Agefi Luxembourg - octobre 2025

Octobre 2025 45 AGEFI Luxembourg Informatique financière U ne conférence en ligne a été orga- nisée par Michel de Kemmeter, fondateur de Kairos Multisolutions by Club of Brussels. Les participants étaient : ChristianGhymers , vice-président de Robert Trif- fin International, professeur d’économie à l’ICHEC Brussels Management School, Harry Lars Ghillemyn , avocat et co-fondateur de Luxembourg House of Web3, cercle d’acteurs spé- cialisés en cryptomonnaies et blockchain, Olivier Lefebvre , président de Climact, fondateur de Permaprojects, Bernard Snoy , président de Robert Triffin Interna- tional, Frédéric Van Weyenbergh , co-fondateur et admi- nistrateur délégué de quantonomiQs (finance quantique), et Adelin Remy , éditeur, Agefi Luxembourg. La monnaie numérique de banque centrale, ou cen- tral bank digital currency (CBDC), est la forme nu- mérique de monnaies émises par les banques centrales. Il s’agit de l’équivalent du cash sous une forme électronique, et qui fait donc partie de la base monétaire. Aux États-Unis, le président Trump a in- terdit l’émission de CBDC dans un de ses premiers ExecutiveOrders(n°14178)le23janvier2025.L’avan- tage d’une CBDC est d’offrir gratuitement tous les bénéficesd’unemonnaieélectronique,c’est-à-direde rendrelespaiementsinternationauxéquivalentsàdes paiements nationaux, sans coût d’intermédiaire, ni aucunrisquedeliquiditénidebanquier,avecuneffet d’intégrationfinancièregratuitepourlespopulations non-financiarisées (plus besoin de compte bancaire, plus de frais de transfert) et qui offre aussi toute la flexibilitédegestiondespaiements(programmation, conditionnalité etc.). Il a été rappelé que le stablecoin est une catégorie de cryptomonnaie conçue pour combiner les avantages des technologies « blockchain » avec la stabilité de monnaies traditionnelles. Concrètement, il existe des stablecoins dont le prix est arrimé soit à une autre cryptomonnaie, soit àunemonnaiefiduciaire, ouen- core à un produit négocié en bourse (comme lesmétauxprécieuxoulesmétauxindustriels).Lesta- blecoinestdonc,commesonnoml’indique,unecryp- tomonnaie stable. Elle est généralement émise par le secteur privé et ne fait paspartiede labasemonétaire (c’est-à-diredupassifdelabanquecentrale).Enoutre, pour assurer sa crédibilité, elle doit être couverte à 100 % par des actifs liquides (T-bills et dépôts ban- caires)mobilisablespourpouvoirrembourseraupair, le cas échéant, les détenteurs de ces stablecoins. Par rapportàuneCBDC,unstablecoinoffrelesavantages d’une cryptomonnaiemais n’est pas gratuite ni aussi crédible en raisondu risque d’intermédiaire. Cette conférence est organisée par Michel deKem- meter , fondateur du stablecoin Kairos qui sera ar- rimé audroit de tirage special (DTS)/ special drawing right (SDR) ). Ce panier de monnaies - DTS/ SDR – est l’instrument monétaire international créé par le Fondsmonétaire international (FMI) lors dupre- mier amendement aux statuts en juillet 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Lors du deuxième amendement voté en 1978, « les membres s’engagent à collaborer avec le Fonds et entre eux pour faire du DTS le principal instrument de réserve du systèmemonétaire inter- national » (Art. VIII et Art. XXII). LeKairos,unDTSstablecoincrééeparleClubofBrus- sels, ne pourra être utilisé que pour des projets de ré- génération environnementale et socio-économique. Michel de Kemmeter (MK) : Le Kairos va avoir un double sens positif : 1° l’hyperstabilité avec les cinq monnaies du DTS ($, €, £, yen, renminbi) et à terme l’objectifcommund’ouvrircepanieràd’autresmon- naies comme le franc suisse, la couronne norvé- gienne, le Hong Kong dollar, la roupie et d’autres monnaiesBRICS.;2°leKairosvacréeruneéconomie plus complémentairequeparallèlepourdonnerune résilience à l’économie dite traditionnelle en ayant unemarketplace àprojetsd’éducationà la régénéra- tion socio-économique, de reforestation, de cleanup environnemental -menant à résilience et autonomie alimentaire, énergétique, eau, face aux chocs. AdelinRemy (AR) :Merci.Avant d’entrer dans levif du sujet, rappelons la différence entre stablecoins et monnaies numériques de banque centrale (CBDC). ChristianGhymers (CG) : Stablecoin et CBDC utili- sentdestechniquesproches(blockchainnotamment), mais la différence est fondamentale. -Une CBDC est l’équivalent d’unemonnaieofficielle garantieparlabanquecentrale,elleestunedetteàvue