AGEFI Luxembourg - juin 2025
AGEFI Luxembourg 8 Juin 2025 Economie OPINION- Par JeanMARSIA (portrait), président, et François MENNERAT, membre de la Société européenne de défenseAISBL (S€D) D e nombreux politiciens euro- péens me semblent de plus en plus déconnectés des citoyens et des réalités et notamment Mme Mogherini, qui fut Haute Représentante de l’Union européenne (UE). Dans son discours à l’assemblée géné- rale de la section Belgiumde l’Union des Européens fédé- ralistes, qui s’est tenue le 7 juin dernier au Collège d’Europe à Bruges, dont Mme Mogherini est la rectrice depuis 2020, elle a dit en substance que l’UE est une puissance géopolitique. Selon Mme Mogherini, l’UE est perçue au niveau international comme un partenaire de premier plan et stabilisateur, souvent considéré comme le « parte- naire de choix » par les acteurs mondiaux en quête de prévisibilité, de légalité et de coopération. Elle a ditaussiquelacomplexitéinternedel’UEluipermet demieuxcomprendreetdereleverlesdéfisexternes, ce qui en fait un acteur particulièrement fiable dans un monde de plus en plus fragmenté. Pour elle, les principales sources de pouvoir de l’UE consistent en son pouvoir normatif, son soft power et sa crédibilité mondiale, et puis samonnaie forte et stable. Enfin, elle a souligné la capacité unique de l’UE à maintenirunepositioncentralesurlascènemondiale, en s’engageant de manière significative avec les acteursinternationauxmajeursetmineurs–unatout stratégique qui rend l’UE « incontournable ». Qu’est-ce qu’une puissance géopolitique ? La S€D constate qu’aujourd’hui, l’UE semble peser beaucoupmoinslourdsurlascèneinternationaleque la Turquie, parce que celle-ci a une autre conception dessourcesdepouvoirqueMmeMogherini;elleest plus conforme à la nôtre. La puissance géopolitique découle selon nous des facteurs suivants : la superficie du territoire et du domaine maritime ; la population et sa croissance ; l’innovation technico-scientifique ; la force de l’éco- nomie, de laproduction industrielle et ducommerce extérieur;lescapacitésmilitaires,entermesd’effectifs, d’équipements et d’opérationnalité, ainsi que les fac- teurs immatériels, comme les forces morales, l’apti- tude à gérer les crises et le soft power . Celui-ci est un utile complément au hard power , il ne constitue pas une source de pouvoir principale comme le pense MmeMogherini. La faiblesse de la position géopolitique de l’Europe estpourtantpatentedanslecontexteactueldegrande instabilité sur la scène internationale. La deuxième administration Trump privilégie les approches uni- latéralesoubilatérales;ellemetàmallagouvernance mondiale multilatérale que les États-Unis d’Amérique avaient fortement contribué àmettre en place après la Deuxième Guerre mondiale. La Russie, membre permanent duConseil de sécurité de l’ONU, a agressé militaire- mentdeuxpaysvoisins;elleviolelesprin- cipesfondamentauxdudroitinternational etdudroithumanitaire;ellefaituneguerre hybride à l’Europe. La Chine veut être la première sur la scène mondiale, économi- quement, militairement et politique- ment ; elle fait subir à nos indus- tries une concurrence déloyale et elle menace la liberté de navi- guer enmer de Chine. La superficie du territoire et du domaine maritime de l’Europe n’est pas négligeable, mais elle n’est pas non plus gigantesque ; l’Europe n’est que l’extrémité occi- dentale de l’Eurasie. La population européenne est vieillissante et elle ne représente plus qu’un pourcentage limité de la population mondiale. Faute d’avoir appliqué la stratégie de Lisbonne adoptée en 2000, l’innovation technico- scientifique est bien moindre en Europe qu’en Chine ou aux États-Unis d’Amérique. Les rapports deMM. Letta et Draghi ont une fois de plusmis en évidence le déclassement industriel, économique et financier de l’Europe. Les capacités militaires des États européens sont considérablesentermesd’effectifs,maisl’équipement de notremillion et demi demilitaires est disparate et l’opérationnalité de nos unités est douteuse, notam- ment à cause de la vacuité de nos dépôts de muni- tions. Notre dépendance croissante en matière de défense a été soulignée parM. Niinistö. UnConseil européendivisé L’égoïsmedenosdirigeantsfaitqu’ils’entrouvequasi toujoursaumoinsunpourempêcherlaprisededéci- sionauConseil européen. Il semble que les trois rap- portsprécitésontétéarchivésavantqueleursrecom- mandations ne soient suivies par des remédiations. Quant aux forces morales des Européens, comment pourraient-elles se renforcer en l’absence de vision d’avenir pour l’Europe ? Les membres du Conseil européen se soucient apparemment peu de l’intérêt général des Européens, mais beaucoup des intérêts des Étatsmembres. LesEuropéensontdûconstaterlamédiocreaptitude des institutions de l’UE à gérer les crises (financière, monétaire, migratoire, sanitaire, guerre en Ukraine, conflit en Palestine) qui se sont succédées depuis près de 20 ans. A titre d’exemple, rappelons qu’il avaitfallusixsemainesenavril-mai2020pourmettre enfinenœuvre ledispositif d’urgence que