Agefi Luxembourg - novembre 2025
AGEFI Luxembourg 22 Novembre 2025 Fonds d’investissement Par Christopher DEMBIK, Senior Investment StrategyAdviser Pictet Asset Management C 'est Jean qui rit, Jean qui pleure. Alors que l'indice CAC 40 est toujours pénalisé par les turpi- tudes politiques françaises qui vont cer- tainement continuer jusqu'en 2027, son voisin allemand affiche une hausse record de +21 %depuis le début d'année. C'est trois fois plus que l'indice parisien et presque deux fois plus que le S&P500, hors effet taux de change. C'est encore plus im- pressionnant quand on sait que la performance de la bourse alle- mande est décorrélée de celle de son économie. Cette dernière devrait connaître sa quatrième année consécutive de stagnation. Pourquoi une telle hausse ? Certains facteurs sont propres à l'Europe : - La baisse rapide des taux par la Banque Centrale Européenne jusqu'à 2 % - qui devrait être le taux terminal. Une économie bien irriguée en crédit bé- néficie en général aux actions, même si ce n'est pas suffisant. - La rotation de début d'année des actions améri- caines, jugées trop chères, vers d'autres cieux plus cléments et offrant des valori- sations plus attrayantes. Cela a avantagé l'Allemagne du fait de la profondeur de sa bourse, des grandes valeurs interna- tionales qui y sont cotées, et de la stabilité politique allemande qui est toujours un fac- teur rassurant pour les investisseurs. - Se sont ajoutés à cela les espoirs très éphémères de résolution du conflit en Ukraine en fé- vrier/mars. Cela avait amplifié la rotation vers les actions européennes. Mais il y a évidemment d'autres raisons qui expli- quent la performance du DAX. Du bon et dumauvais En regardant dans le détail, la hausse du Dax est très concentrée autour de quelques secteurs, quelques entreprises. Ce n'est en rien surprenant. Onobserve unphénomène similaire sur quasiment tous les marchés, aux États-Unis en particulier et même sur le segment des petites valeurs en France où le rebond spectaculaire de 2025 - +48%- est seu- lement lié à une poignée d'entreprises dans les bio- techs et la robotique maritime. Commençons par les perdants, enparticulier le sec- teur automobile allemand. Il continue de souffrir d'un surplus de réglementation verte en Europe et surtout de la concurrencedes constructeurs chinois, comme BYD, qui ont réussi à se positionner sur du haut de gamme à prix abordable et inondent dés- ormais le marché européen. Ajoutons à cela les droits de douane américains qui ont directement pénalisé le secteur. Porsche est ainsi en repli de -16 %depuis le début d'année. Daimler Truck, l'un des plus grands acteurs de l'industrie du transport, sauve les meubles avec seulement - 4,8 % sur la même période. Les acteurs de la vente au détail sont aussi à la traîne : -21 % pour Adidas, et -18,8 %pour Zalando. LahausseduDax est essentiellement liée à trois sec- teurs : les énergies renouvelables, avec Siemens Energyqui a bondi de +110%depuis janvier, le sec- teur de la défense et celui des banques. Le secteur bancaire allemand est un peu moins attractif que celui de l'Espagne et de l'Allemagne, selon nous. Les retours sur investissements (aussi appelés ROI en anglais) sontmoins élevés et les coefficients d'ex- ploitation plus hauts. Mais il continue d'afficher une hausse boursière constante depuis des années. Prenons Commerzbank, son action affiche +97 % depuis le début d'année. Mais le vrai facteur diffé- renciant, ce fut la défense. L'Europe se réarme. Certes, en grande partie, cela va bénéficier aux en- treprises américaines. Mais il y aura aussi quelques pépites européennes qui vont tirer leur épingle du jeu comme Rheinmetall, le géant de l'industrie de la défense, dont l'action affiche une hausse de +187%. Tout cela a créé un cocktail par- fait pour les actions allemandes et le DAX. Dernier facteur favorable, traditionnellement le quatrième trimestre est positif pour la bourse – cela vaut pour les deux côtés de l'Atlantique. Quel impact du plan de relance allemand ? En début d'année, le gouvernement a présenté un planà 1,000milliards d'euros. Bonne nouvelle.Mais son impact positif sur la croissance allemande de- vrait tarder à se matérialiser. Historiquement, l'Allemagne est douée pour an- noncer des plans à plusieurs milliards d'euros. En revanche, elle a plus de mal à les mettre enœuvre. L'exécution est tardive et souvent maladroite. Nous estimons que les gains de croissance ne pour- raient commencer à être perceptible qu'en 2027 contre des anticipations initiales dès cette année. C'est un peu tard. Tout n'est pas perdu, toutefois. Presque lamoitiédu plan devrait être orienté vers les investissements en infrastructure, donc cela risque d'être un