AGEFI Luxembourg - mai 2025

Mai 2025 37 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi D ans un arrêt du 12 décem- bre 2024, laCour de justice de l’Union européenne («CJUE » ou la «Cour ») a rendu un arrêt (1) intéressant enmatière de déductionde la TVAsur des ser- vices intragroupes en refusant les arguments de l’administration rou- maine. Plus précisément, les autori- tés fiscales ne peuvent refuser le droit à déduction sous prétexte que ces services seraient aussi rendus à d’autres sociétés du groupe ni imposer la démonstrationde la rentabilité de ces services pour l’ac- tivité économique de l’entreprise. Par Cédric TUSSIOT, Tomas PAPOUSEK, Partner, et Michel LAMBION, Managing Director, Deloitte Tax &Consulting Certains se demanderont peut-être pourquoi examiner seulement mainte- nant un arrêt rendu en décembre 2024. Il est important de souligner que l’ac- tualité TVA au Luxembourg a été , lar- gement occupée fin 2024 et début 2025 par les décisions et la circulaire relatives au statut TVA des administrateurs et à la régularisation de la TVA appliquée dans le passé sur leurs rémunérations d’une part et d’autre part, l’adoption de la directive « VAT in the Digital Age », ViDA qui introduira dans les années à venir des changementsmajeurs, dont le plus important est sans doute, l’obliga- tion d’émission d’une facture électro- nique pour les opérations entre assujet- tis (« B2B ») transfrontalières. Par ail- leurs, cet arrêt est le premier d’une série qui abordera différents aspects de la TVA dans les relations intragroupes. Cette série comprend l’affaire Högkullen AB, C-808/23, qui porte sur des services administratifs rendus par unemaisonmère à ses filiales, l’évalua- tion de la valeur de ces services et les coûts à y inclure. L’avocat général, Madame Kokott, a rendu d’intéres- santes conclusions le 6 mars de cette année. Peu après, le 3 avril, l’avocat général Richard de la Tour rendit ses conclusions dans l’affaire SC Arcomet Towercranes SRL, C-56/23, où la Cour doit examiner le statut TVA d’un ajus- tement du prix de services opéré pour des raisons de prix de transfert en matière d’impôts directs entre unemai- sonmère et sa filiale. Elle devra décider si un tel ajustement est ou non une prestation de services. Et, plus tard, l’af- faire Stellantis Portugal, C-603/24, elle aussi relative au statut TVA d’un ajus- tement de prix entre sociétés liées opéré en raison des règles en matière de prix de transfert. Au regard des délais habi- tuels de la Cour, elle devrait se pronon- cer d’ici la fin de l’année dans les affaires Högkullen et Arcomet, et au plutôt fin 2026 dans l’affaire Stellantis. L’ensemble de ces décisions sont géné- ralement désignée par les praticiens TVA sous le vocable « TVA et Prix de transfert », alors même que les ques- tions sont plus larges. Après cette introduction, nous pouvons analyser la décision de la Cour dans l’affaire Weatherford Atlas Grip SA (WAG). WAG est une société roumaine qui rend à différents clients un ensem- ble de services liés au forage et à l’ex- traction de produits pétroliers et gaziers. Ces services sont, bien évidem- ment, taxables et ouvrent, en principe, entièrement droit à la déduction de la TVA applicable aux différents frais engagés pour cette activité. WAG est membre d’un groupe inter- national. Comme c’est pratique cou- rante, elle reçoit de sa maison-mère un certain nombre de services portant sur la gestion de l’entreprise. Il s’agit plus précisément de services de gestion des ressources humaines, d’assistance informatique, de marketing, de comp- tabilité et de conseil. Les mêmes ser- vices sont rendus à l’ensemble des sociétés du groupe. WAG a acquitté la TVA roumaine sur ces services en vertu de la règle de l’au- toliquidation applicable aux services reçus de prestataires étrangers et a déduit totalement cette TVA, considé- rant que ces frais sont en relation avec son activité économique (les prestations relatives aux services forage et d’extrac- tion) et que la TVA est déductible. L’administration roumaine ne l’entendit pasde cetteoreille et développadonc cer- tains arguments afin de refuser la déduc- tion de la TVA. WAG s’opposa à cette argumentation et porta l’affaire devant le Tribunal de Grande Instance de Prahova qui décida d’interroger laCour. Soulignons que l’administration rou- maine ne conteste pas la réalité des ser- vices, ce qui lui permet d’exiger le paie- ment de la TVA due sur ceux-ci, mais considère que WAG n’a pas établi de lien entre les services reçus et son acti- vité taxable. C’est sur cette base qu’elle refuse la déduction de cette TVA. En particulier, l’administration roumaine argumente que ces mêmes services ont été facturés à d’autres sociétés du groupe, et que même si leur coût a été partagé, ils n’auraient pas dû être fac- turés àWAGparce qu’ils ne lui seraient pas nécessaires. La Cour commence par rappeler sa jurisprudence traditionnelle relative aux conditions nécessaires pour que la TVA soit déductible. Tout d’abord, il doit s’agir d’opérations effectivement