réclamait de manière pressante l’Italie. Or ce dispositif avait été organisé en 2002 par le règlement (CE) n° 2012/2002 du Conseil du 11 novembre 2002 insti- tuant le Fonds de solidarité de l’Union européenne, clarifiéensuitele13mars2020parleParlementeuro- péen et le Conseil « afin de fournir une aide financière aux États membres gravement touchés par une situation d’urgence de santé publique majeure ». Cet épisode est, parmi tant et tant d’autres, une manifestation écla- tante de l’incapacité des institutions de l’UE à pren- dre des décisions en urgence. UneCommission européenne mêle-tout, mais inefficace Le Green Deal , censé être l’acquis majeur de la Commission 2019-2024, se limite à un paquet de normes contraignantes supplémentaires qui ont rendu l’énergie plus coûteuse. Mme von der Leyen n’a pas eu lesmoyens de subventionner la transition vertecommel’ontfaittantlesÉtats-Unisd’Amérique du temps deM. Biden que laChine. Ce que Mme von der Leyen a réalisé entre 2019 et 2024, c’est la concentration progressive des pouvoirs entre ses mains, au détriment de la présidence du Conseil de l’UE et du Haut Représentant. Elle a évincélecommissairefrançaisM.Bretonquiluifaisait de l’ombre. Elle adivisé lesdossiers confiés auxvice- présidents pour qu’ils ne puissent pas agir dans un domaine important sans son accord formel. Elle a néanmoins été nettement mieux confirmée dans ses fonctions par le Parlement européen en juillet 2024 que pour son premier mandat, alors que le pro- grammedelaCommission2024-2029sembleinspiré par Mmes Meloni ouMM. Trump, Musk ouMilei : il consiste à déréguler dans les domaines sociaux, environnemental et numérique… En matière de migrations, Mme von der Leyen poursuit l’action menée avec le président Erdogan : elle distribue des dizainesdemilliardsd’eurosàl’ÉgypteetàlaTunisie pourqu’ellesempêchentlesmigrantsdequitterleurs pays ver l’Europe. Ellemaintient sonsoutienà Israël. Elle isole ainsi l’Europe des pays du Sud. Jusqu’à présent, Mme von der Leyen n’a su ni aug- menter les ressources financières des institutions européennes, ni renforcer la cohésion et la capacité d’actionde l’Union. Ellen'apaspurenouveler l’opé- ration Next Generation EU et emprunter de façon significative à l’échelle européenne, cette fois pour faire face à la crise énergétique causée par la guerre contre l’Ukraine (RePower EU), pour faire pièce à la Belt and Road Initiative chinoise (Global Gateway) et pour relancer la défense et l'industrie de défense européennes (ReArmEurope). Le programme SAFE de 150 milliards €, adopté le 27 mai 2025, première partie de ReArm Europe consiste en des prêts qui devront être remboursés par les États membres. SAFE permet d'emprunter avec un taux d’intérêt inférieur à ceux imposés aux États, mais dans la plupart des cas, la différence est minime et les pays où elle ne l’est pas sont ceux qui sont déjà surendettés. Le budget pluriannuel euro- péen2028-2034 risqued’êtreplus réduit que les pré- cédents, car il devra comprendre le remboursement des emprunts deNext Generation EU. Quel n° de téléphone faut-il former pour parler à l’Europe ? Force est de constater que la question posée par Henry Kissinger dans les années 1970 n’a toujours pas reçude réponse satisfaisante. La représentation extérieure de l’UE n’est l’apanage d’aucune de ses institutions qui, toutes en disposent d’un fragment, ce qui induit en permanence la confusion chez ses interlocuteurs. L’impuissance Mme von der Leyen fait qu’elle n’est plus crédible, ni vis-à-vis de Poutine, ni vis-à-vis de Trump, ni vis-à-vis des Européens. Il envademême de son commissaire européen à la défense, auquel les traités ne donnent aucune compétence dans ce domaine. Mme von der Leyen devrait cesser de se présenter comme si elle était la cheffe d’un gouver- nement de l’Europe : elle ne l’est pas. Dépourvue de légitimitédémocratique, l’UEn’est pasunÉtat et elle n’a pas de gouvernement. Elle n’est qu’une associa- tiond’États qui constitueune zonede libre-échange. Depuis près de sept décennies, la communication des politiciens nous induit en erreur. Ils ont imposé aux citoyens européens des Ersatz d’institutions démocratiques, comme un Parlement européen privé d’une part substantielle des attributions nor- males d’une assemblée législative. Il ne suffit pas d’un drapeau, d’un hymne, d’une devise pour éta- blir un État européen. Chargé par l’art. 15 TUE de « donner à l’Union les impulsions nécessaires à sondéveloppement et d’endéfinir les orientations et priorités politiques générales », le Conseil européen, constitué des chefs de gouverne- mentsdesÉtatsmembres, veille à ceque les gouver- nements et les partis nationaux conservent le vérita- blepouvoir,cequedémontrel’absencedepartispoli- tiques supranationaux, faute de base légale pour en créer un, Volt en a fait l’expérience. Cela empêche tout débat public européen transnational et renddif- ficile l’émergence d’une opinion publique euro- péenne, qui ne trouve guère que les sondages Eurobaromètre pour s’exprimer. De sadevise et duprincipede