AGEFI Luxembourg - avril 2024

Avril 2024 11 AGEFI Luxembourg Fiscalité / Economie Par Olivier COULON, avocat fiscaliste, SIMON Law S.à r.l. L aCour de justice de l’Union euro- péenne a récemment pu rappeler que le droit à déduction est un principe fondamental du système com- munde laTVA, censurant par là certaines règles dudroit italien et leurmise enœuvre par l’administra- tion locale. Les enseigne- ments de cette décision, qui n’a riende surprenant, ne doivent pourtant pas être circonscrits à la seule pra- tique de l’administration fis- cale italienne : ils sont, au contraire, tout à fait pertinents pour les assujettis luxembourgeois. L’affaire Afindeluttercontrelafraudeetlaconstitutiondeso- ciétés-écrans exerçant formellement, mais non réelle- ment, des activités leur octroyant des avantages fiscaux,laloiitalienneprévoitdesseuilsdechiffred’af- fairesen-deçàdesquelslesassujettissontréputésnon- opérationnelssurbased’uneprésomptionréfragable, perdant par là leur qualité d’assujetti à la TVA et, à terme, leur droit à déduction. Dans cette affaire, l’as- sujetti –une société italiennepoursuivant uneactivité de production et de vente de vin – fut ainsi considéré parl’administrationfiscaleitaliennecomme«nonopé- rationnel»,àdéfautd’avoirdéclaréunchiffred’affaires dépassant les seuilsfixés par ledroit italienà cet effet. En conséquence, l’administration italienne refusa à la sociétéledroitdedéduirelaTVAencourueenamont sur les biens et services qu’elle avait acquis. Saisie d’un recours, laCour de cassation a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité des règles ita- liennes avec la Directive TVA 2006/112/CE, et en particulier sur la possibilité de priver un contribua- ble de sa qualité d’assujetti et de son droit à déduc- tion sur des critères tenant au montant du chiffre d’affaires du contribuable. Ses enseignements LaCour de justice rappelled’abordque lanotiond’«assujetti» sedéfinit comme « quiconque exerce, d’une façon indépen- dante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité », alors que le concept «d’activité économique»englobe « touteslesactivitésdeproducteur,decommer- çant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricolesetcellesdesprofessions libéralesouassimilées, [ycom- pris] l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en retirer des recettes ayant un caractèredepermanence »etpré- senteuncaractèreobjectif : c’est l’activitéquidoitêtreanalysée,in- dépendamment de ses buts ou de ses résultats. Si la notion d’activité économique revêt un caractère objectif, exit alors la possibilité de retirer la qualité d’assujetti à un contri- buable du simple fait d’un chiffre d’affaires jugé in- suffisant, fût-ce aux yeuxdu législateur local. Quantaudroitàdéduction,lajuridictioneuropéenne rappelle que son exercice ne requiert que la réunion de deux conditions : la qualité d’assujetti d’une part, etl’utilisationdesbiensetservicesacquis(auprèsd’un autre assujetti) pour les besoins d’une activité en aval ouvrant droit à déduction.A l’inverse, rien ne subor- donne l’exercice du droit à déduction à une exigence tenant à ceque lemontant desopérations réalisées en avalsurunepériodedonnéedépasseunseuilprééta- bli. Ici aussi, le résultat des activités économiques poursuiviesparl’assujettin’estdoncenrienpertinent. Conscientedel’objectifpoursuiviparlalégislationita- lienne, la Cour de justice reconnaît que la Directive TVA autorise expressément les Etats membres à adopter des mesures visant à combattre de tels phé- nomènes.Toutefoislesditesmesuresdoiventêtrepro- portionnelles et ne sauraient surtout porter atteinte aux objectifs de la Directive TVA, parmi lesquels se trouveleprincipedeneutralité.Enparticulier,l’adop- tion en droit national d’une présomption au titre de laquelleunassujettiestréputé«non-opérationnel»du fait d’un chiffre d’affaires insuffisant, cette circons- tance emportant l’impossibilité pour celui-ci de dé- duirelaTVA,vaau-delàdecequiestnécessairepour