Agefi Luxembourg - décembre 2025

AGEFI Luxembourg 10 Décembre 2025 Économie Quand les dynasties familiales réinventent le capitalisme Par FrançoisDORLAND, Cofondateur de BOARDS* E lle nemâche pas sesmots. Cette femme de caractère, à la tête d’un groupe familial au Luxembourg, lâche sa bombe sans préambule lors de notre déjeuner : « François, le capi- talisme estmort ! ». C’est un constat que partagent les économistes les plus avisés, les citoyens les plus lucides, et les entrepreneurs les plus conscients. Le capitalisme financier, celui qui dévoue tout au rendement trimestriel et à l’extractionde valeur, s’épuise. Il a montré sa face—crises récurrentes, inégali- tés galopantes, désenchantement collectif— et de plus enplus voient clairement qu’onne peut pas continuer ainsi. Mais ne confondons pas find’une ère avec find’une économie. Pendant que ce capitalismefinancier ago- nise, une autre économie respire et prospère en si- lence:celledesentreprisesfamiliales,quireprésentent 70 %de la richessemondiale et dominent particuliè- rement au Luxembourg. Ces entreprises — dirigées souventpardesfemmesetdeshommesconscientsde leurs responsabilités — portent une vision radicale- ment différente : celle d’une création économique au servicedulongterme,del’humain,desgénérationsà venir, et de l’environnement. C’est cettemutation profonde que nous nous propo- sons d’exposer ici. Entre l’épuisement du capitalisme financier et l’émergence d’un capitalisme familial ré- silient,basésurlagouvernanceresponsableetlatrans- mission de valeurs, se profile un nouveau contrat économique. Un qui ne renie pas la création de ri- chessemais l’enracine dans une sagesse collective. Posonsd’embléeunequestionquidérange:lecapita- lisme, tel que nous l’avons connu ces quarante der- nières années, est-il à bout de souffle ? Parce que les crises se succèdent, la financiarisation montre ses li- mites,etlespolitiquesd’assouplissementmonétaire– quelque20000milliardsdedollarsinjectésdansl’éco- nomiemondiale–n’ontpasréussiàrelancerdurable- ment la croissance. Dans ce paysage morose, une forme d’organisation économique résiste et même prospère : l’entreprise familiale. Dans un monde où le capitalisme financier vacille sous le poids de crises récurrentes, d’inégalités crois- santes et d’une financiarisation parfois débridée, les entreprisesfamilialesémergentcommeunmodèleré- silient et visionnaire. Représentant plus de 70 % des entreprises en Belgique et au Luxembourg, 71 % en France, et jusqu’à 80 % en Italie, elles in- carnentuncapitalismeancrédanslelong terme, capable de réconcilier perfor- mance économique et responsabilité so- ciétale. Mais disposent-elle du pouvoir de transformer l’Europe continentale, de Paris à Luxembourg, en laboratoire d’un nouveauparadigme ? Le grand retournement Revenons un instant en arrière. Pendant des décennies, la doc- trine de Milton Friedman a régné sans partage : la seule responsabilitéd’une entreprise est demaximiser leprofit pour ses actionnaires. Cettevisiona façonné l’économiemondiale, transformant les entreprises en machines à générer de la valeur trimestrielle. Le système capitaliste tel que nous l’avons connu de- puis quatre décenniesmontre des fissures qui ne se colmatent plus. Pas par idéologie,mais par les chiffres. Mais en août 2019, coup de théâtre : 181 dirigeants de grandes entreprises américaines signent une dé- claration s’engageant à créer de la valeur pour “tous les Américains”, et non plus seulement pour leurs actionnaires. Le paradigme friedmanien vacille. Ce qui frappe dans cette évolution, c’est que les en- treprises familiales n’ont pas attendu cette conver- sion pour pratiquer ce que certains observateurs nomment désormais le“capitalismedespartiespre- nantes”. Elles le font depuis toujours, par nature et non par stratégiemarketing. La performance par le temps long Les chiffres sont éloquents. Selon labasededonnées Carmignac Family 500, un investissement réalisé en 2004 dans une société familiale aurait