Agefi Luxembourg - novembre 2025
AGEFI Luxembourg 6 Novembre 2025 Économie Par Carlo THELEN, directeur de la Chambre de Commerce * L e 8 octobre, enprésentant le projet de budget 2026 devant les députés, le ministre des Finances amultiplié les références aumodèle social luxembourgeois, au vivre ensemble, aux politiques de soli- darité…Il souligne à juste titre que croissance et cohésion sociale vont de pair.Mais si la cohé- sion sociale est un objectif extrêmement noble, elle ne se décrète pas par unbudget. Elle se construit, pierre après pierre, sur les fondations d’une écono- mie solide, compétitive et créatrice de valeur. Le budget n’est alors qu’un levier pour y parvenir—un levier qui, pour agir, a besoinde la forcemotrice qu’est la croissance. Et c’est bien là que le bât blesse. Unpays enpanne de croissance Au moment du vote du budget 2025, on anticipait encoreunecroissancede2,7%pour2025.Onsaitdés- ormaisqu’ellenedépasserapas1%cetteannéeet2% l’annéeprochaine.Ceciaprèslarécessionde2023etla médiocre progressionduPIBde 0,4%enregistrée en 2024. Des résultats très éloignés de la moyenne des vingt dernières années, qui s’établit à +2,9%. La légère reprise anticipée pour 2026 est par ailleurs extrêmement incertaine et fragile. D’abord parce que le contexte géopolitique et financier est porteur de risques et d’une volatilité élevée. Ensuite parce que lesindicateursnationauxnesontpasbons.Confiance, activité, rentabilité : les agents économiques se mon- trent toujoursméfiants.Quant à l’emploi, il progresse faiblement,maisilestportéessentiellementparlesec- teur public. Ce budget 2026 porte évidemment les tracesdecettepannedecroissance.Àpremièrevue,il coche les bonnes cases. Ledéficit public serait limité à –0,4%duPIB, soit 408millions d’euros (en améliora- tionde298millionsd’euros), avecunedettepublique maîtrisée à 27%duPIB. Sur le papier donc, tout va bien. Mais derrière ces équilibresrassurants,ladynamiqueestpréoccupante. Car l’an dernier, alors qu’il anticipait une croissance supérieure, le Gouvernement avait tracé une trajec- toirebudgétairevertueuse,quiaboutissaitàuneinver- siondel’effet-ciseau,avecdesrecettesquiaugmentent plusvitequelesdépenses,etàuneréduc- tionprogressivedudéficitpublic.Lanou- velle trajectoire est beaucoup moins ras- surante. Certes, l’augmentation des recettes devrait être plus forte que l’aug- mentation des dépenses en 2026 pour les administrations publiques, mais l’effet ciseauseraànouveaunégatifdès2027,pour aboutir en fin de programmation plurian- nuelle, en 2029, à un déficit public supé- rieur à 1%du PIB. Si les conditions économiquesdevaient sedégra- der légèrement (une croissance annuelle d’un demi-point infé- rieure à la prévision), le déficit pourraitmêmeplonger à -2,6%et la dette atteindre 30,5%duPIB. Deux points de vigilance Cettesituationbudgétairenécessiteunevigilancepar- ticulière à deux égards. Premier point : il faut intégrer le fait que nos recettes sontengrandepartievolatilesetdépendantesdesfac- teurs externes. Cela donne parfois de bonnes sur- prises, comme ce fut le cas en2024, avecuneprogres- sion de 24%du produit de l’impôt sur le revenu des collectivités (liée, apprend-ondans ladocumentation budgétaire, à l’imposition d’un contribuable ayant réalisé des bénéfices exceptionnellement élevés en 2022.Laprogressiondesrecettesparrapportaumon- tant budgété a même été de 29,4 % des recettes au niveaude l’impôt retenusur les revenusdes capitaux quel’ondoitàunseulcontribuablequiareprésentéà lui seul 30 % du total de la recette. Citons aussi les accisessurletabac(enforteprogression)ousurlecar- burant (qui, elles, ont entamé leur chute), destinées à diminuer dans un avenir plus oumoins proche. Le deuxième point devrait nous préoccuper encore davantage. Il concerne l’évolution de nos dépenses publiques. Selon le budget présenté, les dépenses publiques atteindront 48,3 % du PIB en 2026. Du jamais vu, même en 2020, année où l’Etat a