Agefi Luxembourg - décembre 2025
AGEFI Luxembourg 8 Décembre 2025 Économie I nterviewexclusive deMariaCorina MACHADO, femme politique véné- zuélienne, principale opposante à NicolasMaduro, prix Sakharov 2024, prixNobel de la paix 2025. Réalisée par PatrickWAJSMAN, Directeur de Politique Internationale à Paris, et Catalina MARCHANT de ABREU, journaliste internationale TV à Dubai. Agefi Luxembourg remercie l’influente revue Politique Internationale dirigée par Patrick WAJSMAN de cette collaboration exceptionnelle Catalina Marchant de Abreu et Patrick Wajsman — Votre « Mani- feste de la Liberté » s’inscrit dans une longue trajectoire personnelle. Quel moment fondateur a façonnévotre concep- tionde la liberté politique ? Maria Corina Machado — Plus qu’un événement précis, c’est l’ensemble demon parcours qui m’a per- misd’apprendrelesensprofonddelaliberté.Comme tous les Vénézuéliens de ma génération, je suis née dans la démocratie. Nous en jouissions sans pleine- ment mesurer qu’elle pouvait disparaître. Tout a changélorsqueHugoChávez,unmilitaireputschiste, aétééluprésidentets’estmisàdémantelerlesinstitu- tionsdémocratiques. J’ai alors compris ceque signifie perdre la liberté. Ce basculement a bouleversé nos projets de vie et nous a contraints à tout donner pour reconquérir et défendre ce bien essentiel. C. M. deA. &P. W. —Dans votreManifeste, vous insistez sur la dignité individuelle. Pourquoi cet axe moral est-il central pour comprendre la crise vénézuélienne ? M. C. M. —D’abord, parce qu’on ne peut pas parler delibertéindividuelleoucollectivesil’onnereconnaît pas, en chaque être humain, cette dignité intrinsèque qui en fait un être rationnel, moral, unique et irrem- plaçable. Sans cette égalité naturelle, aucune égalité authentique n’est possible. Ensuite, parce que la crise danslaquellelechavismenousaplongésaprofondé- ment blessé notre amour-propre et notre identité na- tionale. Onnepeut résister àune catastrophe comme celle-ciqu’enpuisantdanscettedignité,cetteprofonde estime de soi, cet amour pour ce qui nous appartient. C’est pourquoi les Vénézuéliens se détournent des promesses électorales qui ne font miroiter que des avantages matériels, et sont de plus en plus séduits parlesdiscoursaxéssurlerétablissementdeladignité. C.M. deA. &P.W.—Àquelle occasion avez-vous décidéd’entrerenpolitique?Quandavez-voussenti qu’il vous revenait d’assumerunepart dudestindu Venezuela ? M. C. M. — Lorsque j’ai vu mon pays tomber aux mainsdeputschistes, deprêcheursdehaine, animés par la volonté de détruire notre histoire et nos insti- tutions.Audébut, j’ai pensé quema place était dans le combat pour la transparence électorale : ingé- nieure de formation, je me sentais utile dans ce rôle qui me permettait de mettre à profit mes compé- tences techniques. Mais très vite, j’ai compris qu’il fallait aller plus loin, et je me suis lancée dans une carrière politique à part entière. Je regrette parfois de ne pas l’avoir fait plus tôt. C.M. deA.&P.W.—Quelles sont les personnali- tés dont la réflexion et/ou l’action vous ont le plus inspirée ? M. C.M. —Il y en a beaucoup : les pères fondateurs denotre république libérale et indépendante ; des di- rigeants comme Havel, Walesa, Churchill, Thatcher, Golda Meir, ou Rómulo Betancourt (1) au Venezuela ; et, bien sûr, des hommes et des femmes extraordi- naires dema famille.Mais la grande référence dema vie restemonpère (2) . Unhomme visionnaire, intègre, généreuxetsage,quim’atransmisunamourprofond pourmon pays et un sens des responsabilités envers cemême pays. C.M. deA. &P.W.—Quel a été lemoment leplus difficile oùvous avez failli abandonner, et qu’est-ce qui vous a donné la force de continuer ? M. C. M. —L’un des moments les plus douloureux fut lorsque le régime Maduro m’a illégalement dis- qualifiée pour l’élection présidentielle de 2024, alors que j’avaisobtenu93%desvoixlorsdesprimairesde l’opposition en octobre 2023. Pourtant, je savais que j’avais reçu un mandat populaire clair, confié par ce pays que j’avais parcouru tant de fois et dont j’avais ressenti les souffrances au plus près. Je devais tout faire pour qu’un candidat démocrate puisse se pré- senter. Et nous y sommes parvenus avec celui qui est aujourd’hui le président élu, EdmundoGonzález. C. M. de A. & P. W. — La société civile vénézué- lienne peut-elle, seule, provoquer