atteindre l’objectif consistant à prévenir la fraude et les abus. Plus encore, la fraudeou l’abusdoivent être prouvés par des éléments objectifs, dont la démons- trationne saurait reposer sur uneprésomptionmais doit, au contraire, résulter des circonstances maté- rielles qu’il appartient à l’administration de démon- trer.Cettedémonstrationnesauraittoutefoissebaser sur un critère tiré d’un chiffre d’affaires insuffisant, cet élément n’étant pas pertinent dans l’analyse du droit à déduction. La Cour de justice recale donc le législateur italien, concluantquetantlaDirectiveTVAquelesprincipes deproportionnalité et deneutralité s’opposent àune législation nationale en vertu de laquelle l’assujetti est privé du droit à déduction de la TVA acquittée enamont, en raisondumontant des opérations sou- mises à la TVA réalisées par cet assujetti en aval, considéré comme étant insuffisant. Et son impact auLuxembourg Si la décision de la Cour de justice n’est pas surpre- nante, elle n’en reste pas moins pertinente pour les contribuables et praticiens luxembourgeois. Nom- breux sont eneffet les assujettis qui se sont vu– sinon sevoientencore–refuserl’exercicedeleuràdéduction du fait d’un chiffre d’affaires jugé trop limité par rap- port auxmontants de charges encourues. Iln’estcertespasloinletempsoùl’Administrationde l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA (l’ AEDT )faisaitplaiderdevantlesjuridictionsluxem- bourgeoisesqueladisproportionentrelaTVAdécais- séepar uncontribuable enamont et laTVAencaissée en aval par celui-ci devait venir en support d’une li- mitationdudroitàdéduction (1) ,voireétaitconstitutive d’un abus de droit (2) . De nombreux contribuables voyaient sur cette base leur droit à déduction refusé, sinonlimitéàconcurrencedelaTVAfacturéeenaval. Pourtant,lescirconstancessontnombreusesdansles- quellesunassujettiencourtdemanièretemporaireun montant de charges supérieur à celui de son chiffre d’affaires.Ainsi en va-t-il naturellement des start-ups dansleurspremièresannéesdevie,oudescontribua- bles évoluant dans un environnement nécessitant de lourds investissements ne générant des revenus qu’après plusieurs années (par exemple les secteurs pharmaceutique et de l’immobilier). Cette approche n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle retenue jusqu’il y a peu par l’AEDT à propos des gratuités de loyers, quijustifiaientselonelleledéclenchementdel’obliga- tion de régularisation de la TVApar les propriétaires d’immeubles ainsi donnés en location – une concep- tion elle aussi rejetée tant par la Cour de justice que par la jurisprudence locale. Ainsi, s’il est légitime pour l’AEDT de contrôler les assujettis, a priori sur base de critères et d’analyses d’opportunités qu’il lui appartient d’établir, il l’est tout autant de voir les assujettis déduire leur TVA dès lors que les deux conditions rappelées par la Cour de justice sont réunies. Pourtant, nombreux d’entre eux se voient opposer un refus de droit à dé- duction de la part l’AEDT, à défaut de chiffre d’af- fairespourunepériodedonnéeoudufaitd’uneTVA déduiteenamontpourdesmontantsjugésexcessifs; souvent, l’AEDT prendra appui sur un manque de preuves matérielles du caractère «préparatoire» de ces charges considérées comme excessives. Il faut alors rappeler l’importance cruciale pour les contribuablesde seménagerdespreuvesdu lienob- jectif qui existe entre leurs charges et l’exerciced’une activité leur ouvrant le droit à déduction de la TVA (par exemple sur base de contrats, d’échanges de courriels, de résolutions etc.) – un exercice qui sera idéalementmenéenamont,dèsledébutdesactivités et non sur requête de l’AEDT. De lamêmemanière, lesassujettisdevrontporteruneattentionparticulière aux méthodes choisies pour le calcul de leur droit à déduction. L’assistanced’unconseillerpeut ici s’avé- rerutile, que cela soit auxprémicesde l’activité, dans le cadre d’un audit fictif ou, le cas échéant, dès le début du contrôle TVA. Ainsi, si la Cour de justice leur donne a priori raison, les assujettis déduisant un montant de TVA supé- rieur à celui facturé en aval doivent toutefois rester attentifs à leur capacité à rencontrer la charge de la preuve que ne manquera pas de leur imposer l’AEDT, et aux choix posés pour le calcul de leur droit à déduction. Un exercice dans lequel il vaudra toujoursmieux prévenir que guérir ! 