large- ment soutenu l’activité économique face au Covid. En 2000, elles ne représentaient que 38%du PIB, en 2010, 42%, en2019, 43%. Enunquart de siècle, l’État s’est invité dans notre économie à hauteur de 10 points de PIB supplémentaires ! L’inquiétante rigidité des dépenses Le Luxembourg n’est pas surendetté, mais il est englué dans la rigidité budgétaire. Près de la moitié des dépenses sont aujourd’hui incompressibles : rémunérations, transferts sociaux, pensions, subven- tions.Rienqu’enrémunérationdessalariésdesadmi- nistrationspubliques,11milliardsd’eurosserontenga- gés en 2026. Cela représente 11,6%du PIB, alors que ce poste budgétaire était encore contenu à 9,2 % du PIB en 2016, dix ans avant. Pendant que la croissance réelle plafonne à peine au-dessus de zéro, la masse salariale publique, elle, grimpe à plein régime. Rien que pour la fonctionpublique d’État, le nombre d’équivalent temps-plein est passé de 24.289 en 2016 à 34.445 en 2024, soit une progression de 42 %. Dans le même temps, la population n’a augmenté que de 18,3%et le nombre d’emplois de 25,10%. Pour 2026, le budget fixe unnumerus clausus à 1.599,75 équiva- lents temps plein, alors qu’il était contenu à 1.350 postes pour 2025. Et permettez-moi, ici, de ne pas m’attarder sur l’accord salarial conclu il y a quelques mois dans la fonction publique, qui alourdit encore cecoût,dansuncontexteoùl’emploipublicreprésente déjà la principale concurrence du secteur privé en termes de recrutement. Soyonsclairs:leproblèmen’estpasdedépenser,c’est de dépenser mieux, dans un contexte de très faible croissance. Nous avons encore le train de vie d’un paysquiafficheunecroissancede3%,alorsquecette croissance est en pause. Dans notre modèle, l’État grossit désormais beaucoupplus vite que l’économie qu’il administre.Avant que la situationbudgétairene devienne problématique, le Luxembourg doit impé- rativement se poser la question que beaucoup d’éco- nomiesmaturesseposentdéjà:voulons-nousunÉtat qui fait tout, ouunÉtat qui faitmieux ? Des priorités annoncées, mais peud’arbitrages visibles Danscebudget,leGouvernementaffichedespriorités légitimes : défense, logement, transition écologique, lutte contre la pauvreté…. Personne ne conteste leur importance. Mais pour être crédible, tout budget repose sur des choix. Lors de sa déclaration sur l’état de la Nation, le premier ministre avait souligné que l’augmentation de l’effort de défense (+494 millions d’euros entre 2025 et 2026) serait financée en partie par une « redéfinition des priorités en matière de dépenses ». Or, dans le budget, ces redéfinitions sont quasimentabsentes.Ondépenseplus,oninvestitplus (et c’est une excellente nouvelle), mais on n’identifie pas des économies oudes poches d’inefficience Résultat : chaque nouvelle ambition – aussi légitime et pertinente qu’elle soit – devient un poids supplé- mentairesurunebalancequis’équilibredifficilement. Parviendrons-nous encore, dans un avenir très proche, à ajouter deux poids importants qui ont fait l’objet d’annonces politiques mais qui ne sont, éton- nement, pas encore inscrites dans la programmation pluriannuelle. Je pense ici à l’augmentation de notre effortdedéfenseà3,5%duRNBd’ici2035(lebudget prévoituneffortcontenuà2%duRNBjusqu’en2029) etauprojetd’individualisationdel’impôt,dontlecoût est estimé entre 800 et 900millions d’euros par an. Si nous appelons depuis des années les gouverne- ments successifs à mieux maîtriser la dépense publique, c’est parce que nous avons la conviction que dans ce monde en crise, dans cette Europe où les gouvernements sont fragiles, la solidité budgé- taire du Luxembourg demeure son principal avan- tage compétitif.Or, notre tripleAn’est pasunacquis éternel. Il l’est d’autant moins que le coût du vieillis- sement de la population pèsera lourdement sur nos finances publiques, comme je l’ai détaillé dans un précédent article. Transformer le pays Mais il serait toutefois fort injuste