presque triplé dix-huit ansplus tard, avecun tauxde croissancean- nuel moyen de 10,2 %, contre 7,9 % pour les entre- prises non familiales. Sur la période 2017-2022, les entreprises familiales ont généré un rendement aux actionnaires moyen de 2,6 % contre 2,3 % pour les entreprises classiques. Elles présentent un levier fi- nancier plus faible et une meilleure rentabilité, avec un returnon equity de 15,1%contre 13%pour les en- treprises non familiales. Comment expliquer cette performance ? Par unedif- férence fondamentalede temporalité. Les entreprises familialesne raisonnent pas en trimestresmais engé- nérations.Làoùuneentreprisecotéesubitlapression du résultat trimestriel, l’entreprise familiale peut in- vestir dans des projets àmaturité longue, développer des relations durables avec ses parties prenantes, et traverserlescrisessanscéderàlapanique.Cetteorien- tationtemporellelongueorienteprofondémentlesdé- cisionsstratégiques.Ellesaffichentégalementuneré- siliencesupérieurefaceauxcrises.Cetteperformance s’expliqueparplusieursfacteursstructurels:uneplus grande réactivité décisionnelle grâce àdes processus moins formalisés, des relations de confiance avec les parties prenantes, et l’accès à un “capital de survie” familial mobilisable en période de crise. Les entre- prisesfamilialeslicencientmoinsquelesautresencas deretournementdeconjonctureetoffrentàleursem- ployés une forme d’assurance contre le risque de perte d’emploi. Le territoire comme racine Ilyaquelquechosedeprofondémentsubversif,àl’ère de lamondialisationgénéralisée, dans l’ancrage terri- torialdesentreprisesfamiliales.EnFrance,72%d’en- treellesréalisentplusdelamoitiédeleursventesdans larégiondeleursiège.EnBelgique,leurpartd’emploi est comparabledans toutes les régions : 85%enFlan- dre,86%enWallonie.Cetenchâssementdansleures- pace régional et leur milieu social se traduit par un faible tauxde délocalisation. Au Luxembourg, où 79%des entreprises artisanales ont moins de 10 salariés, ces structures familiales constituent un vecteur de résilience et d’intégration socio-économiquenon-négligeable.Ellestransmettent lesvaleursfondamentalesinhérentesàl’activitéentre- preneuriale:laresponsabilité,lemérite,lacréativitéet l’autonomie. Dans un contexte où la mondialisation montre ses limites et où la relocalisation devient un enjeustratégique,cetancrageterritorialreprésenteun atoutmajeur. L’écueil de la transmission Toutefois, ne versons pas dans l’angélisme. Le capi- talismefamilialfaitfaceàundéfiexistentiel:latrans- mission intergénérationnelle.AuLuxembourg, il est prévu qu’un tiers des entreprises changeront de main au cours des 10 prochaines années, dont deux tiersd’entreprisesfamilialeset25%d’entreellesdans les 5 ans. Les étudesmontrent qu’il faut approxima- tivement 5 ans pour trouver un repreneur oumettre en place une succession. Entamé trop tard, ce pro- cessus conduit tragiquement à des cessations d’acti- vités d’entreprises saines. Les statistiques européennes sont alarmantes : seule- ment 30 %des entreprises familiales sont transmises à la deuxième génération, 12 % à la troisième et 3 % au-delà. En Belgique, 47 % des gérants d’entreprises artisanalesontplusde50ans.EnFrance,undirigeant dePMEetd'entreprisedetailleintermédiaire(ETI)fa- miliale sur quatre a plus de 60 ans, et 47 %des chefs d’entreprises familiales de 60-69 ans n’ont pas forma- lisé de plande succession. La gouvernance comme conditionde survie Pour que le capitalisme familial puisse effectivement contribueràtransformerlemodèleéconomique,plu- sieursconditionsdoiventêtreréunies.Lapremièreest la généralisation de pratiques de gouvernance avan- cées. La gouvernance des entreprises familiales pré- senteunecomplexitéuniquequinécessitedeconcilier troisdimensions souvent en tension : les intérêtsde la famille, ceuxde l’actionnariat et ceuxde l’entreprise. Le Luxembourg et la Belgique offrent des environ- nements particulièrement favorables à cette profes- sionnalisation. Le Luxembourg s'est positionné comme une