taxables acquis par des assujettis, ce qui est bien le cas ici. Par ailleurs, il doit exister entre ces frais et les opérations en aval un lien direct et immédiat, sauf lorsqu’ils font partie des frais généraux, auquel cas, il est de jurisprudence constante qu’un tel lien est établi par principe. Il en résulte qu’un assujetti ne peut pas déduire la TVA qui serait liée à des opérations en aval effectuées par un tiers. Elle précise donc qu’il convient à la juridiction de renvoi, le tribunal de Prahova, de déterminer si, d’un point de vue factuel (au regard des contrats et de réalité économique et commer- ciale), les services reçus, dont l’existence n’est pas contestée par l’administration roumaine, ont bien été utilisés par WAG pour les besoins de ses activités économiques. Après le rappel de ces principes fonda- mentaux, la Cour examine les argu- ments que nous pouvons qualifier de « novateurs » avancés par l’administra- tion roumaine. Le premier de ces argu- ments est que les services ont aussi pro- fité à d’autres bénéficiaires, ce qui est très courant concernant des services intragroupe, pour ne pas dire la règle puisque, pour des raisons opération- nelles, l’ensemble des sociétés du groupe ont besoin des mêmes services. La Cour assez sèchement, c’est à dire sans plus de développement, refuse cet argument en le déclarant « dénué de pertinence ». Il est bien évidemment indispensable que la quote-part de frais supportée parWAG corresponde effec- tivement aux services dont elle a béné- ficié. La Cour rappelle qu’il incombe au tribunal de renvoi de le vérifier. De même la Cour refuse les critères de nécessité ou d’opportunité des services. De fait, le système de TVA repose sur le principedeneutralitéenverslesassujettis, permettant à ceux-ci de déduire la TVA indépendamment de l’objectif ou de l’is- sue de leur activité, à condition bien sûr que les conditionsmentionnées ci-dessus soient respectées. Introduireun tel critère derentabilitééconomiqueseraitcontraire à ce principe. Nous pouvons ajouter qu’un tel critère ne serait sans doute pas un encouragement à l’investissement, l’innovation et la prise de risque, et que son application pratique risquerait de conduire à de difficiles discussions et contestations, y compris en justice. Enfin, la Cour rappelle que la preuve de l’établissement des conditions de la déduction de la TVA est à la charge de l’assujetti qui en demande l’application et que le juge national est chargé de l’évaluation des preuves apportées conformément aux règles nationales. De manière générale, la décision de la Cour semble témoigner d’une approche équilibrée entre l’intérêt des assujettis de pouvoir déduire la TVA sur ses charges et la nécessité de démontrer le lien entre les charges et les activités taxa- bles. L’exclusion de l’argument de la rentabilité économique est particulière- ment bienvenue, non seulement pour les services intragroupes, mais pour l’ensemble des assujettis et toutes leurs dépenses. Un tel critère ne peut qu’être délicat à manier et décourageant l’acti- vité économique. Il nous reste à attendre les décisions de la Cour dans les autres affaires citées en introduction. 1) WeatherfordAtlas Grip SA, C-527/23, 12 décem- bre 2024. Déduction de la TVAsur les services intragroupe Par Caroline LAMBOLEY, Headhunter, Lamboley Executive Search* L ’intelligence artificielle (IA) s’impose peu à peudans le domaine des ressources hu- maines et notamment dans celui du recrutement. Tri automatisé des CV, analyse comportementale, mat- ching de profils, scoring prédictif : les outils semulti- plient, les promesses aussi. Pour les entreprises, l’attrait est évident. Gainde temps, rationalisationdes processus, objectivité…oudumoins, c’est ce qu’on espère. Mais dans l’enthousiasme général, un point fonda- mental est souvent négligé : peut-onvraiment auto- matiser un processus que l’on ne maîtrise pas encore parfaitement ?Avant de confier ses recrute- ments à des algorithmes, il est essentiel de poser une base solide. Car l’IAne corrige pas les erreurs : elle les amplifie. Recruter reste unmétier à part entière Trop souvent encore, les processus de recrutement sontconstruitssurdesbasesfloues,voirefragiles.Les besoins ne sont pas toujours clairement définis, les critèresdesélectionmanquentdecohérence,lesentre- tienssontmenésdemanièreinformelleetlesdécisions sontparfoisprisesàl’intuition.Danscecontexte,ajou- ter une couche technologique revient àmaquiller un problème structurel, sans le résoudre. Recruter ne consiste pas à simplement faire corres- pondre un CV à une fiche de poste. C’est un métier qui demande une lecture fine des parcours, une éva- luationdescompétencesmaisaussidespersonnalités et une capacité à projeter un candidat dans un contexte managérial, une culture d’entreprise, une dynamique d’équipe. En tant que spécia- liste de la chasse de têtes au Luxembourg, je constate chaque jour à quel point l’analyse humaine reste irremplaçable, notamment lorsqu’il s’agit de recruter des profils expéri- mentés oudes cadres dirigeants. Comprendre