d’affirmer que ce budget,trèsvolontaristeenmatièred’investissement, ne projette pas notre pays dans l’avenir. En bien des points, il traduit la volonté du Gouvernement de poursuivre la modernisation et la transformation du pays, en s’appuyant notamment sur la créativité et la capacité d’innovationdes entreprises. Quelques chif- fres pour s’en convaincre : 2milliards d’euros investis sur 4 ans pour le logement abordable, 1,3 milliard pour la digitalisation, un investissement supplémen- taire de 100 millions en 2026 dans le fonds spécial pour la promotion de la recherche, un emprunt obli- gataire pour financer l’effort de défense à hauteur de 150millions sur 3 ans avec un avantage fiscal. En insistant sur la nécessité d’un cadre fiscal stable, d’une Place financière forte, en confirmant la pour- suite des investissements stratégiques dans la transi- tion énergétique, la recherche ou les infrastructures, en réaffirmant la volonté de simplifier l’environne- ment réglementaire et de répondre à la crise du loge- ment,leGouvernementtraceunevoie:celled’unÉtat investisseur, tourné vers la modernisation. Mais ce budget révèle aussi un risque, celui d’un État qui s’étend plus vite qu’il ne se réforme, et qui confond action et expansion. L’enjeu, désormais, n’est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux. Le Luxembourgdoitretrouverladisciplinequiatoujours fait sa force : une gestion rigoureuse au service d’une économie ouverte. Car on ne peut partager que la richesse que l’on a préalablement créée. *https://www.carlothelenblog.lu / Budget 2026 : et si on dépensait mieux ? L es prévisions économiques de l'automne 2025 de la Commission européenne publiées le 17 novembre, mon- trent que la croissance au cours des trois premiers trimestres de 2025 a dépassé les attentes. Si les bonnes performances ont d'abord résultéd'unefortehaussedesexportations en prévision d'une hausse des droits de douane, l'économie de l'Union euro- péenne (UE) a continué de croître au troi- sièmetrimestre.Pourl'avenir,l'activitééco- nomiquedevraitpoursuivresacroissance à un rythme modéré au cours de la période de prévision, malgré un environ- nement extérieur difficile. Les prévisions de cette année tablent sur une croissance du PIB réel de 1,4 %dans l'UE en 2025 et 2026, pour atteindre 1,5% en2027.Lazoneeurodevraitreflétercette tendance,lePIBenvolumedevantcroître de 1,3 % en 2025, de 1,2 % en 2026 et de 1,4%en2027.L'inflationdanslazoneeuro devrait poursuivre son recul, revenant à 2,1%en2025, et osciller autourde 2%sur la période de prévision. Dans l'UE, l'infla- tiondevrait rester légèrement plus élevée, tombant à 2,2%en 2027. La consommation privée et l'investissement stimulent la croissance Les derniers indicateurs commerciaux et les données d'enquête indiquent une dynamique positive soutenue au cours des prochains trimestres. À plus long terme,l'environnementmondialrestedif- ficile, mais unmarché du travail résilient, l'amélioration du pouvoir d'achat et des conditions de financement favorables devraient soutenir une croissance écono- miquemodérée. En outre, la facilité pour la reprise et la résilience et d'autres fonds de l'UE amor- tissent l'effet de l'assainissement budgé- taire dans plusieurs États membres. Ce soutien sous-tend la demande intérieure, qui devrait être le principal moteur de la croissance au cours de la période de pré- vision. La consommation privée devrait croître régulièrement, soutenue par les facteurs susmentionnés, mais aussi par unebaisseprogressivedutauxd'épargne. L'investissement devrait reprendre de la vigueur, principalement sous l'effet de la construction non résidentielle et des dépenses d'équipement. L'économie très ouvertede l'UEreste sen- sible aux restrictions commerciales actuelles, mais les accords commerciaux conclus entre les États-Unis et leurs parte- naires commerciaux, y compris l'UE, ont atténué certaines des incertitudes qui ont éclipsé les