destination privilégiée pour les family offices internationaux, avec plus de 100 single family offices et plus de 86 multi-family offices . EnBelgique, la chartepour les entreprises familiales est reprisedans le chapitre 8 du Code de gouvernance d'entreprise pour les sociétés non cotées (dit Code Buysse IV). Des activités à impact qui catalysent lemonde durable et performant Les entreprises familiales s’orientent progressive- ment vers l’investissement à impact, qui permet de concilier rendement financier et impact social ouen- vironnemental positif. Selon la banque UBS, 71 % des family offices sont engagés dans des activités philanthropiques, et 25 % sont actifs dans l’ impact investing . Pour un chef d’entreprise soucieux du temps long, mettre l’impact au cœur du projet in- dustriel constitue une façon d’enjamber l’étape cri- tique de la transmission en créant un projet fédérateur pour toutes les générations. Entre lafinanceà impact et les entreprises familiales, c’est à la fois un mariage de cœur et de raison. Les jeunes entreprises à impact ont besoinducapital pa- tient et de l’expérience des familles dirigeantes pour exprimer pleinement leur potentiel. Les entreprises familiales peuvent devenir des catalyseurs de la transformation en investissant massivement dans l’économie réelle à impact et en servant d’exemples demodèles économiques durables et performants. Unpotentiel transformateur sous conditions Le capitalisme familial n’est pas une panacée, mais un pilier essentiel pour une Europe post-financière. Dans le Benelux et en France, où il domine le tissu économique, il démontrequeprofit et biencommun peuvent coexister. À condition d’une gouvernance renforcée et d’un soutien public – fiscalité incitative, formations – il pourrait propulser le continent vers un modèle durable, résilient et inclusif. Dans ce dé- clin du vieuxmonde, les familles entrepreneuriales, de Bruxelles à Paris, portent l’espoir d’une renais- sance économique. Le parallèle avec la succession royale française nous guide vers une vérité profonde : chaque transition contient une promesse de continuité renforcée. Ce n’estdoncpasdedéclinqu’ils’agit,maisdemétamor- phose. Nous pouvons ainsi affirmer que si « le capi- talisme extractif est mort », nous saluons avec optimisme l’émergence du capitalisme familial, ce nouveaumodèleoùl’intérêtcollectifprimesurlarente individuelle. «Vive le capitalisme familial ! » *https://www.boards.lu/ Le capitalisme est mort ! Vive le capitalisme ! A t the 2025 PSF Conference, held on 4 December at Deloitte Luxembourg, lea- ding voices gathered to explore new trends and tackle the sector’s biggest challenges. Supportedby the newly released 2025 PSFRe- port fromDeloitte Luxembourg, the conference offered an insight- ful viewof a sector in transforma- tion—balancing consolidation with innovation, and tradition withdigital progress. The Professionals of the Financial Sector (PSF) are at the forefront of this transfor- mation. Over the past several years, the sectorhasmovedfromrapidexpansionto a phase of consolidation and specializa- tion.While the number of market partici- pants has declined, overall performance has improved—net results rose by 51.8% in 2024, and the sector nowemploys over 17,000 professionals, representing one- third of Luxembourg’s financial work- force. This progress reflects clear productivity gains and evolving business models, as Luxembourg’s robust regula- tory framework enables more PSF to be- come crypto-asset service providers, acceleratingdigital finance innovation. As the sector evolves, recent regulations arekeycatalystsforresilienceandinnova- tion.Amongthese,theDigitalOperational ResilienceAct(DORA),withitsbroadand systemicimpact,ispromptingfinancialin- stitutionstostrengthentheirmanagement oftechnologyrisksandincidentresponse. As emphasized by Laureline Senequier, Partner atDeloitteLuxembourg, akey re- cent development for this regulation has been the transition from passive to more active