggravé par la complexité tech- nique de l’article 50ter. Le mécanisme suppose de pouvoir isoler, tracer, documenter les dépenses de R&D, de démontrer le lien économique entre l’acti- vité menée au Luxembourg et l’actif IP exploité, et d’exclure toute sous-traitance non qualifiée. Or, les startups n’ont souvent ni le temps, ni les ressources internes pour mettre en place une telle ingénierie fiscale. Elles font le choix pragmatique de ne pas y toucher, considérant – parfois à juste titre – que le jeu n’en vaut pas l’effort à leur stade. Unmanque de sécurité juridique dissuasif Contrairement àd’autres dispositifs fiscauxplus ré- cents, comme la bonification d’impôt pour inves- tissement (article 152bis LIR) ou la déduction pour investissements durables (article 32bis LIR), le ré- gime IP Box ne prévoit ni attestation préalable, ni rescrit fiscal simplifié. Les entreprises qui s’y aven- turent doivent interpréter seules les critères d’éligi- bilité, avec le risque d’un redressement ultérieur. Pour des start-ups qui cherchent avant tout à maî- triser leurs risques, cette incertitude juridique agit comme un repoussoir. Une occasionmanquée pour l’écosystème luxembourgeois Cedésintérêt des start-ups pour l’IPBox est d’autant plus regrettable que le Luxembourg dispose d’un écosystème en pleine expansion. La croissance du secteur FinTech, lavitalitédes incubateurs pu- blics comme laHouse of Startups ou leTech- noport, lamultiplicationdes levéesde fonds dans le numérique sont autant d’indica- teurs que l’innovation est bien présente – mais peu récompensée fiscalement. En négligeant de rendre le régime IP Box accessible aux jeunes pousses, le pays se prive d’un levier de fi- délisation puissant. Un régime mieux adapté pourrait inciter davantage de start-ups à dépo- ser leurs droits de propriété in- tellectuelle au Luxembourg, à structurerleurdéveloppement sur le territoire, et àenvisager le Grand-Duché comme une base à long terme. Quelles pistes pour une réforme plus inclusive ? Le chemin vers la rentabilité est long, parfois très long, et souvent semé de pertes fiscales. Celles-ci, bien qu’utiles pour lisser l’impôt futur, ont pour effet de repousser encore l’entrée envigueur de tout avantage fiscal réel. Le régime IP Box devient alors unepromesse abstraite, quelque chosed’envisagea- ble “un jour”, mais inutile au moment où l’entre- prise en aurait le plus besoin. Alors, inversons la logique ! Pourquoi ne pas imaginer un régime qui reconnaît la valeur de l’innovationdès sa création, et nonuni- quement à travers les revenus qu’elle génère ? Un régime qui ne se limiterait pas au report sur les éventuels profits futurs des pertes fiscales générées par les investissements en recherche et développe- ment effectués par les start-ups. C’est dans cet esprit qu’émerge l’idée d’un crédit d’impôt recherche uti- lisablepar les start-ups commepar n’importe quelle autre entreprise luxembourgeoise. Non pas une subvention. Nonpas une niche fiscale.Mais unmé- canisme ciblé, encadré, activablemême sans impôt dû, destiné à récompenser les dépenses deR&Den- gagées pour créer des actifs immatériels de valeur pour l’économie du pays. Ce crédit d’impôt recherche pourrait notamment s’inscrire dans lamême lignée que le crédit d’impôt start-up proposé dans le projet de loi 8526 présenté en commission parlementaire le 20mai 2025, ayant pour objectif d’inciter les personnes privées à inves- tir dans une start-up et devenir business angel tout en réalisant une économie d’impôt. Ce crédit d’impôt recherchepourrait être reportable pendant dix ans, permettant à l’entreprise d’en bé- néficier plus tard si elle devient bénéficiaire. Et, s’il demeure inutilisé, il pourrait être remboursé à par- tir de la quatrième année suivant sonoctroi. Pas im- médiatement, pour ne pas déséquilibrer le budget public.Mais pas trop tardnonplus, pour que l’effet ne soit pas perdu dans les limbes du cycle fiscal. Ce remboursement différé serait la reconnaissance d’un engagement, d’un investissement dans le sa- voir, dans la technologie, dans la propriété intellec- tuelle locale. Une façon de dire : « Nous croyons à ce que vous construisez. Même si les fruits ne sont pas encore là. »De plus, un tel crédit d’impôt existe déjà chez nombre de nos voisins européens comme en France, en Belgique ou enAllemagne. Techniquement, ce crédit pourrait s’appliquer àune fraction des dépenses de R&D qualifiées, dans un cadre limité, vérifiable. Pas besoind’unappareil ad- ministratif complexe. Il suffirait d’une attestation simplifiée, confirmant que le projet concerne bien un actif IP potentiel au sens de l’article 50ter. Cette validation en amont apporterait la sécurité juri- dique nécessaire et éviterait les dérives ainsi que le contentieuxfiscal qui est très fréquent dans le cadre de l’application de l’IP Box actuel. Mieux encore, elle préparerait la transition vers le régime IP Box classique, qui serait alors pérennisé, lorsque l’entre- prise franchira le cap de la profitabilité. Et pour ne pas créer de double avantage fiscal, les dépenses ayant donné lieu au crédit d’impôt re- cherche pourraient donner lieu à un ajustement du calcul du nexus ratio. Une règle simple, compré- hensible, qui garantit l’équité du système sans le rendre illisible. Redonner à la fiscalité un rôle de levier, pas