Agefi Luxembourg - octobre 2025
Octobre 2025 39 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi D ouze ans après sa créa- tion, l'Union Luxem- bourgeoise de l'Économie Sociale et Solidaire (ULESS) opère sa mue la plus ambitieuse. Face à l'essor signi- ficative des entreprises à impact - leur nombre a doublé chaque année depuis 2022 - l'association se réinvente totalement sous le nom d'Entrepreneurs d’Impact Luxembourg (EIL). Cette transformation, officialisée le 20 mai 2025 avec l'adoption de nouveaux statuts, marque un tournant histo- rique : pour la première fois au Luxembourg, une organisation se consacre exclusivement à ces entre- prises hybrides qui révolutionnent l'économie en plaçant l'impact sociétal au cœur de leur modèle économique. Pourquoi cette transformation maintenant ? Créé par la loi du 12 décembre 2016, le statut de Société d'Impact Sociétal (SIS) a libéré un potentiel entrepre- neurial inédit. Contrairement aux associations traditionnelles, limitées dans leurs activités commerciales, les SIS peuvent générer des profits dura- bles tout en créant un impact positif mesurable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : - Croissance exponentielle post-Covid : +100 % par an depuis 2022 - Un écosystème mature avec le label étatique « Impact Luxembourg » depuis 2022 - Des entreprises qui ne dépendent plus des subventions publiques "Nous assistons à l'émergence d'unnou- veauparadigme économique", explique Virginie Ducommun, présidente d'EIL et entrepreneuse experte en marketing. "Les SIS prouvent qu'il est possible de concilier performance économique et impact sociétal, sans dépendre du sup- port financier de l’Etat. Notre rôle est de structurer et d'amplifier cemouvement." Cette spécialisation permet à EIL de développer une expertise pointue, là où l'ancienne ULESS devait jongler entre des modèles très différents, générant parfois des contradictions (ASBL et SIS), qu’il s’agissait d’éviter à l’avenir. EIL se donne pour mission de "pro- mouvoir et défendre l'entrepreneuriat sociétal et l'économie d'impact" - une approche encore méconnue qui place la création de valeur sociétale et envi- ronnementale au centre de l'activité économique. L'association travaille exclusivement avec les entreprises certifiées « Impact Luxembourg », le seul label étatique garantissant la qualité d'im- pact sociétal. Cette exigence renforce la crédibilité de l'écosystème et le protège contre la pratique du « greenwashing », assurant ainsi une cohérence optimale dans l'accompa- gnement proposé. EIL s'appuie sur un conseil pluridis- ciplinaire réunissant des expertises complémentaires en finance, marke- ting, communication, management, droit et économie - un atout majeur pour accompagner la diversité des SIS luxembourgeoises. Leadership : - Présidente : Virginie Ducommun, entrepreneuse et experte enmarketing - Vice-président: Jean Lasar, entrepre- neur et expert enmonnaies de décarbo- nation - Gestion journalière : Daniel Tesch, juriste d’affaires, entrepreneur et spécia- liste enmarketing Membres duConseil d’administration : - Pascal Wiscour-Conter, entrepreneur, enseignant et spécialiste en storytelling, - Aida Ferreira, directrice d’Episol, experte en gestion financière et res- sources humaines, - Nassera Zemmour, entrepreneuse, consultante en matière de capital humain, - Jean-Marc Bouyerie, entrepreneur en IT, - Stefania Filice, juriste et entrepreneuse en formation visant l’alimentation saine et durable, - Jana Degrott, juriste et entrepreneuse- consultance pour l’inclusion des per- sonnes vulnérables, - StephanRudolph, entrepreneur, expert en finances durables. Naissance de l'association "Entrepreneurs d’Impact Luxembourg" ©EIL La règle «UTPR» prévue par Pilier II est-elle illégale ? L a Cour de Justice de l’Union européenne va devoir statuer sur la compatibilité de l’un des impôts complémentaires (« top-up tax ») prévu par la ré- forme Pilier 2 (GloBE) aux libertés fondamentales garanties par le droit de l’Union européenne, après que la Cour Constitutionnelle Belge lui ait posé une question préjudi- cielle le 17 juillet 2025. Élaborées par la déclaration de l’OCDE du 8 octobre 2021, les règles issues du Pilier II visent à assurer que les groupes d’entreprises mul- tinationales paient un impôt mini- mum mondial, fixé à 15 %, sur les bénéfices qu’elles génèrent dans cha- cune des juridictions où ils exercent des activités. En principe, la collecte d’un impôt minimum mondial est assurée par l’application de la règle dite d’inclusion du revenu ( IRR ), qui s’applique au