nouveau facteur de soutienpour les entreprises cotéesdusec- teur de la construction. Une autre raison de ne pas uniquement regarder la bourse américaine – qui reste centraledans les allocations -mais aussi devoir le potentiel qui existe juste à côté de chez nous. Toutes les données sont issues de Bloomberg et Boursorama, en date du 27 octobre 2025. Le Dax allemand flambe, tandis que le CAC 40 fait grise mine D epuis plusieurs années, les directions financières opèrent dans un environ- nement d’incertitude macroé- cono- mique et géopolitique per- sistante. En effet, après plus d’une décennie de taux historiquement bas, la remontée brutale des taux d’intérêt amorcée en 2022 a pro- fondément transformé le paysage financier mondial. La faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) en mars 2023 a d’ailleurs illustré de manière spectaculaire les consé- quences possibles d’une gestion inadéquate du risque de taux : des portefeuilles d’actifs classés à taux fixe, et financés par des dépôts sensibles aux taux variables, ont subi des pertes latentes massives, alors que les taux longs grim- paient, déclenchant ainsi une crise de liquidité fulgurante. Dans ce contexte, les directions finan- cières luxembourgeoises des banques, des sociétés de financement, des fonds d’investissement ou des holdings sont confrontées à des dilemmes straté- giques similaires. Aussi, comment se prémunir contre la volatilité des taux d’intérêt, de change ou d’inflation ? De plus, comment traduire dans les états financiers les effets de ces stratégies de couverture ? Et surtout, comment garantir une information financière qui reflète fidèlement la réalité économique de la gestion du risque ? Nombre d’entités disposent déjà d’une « couverture économique », via par exemple l’utilisation d’instruments financiers dérivés ( IRS, Cap, Floor… ). Mais en l’absence de comptabilité de couverture, ces instruments dérivés génèrent toutefois une volatilité artifi- cielle dans le compte de résultat, alors même qu’ils atténuent économique- ment le risque. La question centrale devient alors : la stratégie de couverture de ma société est-elle visible et compré- hensible dans nos comptes ? Comptabilité de couverture : un outil de stabilité et de transparence La comptabilité de couverture (ou hedge accounting ) vise précisément à aligner la représentation comptable sur la subs- tance économique de la couverture. Autrement dit, elle permet de neutrali- ser dans les états financiers les effets de valorisation asymétriques entre l’ins- trument dérivé et l’élément couvert. Ce dispositif existe aussi bien sous IFRS (IAS 39 ou IFRS 9) que sous LuxGAAP, bien que leurs modalités diffèrent. Le hedge accounting offre de nombreux avantages concrets aux directions finan- cières. Il permet tout d’abord de réduire la volatilité artificielle du résultat : les variations de juste valeur des instru- ments dérivés sont compensées par celles des éléments couverts, avec un résultat qui reflète plus fidèlement la performance économique réelle de l’en- tité ; ce mécanisme favorise également un meilleur alignement entre la comp- tabilité et la gestion du risque. Les états financiers ne traduisent donc plus de simples fluctuations demarché, mais bien la stratégie de couverture effectivement mise en œuvre par la direction financière. Par ailleurs, l’application de la compta- bilité de couverture renforce la collabo- ration entre les fonctions Finance, Trésorerie et Gestion des risques. La documentation requise pour démontrer la relationde couverture et son efficacité impose une compréhension commune des expositions, des objectifs et des ins- truments utilisés, contribuant ainsi àune gouvernance plus intégrée du risque de taux ou de change. Enfin, elle accroît la crédibilité de l’en- treprise auprès de ses parties prenantes, investisseurs, régulateurs, agences de notation ; et ce, en rendant les comptes plus lisibles, plus comparables et mieux alignés sur la réalité opérationnelle et économique de la gestion du risque. Le hedge accounting peut s’appliquer soit à une position unique (micro-cou- verture), comme par exemple un emprunt à taux variable couvert par un IRS ; soit à un portefeuille homo- gène d’actifs ou de passifs (macro-cou- verture), tel qu’un portefeuille de prêts immobiliers à taux fixe exposé à une variation de taux de marché. AuLuxembourg, ces dispositifs revêtent une importance particulière. Car les éta- blissements de crédit, les sociétés de titri- sation ou les véhicules de financement luxembourgeois sont souvent insérés dans des chaînes de financement inter- nationales : ils centralisent, refinancent ou redistribuent les risques de taux et de change pour le compte de leur groupe. Dans ce