de frein Le Luxembourg a les moyens – et l’ambition – de devenir une terre d’innovation. Les compétences sont là. Les structures d’accompagnement sont là. Les investisseurs aussi. Il manque, parfois, l’outil fiscal qui correspond à la temporalité de l’innovation. En créant un crédit d’impôt recherche start-ups, on remet la fiscalité au service dudéveloppement, pas seulement de l’optimisation. On donne aux jeunes entreprises un signal clair : votre propriété intellec- tuelle ade la valeur,même si elle ne produit pas en- core de chiffre d’affaires. Et surtout, on bâtit une continuité entre l’investissement en R&D et sa va- lorisation, entre l’idée et la rentabilité, entre le risque pris aujourd’hui et la confiance fiscale de demain. Henri PRIJOT, Partner Tax, Commerce & Industrie Marie-Sara PAGES, Senior Manager Tax, Commerce & Industrie KPMG Luxembourg Start-ups et IPBox au Luxembourg : un rendez-vous manqué avec l’innovation ? L eministre des Finances, Gilles Roth, a effectué une missionde travail auCanada du 18 au 22 octobre 2025, avec des étapes àMontréal, Ottawa et To- ronto, aux côtés de Luxembourg for Finance (LFF). Cettemission visait à approfondir les liens entre les deux pays dans le domaine des ser- vices financiers, à soutenir les échanges d’investissements trans- frontaliers et à promouvoir la coo- pération enmatière d’innovation, de finance durable et de dévelop- pement de talents. Gilles Roth déclare : «Cettemission s’est inscrite dans le contexte de la présidence canadienneduG7 en2025, une opportu- nité stratégique pour le Canada de ren- forcer son rôle sur la scène internationale et de promouvoir des partenariats éco- nomiques avec des pays comme le Luxembourg. » Rencontres avec les autorités canadiennes ÀMontréal, leministre a eu un entretien bilatéral avecÉricGirard,ministredesFi- nances du Québec, pour échanger sur la conjoncture, la compétitivité et les pers- pectives de collaboration entre écosys- tèmes financiers. Le fait que le centre fi- nancier luxembourgeois allie une maîtrise élevée de l’anglais à une parfaite aisanceenfrançaisconstitueunatoutma- jeur pour le renforcement des liens éco- nomiques avec le Québec. ÀOttawa,leministreGillesRotharencon- tré François Philippe Champagne, minis- tredesFinancesetduRevenunationaldu Canada, qui préside actuellement les réu- nions des ministres des Finances du G7, afin d’évoquer les priorités économiques etgéopolitiques,l’intégrationdesmarchés de capitaux et les opportunités d’investis- semententreleLuxembourgetleCanada. Lesdeuxministresontconvenuderenfor- cerlesrelationsbilatéralesdansledomaine des services financiers, compte tenu du potentielencorelargementinexploité,àun momentoùlesdeuxpaysdoiventinvestir de manière significative dans des do- maines stratégiques tels que la cybersécu- rité, la défense et la transitionverte. Talents et éducation financière : intervention à l’UniversitéMcGill Au cœur du programme figurait une séance de travail avec l’UniversitéMcGill etuneinterventionduministredevantdes étudiants de la Desautels Faculty of Ma- nagementàMontréal,consacréeàlacom- pétitivitéeuropéenne,àl’innovationetaux carrières financières de demain. Cesdiscussionsontmis l’accent sur ledé- veloppementdescompétencesetlesliens universitaires avec le nouveau pro- grammedemasterdeMcGill auLuxem- bourg, qui constituera la première implantation et le premier programme de l’UniversitéMcGill en Europe. Échanges avec le secteur financier Tout au long de la mission, le ministre a rencontré, àMontréal et àToronto, les di- rigeants de plusieurs institutions finan- cières canadiennes. Leséchanges,placéssouslesigneduren- forcement des relations économiques et financières entre l’Europe et le Canada, ont porté sur les fluxd’investissement bi- latéraux, la présence de ces acteurs sur la place financière luxembourgeoise ainsi que sur les perspectives de développe- ment futur, notamment dans les do- maines des marchés de capitaux, des fonds d’investissement, des actifs privés ou encore des technologies financières. Leministre a également visité lanouvelle ambassade du Luxembourg. Cette visite intervient l’année du 80 e anniversaire des relations diplomatiques entre le Luxem- bourg et le Canada. « Cette mission au Canada a été placée sous le signedupartenariat et dupartage de valeurs communes telles que lemulti- linguisme,lepragmatismeetl’innovation. LeCanada se tourne de plus enplus vers l’Europepourdiversifiersonéconomie,et le Luxembourg, avec sa place financière internationale,peutserviràlafoisdepas- serelleversl’Unioneuropéenneetdepla- teforme pour accéder aux investisseurs européens. Une véritable dynamique s’installe aujourd’hui pour approfondir les relations économiques entre nos deux pays,etleLuxembourgestprêtàycontri- buer pleinement. Ensemble, nous pou- vons intensifier notre coopération, stimulerlesinvestissements,créerdesem- ploisqualifiésetrenforcerlacompétitivité denoséconomies.Jetiensàremerciernos hôtes canadiens pour leur accueil chaleu- reux et la qualité de nos échanges, ainsi quel’UniversitéMcGillpoursonengage- mentenfaveurdelaformationdestalents de demain », a déclaréGilles Roth. Source : ministère des Finances « Le Canada se tourne de plus en plus vers l’Europe pour diversifier son économie » ©MFIN

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