sein des juridictions ayant adopté les règles du Pilier 2. Elle conduit à assujettir la société- mère d’un groupe multinational, appelée « en- tité-mère ultime » ( UPE ), au titre des bénéfices sous-imposés, c’est-à-dire en dessous de 15 %, réalisés par ses filiales à l’étranger. Or, l’ IRR ne s’applique que si l’ UPE est située dans un État ayant adopté les règles du Pilier 2, ce qui n’est pas systématique (par exemple, en Chine, en Inde, aux États-Unis – au moins avant la conclu- sion du side-by-side agreement , à l’occasion de la réunion G7 du 28 juin 2025 – et dans certains pa- radis fiscaux tels que les Îles Caïmans). Pour contourner cet obstacle, l’OCDE a prévu une seconde règle : la règle relative aux bénéfices in- suffisamment imposés ( UTPR ), qui s’applique lorsque l’IRR ne s’applique pas. La règle UTPR conduit à assujettir les filiales d’une telle UPE (ap- pelées « entités constitutives »), établies dans des pays ayant adopté les règles Pilier 2, à la top-up tax . D’abord introduites au sein de l’Union euro- péenne par une directive du Conseil (UE) 2022/2523 du 15 décembre 2022, ces règles ont été transposées en droit luxembourgeois par la loi du 22 décembre 2023. L’ IRR entrera en vi- gueur à compter du 31 décembre 2023, tandis que l’ UTPR entrera en vigueur le 31 décembre 2024 (article 55 de la loi). Ainsi, certaines sociétés Luxembourgeoises membres d’un groupe ayant son siège dans un État n’ayant pas adopté les rè- gles du Pilier 2 pourront être redevables d’un top-up tax au titre de l’ UTPR . L’ UTPR pousse le principe d’extraterritorialité de l’impôt à l’extrême, en s’appuyant sur une présomption : celle qu’un groupe multinational possède nécessairement un rattachement à un État ayant adopté les règles Pilier 2. Cela permet à cet État d’exercer son droit d’imposition com- plémentaire sur les bénéfices d’autres entités constitutives du groupe, alors même qu’elles se- raient résidentes d’un autre Etat. Du fait de sa singularité, ce mécanisme a suscité dans les États membres des interrogations quant à sa compati- bilité à certaines libertés fondamentales consa- crées par le droit de l’Union européenne, notamment lorsque l’entité constitutive concer- née présentait une situation déficitaire. Dans cette perspective, la Cour constitutionnelle Belge a été saisie par une association américaine promouvant la liberté commerciale d’un recours en annulation des articles 35 et 36 de la loi belge du 19 septembre 2023, qui régissent l’impôt com- plémentaire UTPR Belge, en transposant les arti- cles 12 à 14 de la directive relative à Pilier 2. Ne pouvant statuer sur la validité d’une directive, la Cour constitutionnelle a interrogé la Cour de jus- tice de l’Union européenne sur la validité des ar- ticles 12 à 14 de la Directive au regard de plusieurs libertés consacrées par le droit de l’Union : Tout d’abord, l’ UTPR pourrait violer le droit de propriété, tel que consacré par les articles 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) et 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la Charte). Il résulte de ces articles que le contribuable bénéficie d’une pro- tection contre l’expropriation ou la privation de propriété, et contre toute ingérence dans le droit au respect de ses biens et tout règlement de leur usage. Bien qu’il soit possible pour un État de porter atteinte au droit de propriété, encore faut- il que cette ingérence à l’impératif de l’intérêt gé- néral soit proportionnée au droit au respect des biens et compensée par une indemnisation. Or, selon l’appelante, l’obligation de payer un impôt complémentaire en vertu de l’ UTPR ferait peser une charge disproportionnée sur l’entité constitutive redevable, qui pourrait aboutir à l’empêcher d’obtenir un bénéfice, ou a fortiori , menacer sa survie. La disproportion caractérisée n’obéirait pas à l’impératif de proportionnalité, en ce que la Directive ne retient qu’une approche individuelle de l’entité, en n’incluant pas la pos- sibilité pour cette dernière d’exiger un soutien fi- nancier des autres sociétés du groupe. Ensuite, l ’UTPR pourrait porter atteinte au principe d’égalité et de non-discrimination, tel que consacré par les articles 20 et 21 de la Charte. En prévoyant que « toutes les personnes sont égales en droit », ces articles interdisent toute discrimination, quelle qu’en soit l’origine. Il en résulte que deux personnes placées dans une même situation ne peuvent être traitée diffé- remment, et que deux personnes placées dans une situation différente ne peuvent être traitées identiquement. S’il