prévisions de printemps. Les prévisions supposent que tous les droits de douane par pays et par secteur mis en œuvre par l'administration américaine à ladatebutoirdu31octobreserontenplace tout au longde la période de prévision. À l'échelle mondiale, les barrières com- merciales ont atteint des sommets histo- riques, et l'UE est désormais confrontée à des droits de douanemoyens plus élevés surlesexportationsverslesÉtats-Unisque prévu dans les prévisions du printemps 2025.Néanmoins,lesdroitsdedouanesur les exportations de l'UE restent inférieurs àceuxappliquésàplusieursautresgrands acteurs mondiaux. Cela représente un avantage relatif modeste pour l'économie de l'UE, bien que dans un contexte de fai- blessedeséchangesmondiauxdebienset defortetempérationdelademandeétran- gère par l'euro. L'inflationdevrait se stabiliser L’inflation de la zone euro, légèrement révisée à la hausse, devrait passer de 2,4% en 2024 à 2 % en 2027. Les baisses dans les services et l’alimentaire sont compensées par une hausse de l’éner- gie, tandis que la concurrence des importations et l’appréciation de l’euro devraient limiter l’inflation des biens non énergétiques. Dans l’UE, elle recu- lerait de 2,6%à 2,2%entre 2024 et 2027. Ces prévisions partent du principe que le nouveau système d'échange de quo- tas d'émission de l'UE (SEQE2) entrera en vigueur en 2027, comme cela a été prévu par la législation. Les taux de chômage continuent de baisser Le ralentissement progressif de la crois- sance de l'emploi, amorcé en 2022, s'est poursuivi au premier semestre 2025. Pourtant, l'économie de l'UE a généré 380.000 emplois au cours de cette période. L'emploi devrait continuer à croître modérément – de 0,5 % en 2025 et en 2026 – avant de ralentir pour atteindre 0,4 % en 2027. Le taux de chô- mage devrait encore diminuer, passant de 5,9 % en 2025 et 2026 à 5,8 % en 2027. La croissance des salaires dans l'UE devrait ralentir mais rester supérieure à l'inflation, améliorant légèrement lepou- voir d'achat des ménages. Les déficits publics vont s'accentuer Ledéficit publicde l'UEdevrait passerde 3,1 % du PIB en 2024 à 3,4 % d'ici à 2027, enpartie en raisonde l'augmentationdes dépenses de défense, qui sont passées de 1,5%duPIBen2024à2%en2027,mesu- réeselonlaclassificationdesfonctionsdes administrations publiques (COFOG). Le ratio de la dette de l'UE au PIB devrait passer de 84,5 % en 2024 à 85 % en 2027, le ratio de la zone euro devant passer d'environ 88 % à 90,4 %. Cela reflète les déficitsprimairespersistants et le fait que le coût moyen de la dette publique est supérieur à la croissanceduPIBnominal. D'ici à 2027, quatre États membres devraient afficher des ratios d'endette- ment supérieurs à 100%du PIB. Un environnementmondial difficile continue de peser sur les perspectives Les risquespour la croissance restent sur- tout baissiers : incertitudes commerciales et politiques, tensions géopolitiques, volatilitédesmarchés et catastrophes cli- matiquespeuvent freiner l’activité.Àl’in- verse, des progrès en réformes et com- pétitivité, une hausse des dépenses de défense et de nouveaux accords com- merciauxpourraient soutenir davantage la croissance. "Même dans un environnement défavo- rable, l’économie de l’UE a continué de croître. Maintenant, compte tenu du contexte extérieur difficile, l'UEdoit pren- dre desmesures résolues pour débloquer la croissance intérieure. Cela implique d’accélérer nos travaux sur le programme en matière de compétitivité, notamment en simplifiant la réglementation, en ache- vantlemarchéuniqueetenstimulantl’in- novation",adéclaré ValdisDombrovskis (cf. photo), commissaire à l’économie et à la productivité, et commissaire à la mise enœuvre et à la simplification. Source : Commission européenne Prévisions économiques de l'automne 2025 de la Commission européenne Une croissance continue malgré un environnement difficile ©EuropeanUnion
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