contexte, l’adoption d’une approche rigoureuse de hedge accoun- ting constitue un avantage compétitif. Il offre aussi un gage de conformité vis-à-vis des instances de supervision, qui prônent une cohérence entre le modèle de gestion des risques et la présentation comptable (doctrine de l’ESMA, de l’EBA…). Le modèle de gestion dynamique des risques (DRM) Au-delà des pratiques existantes, l’IASB (International Accounting Standards Board) travaille depuis plusieurs années à un nouveau modèle de couverture, le Dynamic RiskManagement (DRM). Ce modèle, dont la publication est prévue pour fin 2025, vise à mieux représenter les activités de gestion active des risques de taux par les banques. En octobre 2025, l’IASB a d’ailleurs lancé une ini- tiative de grande envergure visant à col- lecter auprès des banques et des com- pagnies d’assurance des informations sur la gestion de leur risque de taux d’intérêt à travers leurs portefeuilles. L’approche du DRM est dynamique et globale. Et ce, contrairement à la comp- tabilité de couverture traditionnelle, qui s’applique souvent à des relations fixes et prédéfinies entre un dérivé et un élé- ment couvert. Le modèle cherche en effet à représenter une gestiondu risque réelle, vivante, et ajustée enpermanence en fonction de l’évolution des marchés et des objectifs de la direction. Son introduction devrait générer des répercussions bien au-delà de la seule comptabilité, ainsi que des effets trans- versaux. Avec cette approche, la fron- tière entre ALM et Risk Management s’estompe : la gestion du risque de taux devient un exercice partagé, mesuré et documenté selon un cadre commun, où les pratiques actuelles devront donc conjuguer avec ce nouveau référentiel. Pour la Finance, leDRMsignifie plus de transparence et d’explications ; les comptes illustreront donc davantage la qualité de la gestion du risque de taux de la banque, tandis que le Contrôle de gestion bénéficiera d’une vision plus fine et intégrée du pilotage de la perfor- mance, mieux connectée aux réalités du risque géré. La nécessité de bien anticiper les challenges liés à la valorisation et aux tests d’efficacité Au-delà du cadre normatif, la mise en œuvre du hedge accounting confronte les directions financières à des défis techniques de plus en plus complexes. Lorsqu’un instrument optionnel est utilisé, la dissociation entre valeur intrinsèque et valeur temps n’est pas un simple détail conceptuel : elle détermine directement la volatilité du résultat comptable et la fiabilité du suivi d’efficacité. Les tests d’efficacité exigent quant à eux un niveau élevé de qualité de données. Démontrer que les variations de juste valeur du dérivé compensent celles de l’élément couvert suppose de disposer d’informations robustes sur les flux contractuels, les comportements de remboursement anticipé, les courbes de taux et sur les volatilités implicites utili- sées pour la valorisation. Les incohé- rences dans ces paramètres peuvent générer une inefficacité artificielle. L’arrivée du modèle DRM accentuera encore ces exigences. Les instruments dérivés désignés pour le benchmark derivatives devront être valorisés sur la base de paramètres de marché cohé- rents avec ceux utilisés pour mesurer la Current Net Open Position (CNOP) . Des divergences entre ces hypothèses pourraient fausser l’appréciation de l’efficacité et remettre en cause la rela- tion de couverture. La logique du test d’efficacité change également : l’enjeu ne sera plus seule- ment de prouver qu’un dérivé com- pense correctement une position à couvrir, mais aussi de démontrer la cohérence entre les opérations de cou- vertures réellement exécutées et les principes de gestion du risque définis par l’entité (1) . Dans cette perspective, il est essentiel de se familiariser dès aujourd’hui avec les principes et la discipline du hedge accounting . Les notions du cadre exis- tant formeront les fondations de ce futur dispositif. Comprendre et maî- triser la logique actuelle du hedge accounting , c’est déjà se préparer à l’in- troduction du DRM, qui redéfinira à terme la manière dont les institutions financières traduiront leur gestion du risque dans leurs états financiers. Jeremy PAGES, Partner, Jean-Philippe PETERS, Partner, Alexandre VIET, Senior Manager Sean CORKERY, Senior Manager Deloitte Luxembourg 1) Les éléments mentionnés ici reposent sur une série de documents préparatoires (« staff papers ») publiés par l’IASB.Ilssontsusceptiblesd’êtreajustésoucom- plétésàl’occasiondelapublicationofficielleparl’IASB d’un projet d’exposé-sondage (« Exposure Draft »). La comptabilité de couverture : un enjeu stratégique pour les directions financières au Luxembourg
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