reste possible pour un État de déroger à ces principes, encore faut-il que la différence de traitement repose sur un critère objectif et soit raisonnablement justifiée. Selon l’appelante, la Directive crée une discrimi- nation en prévoyant qu’une entité constitutive déficitaire puisse être redevable de l‘ UTPR sur des bénéfices sans lien avec ses activités, alors même que les entités bénéficiaires pouvant sup- porter la taxe se trouvent traitées identique- ment. Cette différence de traitement ne serait pas justifiée dès lors que l’objectif poursuivi par la Directive – garantir une imposition minimale – ne peut être atteint si l’entité constitutive n’est pas en mesure de payer l’impôt complémen- taire, du fait de sa situation déficitaire. De plus, la liberté d’entreprendre, étroitement liée à la liberté professionnelle, au droit de tra- vailler et à la liberté d’entreprise, garantis par les articles 15 et 16 de la Charte, ainsi qu’à la libre prestation des services et à la liberté d’éta- blissement, garanties par les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union euro- péenne (TFUE) pourrait être incompatible avec l’ UTPR . Comme le précise la Cour, la liberté d’entre- prendre ne peut être conçue comme une liberté absolue. Bien qu’un État puisse adopter des me- sures susceptibles d’encadrer son exercice, en- core faut-il qu’elles répondent à des raisons impérieuses d’intérêt général et soient propor- tionnées au but poursuivi. L’appelante estime que ce n’est pas le cas de l’ UTPR , qui impose à l’entité constitutive une charge fiscale décorré- lée de ses bénéfices, en la privant du droit de disposer librement de ses moyens écono- miques, qui doivent prioritairement être consa- crés au paiement de l’impôt. L’ UTPR contreviendrait aussi au principe général de sécurité juridique du droit de l’Union, qui interdit au législateur de por- ter atteinte sans justification objective et raisonnable à l’intérêt que possèdent les contribuables d’être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes. Or, comme le prétend l’appelante, l’ UTPR – dont le montant est corrélé à la part relative des actifs et employés de l’entité consti- tutive, retenue comme représenta- tive de sa capacité à payer – ne permet pas de déterminer en avance à quelle juridiction et à quel montant l’impôt pourrait être attribué. Ainsi, l’entité ne saurait être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de son assujettissement à l’ UTPR , au même titre que les tiers, qui ne sau- raient être en mesure d’apprécier la solvabilité des entités constitutives avec les- quelles ils contractent. Enfin, l’ UTPR porterait atteinte au principe de territorialité fiscale, reconnu dans la jurispru- dence de la CJUE et dans le droit coutumier in- ternational, qui restreint le pouvoir d’imposition d’un État aux seuls sujets et objets ayant un lieu ou un rapport réel avec son territoire. Selon l’ap- pelante, la simple présence d’une entité en Bel- gique, État ayant adopté Pilier 2, est insuffisante pour constater le lien réel et raisonnable qu’im- pose le principe de territorialité. Si une atteinte aux libertés garanties par le droit de l’Union était caractérisée, la décision de la CJUE pourrait entraîner l’annulation de l’ UTPR dans tous les États membres, y compris le Luxembourg, qui prévoit d’appliquer l’ UTPR à compter des exer- cices ouverts à partir du 31 décembre 2024. Le fait que l’affaire trouve sa source en Belgique s’explique par la possibilité étant offerte à toute personne présentant un intérêt légitime d’invo- quer la contrariété d’une loi à la constitution de- vant la Cour constitutionnelle. L’association Américaine a donc saisi cette opportunité. Au Luxembourg, une telle remise en cause n’est pas possible, puisque la constitutionnalité d’une loi ne peut être examinée qu’à l’occasion de son application concrète. Dans le cas d’espèce, il sera donc nécessaire de se prévaloir d’un bulletin d’imposition relatif à l’ UTPR – les premiers ne devant pas être attendus avant l’été 2027 – pour saisir les juridictions Luxembourgeoises de la constitutionnalité et de la conventionnalité des règles UTPR aux libertés fondamentales consa- crées par les droits international et européen. D’ici là, on peut espérer que la Cour de justice de l’Union européenne aura rendu son jugement. PeterMOONS, Partner (Tax Practice Group) –Attorney at Law Aline NUNES, Partner (International Tax and Transfer Pricing) –Attorney at Law Amaury CHANAL, Trainee Loyens & Loeff Luxembourg
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