1)Trib.arr.,15mai2019,n°151697durôle. 2)Trib.arr.,13juin2018,n°151697durôle;voy.égal.Courd’appel,13 janvier2021,n°CAL-2019-01038durôle. Le droit à déduction de la TVAne dépend pas du montant du chiffre d’affaires O*UEOFS" NQPMFWFE FSBDSVP: FUVUJUT IJXUOF SF U ƭ M UJ % ʷʸƭʾʸ ʼʷƭʺʹ XB-ZOBQNP$ ʽʷƭʼʷ ʼʷƭʼʸ THOJUFFNESBPC OBHSPGPUSBFI5 4(/*/*"35 "E 45*$6 G TMBJUOFTT&FI5 OJLBUFUVOJNEOB HOJUBUJMJDBGHOJTJ 4/0*44& '* H HJMCPFDOBJMQNPD BMVNJT5:$:, , OJDOBOJGNTJSPSSFU OVBMZFOPNJUO" 3"&-& TOPJUB -."SVPZUFF.SPU H SFUOVPDEOBHOJSFE 4(/*/ TOPJUVMPTMBUJHJ% TOPJTTFTEFTJNPUTV$ TFNNBSHPSQOFQ0 ʷʸƭʸʷ TEOV' VEPSUO*MBSFOF( ʽʷƭʷʸ %SPGZEBFSUF( ʽʷʼʷ HSVPCNFYV-OJ TFVSZSBTPQF FNUTFWO*PUOPJUD OFNFMQN*T"30 OB SP UO OPJUBU T FUVUJUTOJNPDUEOFSB OPSFUTJF3 H TJOHPDFSPUXP) FTVCBUFLSBNF L es représentants de laCour des Comptes constatent une absence de mesures d’économies budgétaires dans le projet de budget 2024.Aucune documenta- tionne quantifie cesmesures, c'est ce qu'ont constaté les représentants de laCour des Comptes face auxmembres de laCommis- siondes Finances. Dans les cadres des travaux sur le projet de budget pour l’année 2024, les représentants de la Cour des Comptes ont présenté leur avis, le vendredi 29mars, aux membres de la Commission des Finances. Elle constate qu’à ce stade, les mesures d’économies budgétaires annoncées par leministreGillesRothne sont pas documentées. Ainsi,laCourestimequ’ilseraitutile,àl’instardupa- quet pour l’avenir lancé en2014qui avait commeob- jectif d’assainir les finances publiques, de dresser un catalogue exhaustif des mesures d’économie détail- lant quels départementsministériels, quelles admin- istrationsetquelspostesbudgétairesserontimpactés, mais également quel sera le montant des sommes épargnées. Interrogés par plusieurs députés de l’op- position, les représentants de la Cour des Comptes ont confirmé l’absence de mesures d’économies clairement identifiées et chiffrées. Ils ont noté qu’au- cundocumentbudgétairenefournissaitdedétailsur les économies annoncées par leministreGilles Roth. Lesdéputésdel’oppositionontrenchérienaffirmant que ce constat confirme ce qu’ils ont observé lors des présentations des différents volets duprojet de bud- getencommissionparlementaire.Ilsontsoulignéque les différents ministres étaient incapables de fournir unelistechiffréedesmesuresd’économiesdansleurs domaines respectifs. Dette publique : la crise climatique aura un impact sur les finances publiques Dans son avis, laCour des Comptes a également ef- fectuéuneanalysedétailléede l’évolutionde ladette publique sur la période 2007-2027. LaCour constate que ladettepubliquea fortement augmenté en2008, lors de la crise financière, ainsi qu’en 2020, lors de la crise liée à la Covid-19. La Cour des Comptes sug- gère auGouvernement de se doter d’une stratégie à moyen et long terme afin de faire diminuer la dette publique. La Cour des Comptes estime que la crise climatique sera laprochaine crisequi auraun impact financier considérable sur nos finances publiques. Dans sonavis, laCour desComptes constate encore que lesmesuresde stabilisationde l’économieprises lors des réunions tripartites de l’«Energiedësch» ainsi que lesmesures prises dans le cadre de la crise du logement, devraient de nouveau peser consid- érablement sur les finances publiques des prochaines années. L’avis de la Cour est téléchargeable sur Internet sous l’adresse : www.cour-des-comptes.lu Source : Chambre des Députés Une « absence de mesures d’économies » dans le projet de budget 2024

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