un parcours, détecter un potentiel, évaluer une compatibilité:aucunalgorithmenepeut faire cela à votre place. La technologie ne remplace pas l’expertise humaine Cela ne signifie pas que l’intelli- gence artificielle n’a pas sa place dans le recrutement. Bien utilisée, elle peut être un véritable levier d’optimisa- tion. Elle peut accélérer certaines étapes, faciliter la gestion des candidatures, renforcer l’analyse de données. Mais elle ne saurait remplacer l’essence mêmedurecrutement : la relationhumaine.Uncan- didat ne se résume pas à un ensemble de mots-clés. Etunbonrecrutementnesemesurepasuniquement à la vitesse d’exécution. Ce qui fait la différence, c’est la qualité de l’échange, la pertinence de l’analyse, la capacité à poser les bonnes questions et à capter ce qui ne se dit pas toujours. C’estd’autantplusvraidansunmarchécommecelui du Luxembourg, où la compétition pour attirer les meilleurstalentsestparticulièrementvive.Lesprofils expérimentés, souvent déjà enposte, attendent autre chose qu’un simple processus automatisé. Ils cher- chent une écoute active, une approche surmesure et une vraie transparence dans la relation. Professionnaliser avant de digitaliser Avant de digitaliser les processus de recrutement, il est donc essentiel de les professionnaliser. Une technologie performante ne compensera jamais un manque de rigueur en amont. Au contraire, elle peut renforcer les biais ou valider des décisions prises sur des bases erronées. La qualité d’un recru- tement repose avant tout sur la clarté des attentes, la cohérence des étapes, la formationdes recruteurs et la capacité à offrir une expérience candidat digne de ce nom. Le recours à un cabinet de chasse de têtes peut être une solution précieuse pour sécuriser les recrute- ments stratégiques. Il apporte non seulement une méthodologie éprouvée, mais aussi un regard externe, objectif et une connaissance fine dumarché local et des profils à cibler. L’intelligence artificielle estuneformidableopportunitépourlesRH,àcondi- tionqu’elle soit intégrée dans une culture de recrute- ment déjà solide. Elle ne remplace pas l’intelligence humaine. Elle la complète, à conditionque cette der- nière soit déjà bien en place. Une vision claire, une pratiquemaîtrisée Lerecrutementestunactestratégique.Ilengagel’ave- nir d’une équipe, d’une organisation, d’une culture d’entreprise. Avant d’y injecter de la technologie, il est impératif d’enmaîtriser les fondements. Maîtriser les bases, c’est savoir ce que l’on cherche, pourquoi on le cherche, comment on l’évalue et dans quel environnement le candidat devra réussir. C’est aussi s’assurer que l’on dispose, en interne ou avec l’appui d’un partenaire externe, des compétences pour le faire bien. Alors, avant de se lancer dans le recrutement algo- rithmique, prenons le temps de revenir à l’essentiel. Car derrière chaque embauche, il ne s’agit pas sim- plement de remplir une case, mais bien de faire un choix stratégique, avec des implications humaines, économiques etmanagériales fortes. Unbonrecrutement,cen’estpasseulementidentifier un profil. C’est formuler la bonne question : que cherche-t-on réellement, au-delà du titre de poste ? Quels comportements, quelles compétences, quelles posturessontattenduespourréussirdanscecontexte précis, avec cette équipe, à ce moment de la vie de l’entreprise?C’estensuitetrouverlabonnepersonne, celle qui ne sera pas uniquement « qualifiée sur le papier », mais qui incarnera un alignement entre les enjeux du poste, les valeurs de l’organisation et les objectifs àmoyen terme. Et enfin, c’est le faire aubon moment,aveclucidité,méthodeetintention.Nidans la précipitation, ni dans l’approximation. Mauvais recrutement : un risque sous-estimé Un mauvais recrutement ne se limite pas à une erreur de casting : c’est une décision coûteuse, tant sur le plan humain qu’économique. Il peut désor- ganiser une équipe, fragiliser la dynamique mana- gériale, générer du désengagement ou de la méfiance, et freiner durablement les projets. À cela s’ajoutent les coûts directs : temps perdu, reprise du processus, perte d’opportunité. Dans un marché tendu comme celui du Luxembourg, où chaque profil compte, un recru- tement raté peut impacter la réputation de l’entre- prise, voire sa performance stratégique. D’où l’im- portance de poser undiagnostic précis et d’adopter une méthode rigoureuse avant même de penser digitalisation. Les outils viendront en appui. Mais ils ne remplaceront jamais cette intelligence du réel, du relationnel, du recrutement bien fait. Celui qui ne se contente pas d’être rapide, mais qui est juste. Durable. Et porteur de sens. Un bon recrutement, ce n’est pas une équation à résoudre. C’est une décision à prendre, avec méthode, lucidité et sens.Avant d’automatiser, assu- rons-nous de savoir ce que nous cherchons, pour- quoi nous le cherchons…et àqui nous voulons vrai- ment confier les clés. *c.lamboley@lamboley.lu www.lamboley.lu Avant d’utiliser l’IAdans le recrutement, maîtrisez les fondamentaux

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