la chute du régime Maduro ? Dans l’affirmative, comment devrait-elle procéder pour atteindre ce but ? M.C.M. —NouslesVénézuéliensavonsépuisétous les moyens pacifiques et constitutionnels pour nous libérerde ce régimeprédateur et criminel. Il est souvent plus confortable pour le reste du monde d’ignorer les fraudes conti- nuellesdeMaduroetdenousencourager sanscesseàparticiperàdesélectionstota- lementcontrôléesparcerégimeautocra- tique. Mais nous avons compris, nous, qu’au-delà du cadre électoral nous avons à relever un défimonumental : ils’agitdemobiliseretd’organiser un pays tout entier pour sur- prendreetdéjouerlesystème. Voyez-vous, il ne suffit pas des recueillir des suffrages ; il faut aussi les défendre et prouver que l’ona réellement gagné.Précisément,plusd’un million de citoyens se sont portés volontaires, risquant leursbiens,leurfamilleetpar- fois leur vie pour défendre la souveraineté populaire. Nous avonsétabliunevéritableréférence mondiale en matière de transparence, d’organisation et de surveillance citoyenne. Àcettemobilisationsansprécédent le régimedeMa- duro a répondu par une répression d’une brutalité inédite dans notre histoire : plus de 2 500 personnes arrêtées, disparues, torturées ou assassinées — des crimescontrel’humanitédocumentésparlesNations unies. C’est du terrorismed’État. Lepeuple vénézué- lien n’est pas armé, mais il est déterminé. Et, je le ré- pète, il a le droit de revendiquer la démocratie et la liberté.Pourréussir,nousavonsbesoindel’organisa- tiondupeuple(quenousavons)etdusoutiendesdé- mocraties (qui s’accroît). L’union de ces deux forces nouspermettraderétablirlemandatpopulaireetsou- verain qui nous a été conféré par la victoire électorale du 28 juillet 2024. C. M. de A. & P. W. —Quel rôle l’armée peut-elle jouer dans cette transition ? Quelles sont les autres forcesinternessurlesquellesilestpossibledecomp- ter pour contribuer à l’effondrement du régime ? M. C. M. — La majorité des militaires souhaitent, commenous,unchangement.Ilsl’ontmontréendés- obéissantauxordresdeMaduroquiexigeaitquel’on expulse nos observateurs lors de la présidentielle et qu’on leur refuse l’accès aux procès-verbaux des ré- sultats. Une frange de la hiérarchie militaire, impli- quée dans des crimes graves, résiste encore. Mais nous sommes convaincus que l’institution dans son ensemble respectera bientôt son rôle constitutionnel etreconnaîtralerésultatdel’électiondu28juillet2024. Au-delàde l’armée, nouspouvons compter sur toute la puissance de la société civile, que je viens d’évo- quer:malgrélarépressionbrutaledurégime,lesVé- nézuéliens désobéissent chaque jour aux ordres injustes et inconstitutionnels de cette autocratie. Les criminels qui nous dirigent le savent et en ont peur. Aucun tyran ne peut gouverner durablement un peuple uni qui le rejette et qui, à travers chaque petit geste quotidien, s’organise en secret pour faire valoir sa volonté souveraine. C’est pourquoi je sais que les choses vont changer très bientôt. C.M.deA.&P.W.—Quelest,aujourd’hui,lepour- centage de «Maduristes » auVenezuela ? M. C.M. —Il nedépasseprobablement pas 10%. Ce chiffreinclutnombredefonctionnairesetdemembres du parti au pouvoir qui restent en place uniquement pour ne pas perdre leur source de revenus, ainsi que cette caste outrageusement corrompue qui bénéficie de privilèges construits sur lamisère dupeuple. C.M. deA.&P.W.—Quels acteurs internationaux vous semblent devoir jouer un rôle dans cette tran- sition ?Quel typede rôle ?Àcet égard, quepensez- vous de la contribution de Donald Trump à l’affaiblissement du régimeMaduro ? M. C. M. —Nous attendons de toutes les démocra- ties qu’elles condamnent immédiatement et avec force les violations des droits de l’homme et qu’elles appliquent les lois en vigueur contre les réseaux transnationaux de corruption, de narcotrafic, de contrebande d’or et de prostitution qui opèrent au Venezuela. Face à l’imminence de la fin du régime Maduro, nous avons besoin d’un soutien résolu à notre processus de libération et de transition ordon- néeversladémocratie.Lerôledel’Unioneuropéenne et des pays latino-américains est essentiel. En ce qui concerne l’administration Trump et les États-Unis, leurs intérêts, tels qu’ils ont été redéfinis récemment, convergent pleinement avec ceux du peuple véné- zuélien:noussouhaitonstousuncontinentpacifique, stable, libéré