supervision by the competent au- thorities, characterized by on-site inspec- tions and thematic reviews. However, a Deloitte DORA survey conducted in spring revealed that just 50% of entities werefullycompliantwithincidentreport- ing—the most advanced of the four pil- lars—underscoring that digital resilience testing and third-party risk management are still work in progress and all four pil- larswill require continuous adaptation. DuringasessiononInvestmentTaxCredit Regime, CaroleHein, ManagingDirector at Deloitte Luxembourg, noted that Lux- embourg’sinvestmenttaxcredit(ITC)has recently been revamped, making it easier and more accessible for organizations to pursue digital and environmental trans- formationprojects. TheITCnowaimstoencourageinitiatives that go beyond mere regulatory compli- ance, fosteringgenuine innovationwithin companies. Under the updated scheme, the existing tax credit has been simplified and a new incentivized ITC rate of 18% hasbeenintroducedfordigitalorenviron- mentaltransformationprojects.Toqualify, companiesmust obtaineligibilityandan- nual certificates from the Ministry of Fi- nance. Careful planning is essential, as only expenses incurred after submitting the eligibility request are covered, and timely certification is required to ensure tax compliance. An insightful panel discussion examined the role of digital assets in reshaping the PSF industry, moderated by Thomas Campione,DirectorandDigitalAssetsAc- celeratorCentreinitiativeleaderatDeloitte Luxembourg, and joinedbyVasjaZupan, Head of Operations at Coinbase Luxem- bourg, Ami Nagata, Managing Director andAuthorisedManagerLuxembourgat ZodiaCustody,andJulieBourgeois,Head ofLegalandComplianceat6Monks(6M). Discussions highlighted a pivotal shift in thedigital assetsmarket fromexploration to execution, driven by regulatory clarity fromframeworkssuchasMiCA,national blockchain laws and the DLT Pilot Regime. This new landscape has paved theway for greater institutional participa- tion and attracted new market entrants, withopportunitiesemergingincrypto-as- sets as a new asset class in institutional portfolios, in investment funds tokeniza- tion, onchain security financing, and sta- blecoins for example. Thediscussionwentonremindingtheau- dience about theCommissionde Surveil- lanceduSecteurFinancier’searlymoveto supervisecrypto-assetsexchangesbackin 2016 and the continuous developments that followed, whichgave Luxembourg a crucial head start in understanding and regulatingdigitalassets.Thisproactiveap- proach also enabled the country to estab- lish clear, practical and flexible rules for alternativeinvestmentfunds(AIFs)invest- ingincrypto-assets,uniquelyallowingup to 100%direct or indirect exposure to the asset class, setting Luxembourg apart fromotherEuropeanjurisdictionslikeIre- landorGermany. Despite these advances, challenges re- main. We still observe a suboptimal level ofcomfortfromtraditionalfinancialplay- ers which remains a barrier to structural developmentofthemarket.Thatsaid,sig- nificant improvements have been noted from that perspective over the last 12-18 months. In parallel, operational risks and a shortageof experiencedprofessionals in control functions continue to test the sec- tor.Thepanelemphasizedtheimportance of collaboration between traditional fi- nance and digital assets specialists, up- skilling programs, and partnerships with pure players to bridge existing gaps. The future lies inhybridmodels,wherebanks partnerwithspecialistfirmsforcustodyor trading, leveraging DLT to modernize fi- nancialinfrastructurewhilestrengthening client relationships. Luxembourg’s regulatory approach and commitment to innovationposition it as a steady leader in the evolving financial landscape. The 2025 PSF Conference and report together provide a clear view of a sector adapting to digital transformation whilemaintaining its core strengths. PSF in the Era of Digital Transformation ©Deloitte

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