subsidiarité, l’UE tend àprivilégierleversant«diversité»parrapportàcelui d’uneunitédémocratique.Mêmedanslesdomaines présentés comme des modèles de coopération, comme le spatial, le principe « du juste retour » sur les contributions financières des différents États constitue un frein à toute véritable ambition com- mune et aux efforts pour augmenter l’efficience des dépenses publiques. C’est particulièrement le cas dans le domaine de la défense. En conclusion Pour assurer la prédominance du bien commun européen sur les intérêts particuliersdesÉtats natio- naux, pour que l’Europe puisse exister géopoliti- quement à l’échelle d’un monde devenu explicite- ment et résolument hostile, elle devrait devenir un État fédéral, régi par une constitution établissant clairement et démocratiquement les compétences respectives de ses organes, dans quelque domaine que ce soit, éliminant les empiétements et empê- chant les abus de pouvoir. Les multiples crises précitées auraient dû imposer de remplacer la gouvernance baroque de l’UE, ce mélangedeméthodes intercommunautaire et inter- gouvernementale, par un État fédéral, plus apte à faire face à de tels défis. Jusqu’à présent, il n’en a rienété,mais la S€Dpoursuit ses efforts afind’iden- tifier le premier gouvernement qui se laissera convaincre d’amorcer le processus fédératif. Le mois de juin comporte plusieurs anniversaires stimulants : le 17, en 1940, à Chartres, Jean Moulin résistait le premier à l’occupant ; le lendemain, sur la BBC, deGaulle lançait son appel ; le 20, en 1789, à Versailles, au Jeu de paume, les députés aux États généraux ont juré de ne pas se séparer sans avoir donné une constitution à la France. L’Union européenne, une puissance géopolitique ? L e ministre de l'Économie, des PME, de l'Énergie et du Tourisme, Lex Delles, a participé le 22 mai à la réunion du Conseil « Compétitivité » de l'Union européenne à Bruxelles, dédiée au marché intérieur et à la politique industrielle. Le vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, y a présenté la nou- velle stratégie de la Commission euro- péenne pour l'avenir du marché inté- rieur européen, qui constitue un cata- loguedemesures concrètes visant à sup- primer les barrières restantes et à encou- rager à la fois l'harmonisation et la sim- plification des règles. C'était l'occasion pour le ministre Lex Delles de constater que la probléma- tique structurelle des « restrictions ter- ritoriales de l'offre » fera enfin l'objet d'une solution au niveau européen. Il a rappelé l'urgence du sujet : « En privant les commerçants de la possibilité de s'approvisionner librement dans le pays de leur choix, les restrictions terri- toriales de l'offre créent des inefficacités qui se traduisent par un choix réduit de produits et des prix plus élevés pour le consommateur. » Selon une enquête ILRES réalisée en 2023, 77% des entre- prises luxembourgeoises citaient les restrictions territoriales de l'offre comme un problème et appellent de leurs vœux leur suppression. Selon les estimations de laCommission, ces restrictions génèrent annuellement un manque à gagner annuel de 14 mil- liards d'euros pour les consommateurs européens. Après de nombreuses années d'efforts entre autres du Luxembourg, la Commission a annoncé vouloir présen- ter une initiative pour supprimer ces pratiques injustifiées. « C'est un franc succès que de voir cette thématique désormais une priorité au niveau européen », a indiqué leministre. Il a en outre précisé que seule une action législative européenne permettrait de résoudre ce problème. Lors d'une entrevue bilatérale avec le vice-président exécutif Séjourné, Lex Delles a souligné qu'il est inacceptable que ces pratiques entraînent des prix plus élevés et un choix de produits plus limité pour les consommateurs euro- péens. Le sujet était également évoqué lors d'un échange avec le Vice-Premier ministre belge David Clarinval. Lors de ce Conseil « Compétitivité », les ministres ont également eu la possibilité d'échanger à propos des moyens pour mieux soutenir les industries euro- péennes à forte intensité énergétique comme l'acier, le ciment ou le verre. Dans ce contexte, Lex Delles a constaté que « le premier frein à la compétitivité, c'est le prix de l'énergie » et qu'il faut y remédier avec des investissementsmas- sifs dans les renouvelables. Il a égale- ment insisté sur lapossibilité de soutenir des projets de transition de décarbona- tion de l'industrie, entre autres via le nouveau cadre réglementaire enmatière d'aides d'État. Finalement, LexDelles rappelle qu'il ne suffit pas d'encourager la production de produits verts en Europe – encore faut-il garantir qu'il y ait des acheteurs. « Travailler sur la demande » à travers tous les secteurs est une condition sine qua non si on veut pérenniser la pro- duction industrielle en Europe. Source : ministère de l'Économie Conseil « Compétitivité » à Bruxelles « Le premier frein à la compétitivité, c'est le prix de l'énergie » ©MECO
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