de l’influence de régimes autoritaires comme la Russie ou l’Iran. C. M. de A. & P. W. —Quelles seraient les étapes institutionnellesetpolitiquesdelatransitiondémo- cratique que vous appelez de vos vœux ? M.C.M. —Lapremièreétapeseralachutedurégime actuel, sous l’effet combiné des pressions internes et internationales. Nous aimerions que ce moment ré- sulted’unenégociation,maislerégimen’ajamaisres- pecté lemoindre accord. L’essentiel seradonc laprise de contrôle et la stabilisation de l’État par les démo- crates. Viendront ensuite cent jours décisifs : il faudra rétablir les politiques publiques de base (sécurité, in- frastructures,santé,éducation),obtenirrapidementla reconnaissance internationale dunouveau régime, et mettre en place une politique de coopération. Nous nous y préparons depuis des années : les plans et les équipes sont prêts. Leplus important seraque lesVé- nézuélienssentent,dèslepremierjour,dansleurcorps et dans leur âme, ceque signifie le retourde la liberté. C. M. deA. &P. W. —Quel type de justice transi- tionnelle faudra-t-il mettre en place ? Quel sort faudra-t-il réserver àMaduro et aux siens ? M. C. M. —Tout dépendra des conditions du chan- gement, mais les principes sont clairs : les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Les autres crimesserontexaminésàlalumièredelacontribution de leurs auteurs à la transitiondémocratique. Ce que je peuxvous garantir, c’est que le peuple vénézuélien aura le dernier mot. Ce qu’il réclame, ce n’est pas la vengeance,mais la justice. C.M. deA.&P.W.—Une fois aupouvoir, quelles seraient vos trois premières décisions, vos trois priorités ? M. C. M. —Avec le président élu EdmundoGonzá- lez, nous libérerons immédiatement les prisonniers politiques et rétablirons les libertés fondamentales : d’expression, d’association, de manifestation. Nous lancerons un vaste programme de transferts directs, sans conditions, vers les secteurs lesplusvulnérables. Parallèlement,nousassainironslesfinancespubliques (qui sont une véritable boîte noire !), restructurerons ladette et réintégrerons leVenezueladans le système financier international. Nous lèverons les contrôles abusifs, ouvrirons l’économie aux investissements étrangers et transformerons le Venezuela — au- jourd’hui plaque tournante du crime organisé — en puissanceénergétiqueettechnologiqueducontinent. C. M. deA. &P. W. —Concrètement, qu’attendez- vous de l’Europe et, spécialement, de la France ? M. C.M. —La France joueun rôledéterminant dans la politique étrangère de l’Union européenne. Nous attendonsd’elleunepositionferme,courageuseetco- hérente avec les valeurs de sa tradition républicaine. Lespossibilitésde coopérationentrenosdeuxdémo- craties augmenteront demanière exponentielle, dans tous les domaines. Rappelons que le Venezuela dé- tient les plus importantes réserves d’hydrocarbures de l’hémisphère occidental — un enjeu stratégique majeur à l’heure où une grande partie du pétrole mondialestcontrôléepardesautocratiesquil’utilisent pour exercer leur emprise sur les démocraties. C. M. de A. & P. W. —Quels devraient être, dans l’avenir, les alliés privilégiés d’un Venezuela rede- venudémocratique ? M. C. M. — Les pays d’Amérique latine, les États- Unis, le Canada, les Caraïbes et l’Union européenne. Israëlseraégalementunpartenaire-clé.Etnousentre- tiendronsd’excellentesrelationsaveclesgrandespuis- sancesasiatiquesetmoyen-orientalesquirespecteront notre volonté souveraine de vivre en liberté. C.M. deA. &P.W.—Comment envisagez-vous le retourdesmillionsdeVénézuéliensdeladiaspora? M. C. M. — Les Vénézuéliens de la diaspora repré- sententuneforceimmense—prèsd’untiersdelapo- pulation. La plupart ont quitté le pays il n’y a pas si longtemps. Certains ont fait leur vie ailleurs, mais la grandemajoritésouhaiterentrer.Tousontlanostalgie de leurs origines, de leurs traditions, de leurs familles et de leurs foyers. Ils sont conscientsdesopportunités qu’offrira un nouveau Venezuela doté d’un régime démocratiqueetd’uneéconomielibre.L’Étatleurou- vrira toutes les portes pour faciliter leur retour et leur permettre de participer à la reconstruction du pays. Ils reviendront riches de leur expérience, porteurs de savoirsetdeculturesmultiplesquicontribuerontàre- vivifier la nation. C. M. deA. &P. W. —Selon vous, la communauté internationalen’a-t-ellepasété,jusqu’àprésent,trop indulgenteenverslerégimeMaduro?Qu’aurait-elle dû faire de plus ? M. C. M. — Trop souvent, les Vénézuéliens ont été déçus par l’attitudede la communauté internationale faceàcerégimecriminel.Àprésent,pluspersonnene peut prétendre ignorer la réalité : toutes les organisa- tions de défense des droits humains ont dénoncé ses crimes. Le plus douloureux, c’est que même certains pays démocratiques historiquement proches du Ve- nezuela n’ont pas été à la hauteur. C’est également le cas de pays d’oùproviennent lesmilliers d’exilés que nous avons accueillis sur notre sol. Heureusement, nous avons aussi trouvé des alliés sincères, des com- pagnons dans la lutte pour la liberté auxquels nous sommes profondément reconnaissants. À tous nous demandons trois choses : 1. Respecter notre souveraineté, exprimée dans les urnes le 28 juillet 2024.AuVenezuela, la souveraineté appartientaupeuple,etnonaurégimeusurpateurde NicolásMaduro. 2.Appliquerlaloi,danstoutesarigueur,contrelesdi- rigeantscriminelsdurégime,dontbeaucoupontvolé d’énormes sommes d’argent et acquis des propriétés dans des pays démocratiques. 3. Ne pas exiger des Vénézuéliens ce que les citoyens de n’importe quelle démocratie n’accepteraient pas chez eux. C.M. deA. &P.W.—Quelle a été votre première pensée lorsque vous avez appris que l’on vous décernait le prixNobel de la paix ? En quoi et au- près de quels acteurs ce prix Nobel donnera-t-il plus d’efficacité à votre action courageuse ? M. C. M. — J’ai d’abord eu une réaction de surprise totale, et j’avoue que j’ai encore de la peine à y croire. J’interprète cette récompense comme la reconnais- sance des exploits historiques de tout un peuple. Je pense aux visages, aux histoires, aux actes de bra- vourede ceuxque je connais et que j’admire, auxpri- sonnierspolitiques,etàtousceuxquisontpersécutés, aux Vénézuéliens anonymes dont le courage et l’amour m’inspirent chaque jour et auxquels je vou- draisrendrehommage.Ceprixplacenotreluttepour la liberté, ladémocratie et lapaixparmi les causes les plus importantes du monde. Il renforce aussi notre capacitéàobtenirunsoutienaccruauseindumonde démocratique. Et il adresse un avertissement à tous les autocrates et dictateurs, au Venezuela et dans le monde entier. 1)RómuloBetancourt,présidentdelaRépubliqueduVenezuela 1945-1948 et 1959-1964, souvent décrit comme le « père de la dé- mocratievénézuélienne» 2) Henrique Machado Zuloaga, homme d’affaires dans la sidé- rurgie Mon combat pour la liberté L a Cour des comptes a été saisie pour avis sur le projet de budget de l’État 2026 et sur la programmation finan- cière pluriannuelle 2025-2029. Son analyse porte sur la situation financière générale de l’État, l’évolution de la dette publique et la soutenabilité des finances publiques. Concernant les recettes, la Cour critique laméthode dugouvernementluxembourgeoisquienvisageune nouvellebaissede l’Impôt sur leRevenudesCollec- tivités (IRC) sansprésenterune évaluationcomplète de ses effets économiques, se limitant à chiffrer la pertederecettesfiscales.Ellesouligneégalementque les recettes issues des carburants fossiles et du tabac neconstituentpasdessourcesdurables,carellessont encontradictionavec les objectifsde santépublique, climatiques et européens. La Cour recommande donc une diversification de la base fiscale, notamment par desmesures comme une taxation du sucre, combinant objectifs sani- taires et budgétaires. Ducôtédesdépenses,laCourconstatequel’effortde défense reste insuffisant à moyen terme. Si les pré- visionspour 2026permettent d’atteindre l’objectifde 2%duRevenuNationalBrut(RNB)fixéparl’OTAN, aucune trajectoire claire n’est prévue pour atteindre 5 % du RNB à l’horizon 2035, ce qui conduit à une sous-estimation des déficits budgétaires futurs. Enfin, sur la dette publique, la Cour regrette l’ab- sence d’une véritable stratégie de rééquilibrage budgétaire à court et moyen terme, estimant que les projections actuelles ne suffisent pas à garantir la résilience des finances publiques face aux crises futures et aux défis climatiques. L’avis de la Cour est téléchargeable sur www.cour-des-comptes.lu Source : Cour des comptes Avis de la Cour des comptes sur le budget de l’État 2026 Des risques budgétaires sous-estimés ©chd.lu
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