de celle-ci et fait donc partie de la base monétaire, comme toutemonnaie de banque centrale. - Un stablecoin est un équivalent de monnaie com- merciale,mais n’appartient pas à la basemonétaire. Ce n’est donc pas comparable : le stablecoin est un second best , avec des implications macroécono- miques très différentes. AR : Pour simplifier : les stablecoins sont privés, les CBDC publiques. C’est juste ? CG : Tout à fait, et donc un stablecoin sera toujours moins crédible (plus risqué) que la monnaie à la- quelle elle est ancrée, et donc forcémentmoinsfiable qu’une CBDC émise dans la même monnaie. Par ailleurs, le DTS n’est pas exactement une monnaie, mais un panier de monnaies de réserve, donc un droit d’obtenir l’une ou toutes les cinq monnaies composant ce panier. FW : À l’avenir, un stablecoin pourrait voir le jour. RobertTriffinInternationalproposed’ailleursunsta- blecoinadosséauDTS, pour offrirunealternativeau projetaméricainquiseraitnécessairementplusstable car les fluctuations de change entre les cinq princi- pales monnaies de réserves (dollar, euro, renminbi, livre et yen) se compensent arithmétiquement. BernardSnoy (BS) : Le stablecoinpeut être émispar une entité qui n’a pas nécessairement un objectif privé de profit, par une fondation philanthropique. C’est le casdustablecoinSMP€ émis enAutrichepar une association sans but lucratif dédiée à l’intégra- tion européenne en conformité avec la loi autri- chienne et la réglementation européenne. FW : J’ajouterais deux avantages : - La neutralité géopolitique grâce au panier diver- sifié. - La réductiondurisquede change , par rapport aux stablecoins uniquement en dollars. CG : Le dollar stablecoin que l’administration Trump envisage de mettre en pratique est réelle- ment un axe essentiel de sa politique agressive pour renforcer la domination du dollar au niveau géopolitique. Par contre, le DTS stablecoin serait précisément un concurrent plus performant du point de vue de la stabilité grâce, par définition, au panier de référence. Pratiquement, ça garantit qu’il n’y aura aucune perte de valeur alors que le dollar s’inscrit dans un trend de dévalorisation qui est voulu officiellement par l’administrationTrump et a été annoncé d’ailleurs par StephenMiran dès fin novembre 2024. La dollar stablecoin vise en fait à renforcer ce qu’on appellele«dilemmedeTriffin»,c’est-à-direpomper l’épargnemondiale pour permettre à la consomma- tion américaine d’encore gagner un certain nombre d’années sur le dos du reste du monde. Ce sera un coût collectif énorme que j’appelle un missile dirigé contre l’ordre international monétaire puisque les États-Unis vont capter encore plus d’épargne mon- diale que ce n’est le cas actuellement avec tous les coûts collectifs que cela signifie, notamment unobs- tacleparticulièrementgraveaufinancementdeladé- carbonation et du développement durable. C’est pourquoi nous pensons chezRobert Triffin In- ternational qu’il faut absolument trouver une ré- plique. Or actuellement, onne voit pas grand-chose venir du point de vue européen ou même ailleurs comme réponse à cettemenacedudollar stablecoin. On est en train de perdre la course, celle de l’euro digital et de l’ensemble des CBDC qui auraient pu permettre de défendre la souveraineté monétaire menacée par le dollar stablecoin. Depuis le 23 jan- vier 2025, l’ordre présidentiel a été d’interdire une CBDC aux États-Unis et de concurrencer toutes les CBDC possibles ailleurs par le dollar stablecoin en prétendant que ça offre lesmêmes possibilités tech- nologiques, ce qui techniquement paraît vrai mais en réalité est tout à fait faux puisque le dollar sta- blecoin est unmoyendefinancer le trésor américain et des intérêts privés. Si je peux élaborer là-dessus, il y aura un transfert de l’épargne européenne, des dépôts européens pour financer les dollar stablecoins : les dépôts pas- sent des banques sur les blockchains à laplacedefi- nancer l’économie réelle en Europe et dans le monde. C’est une attaque à la fois de l’épargne de chaque région non-dollar et c’est également extrê- mement pervers pour l’ensemble des banques qui ne sont pas en dollar. Donc c’est un renforcement des banques américaines. Donc c’est une forme d’impérialismemonétairequi est inouïe. C’est du ja- mais vu dans l’histoiremondiale. Un stablecoin adossé au DTS du FMI permettrait donc de proposer une alternative plus stable et cré- dible. BS :N’oubliezpasquec’estuninstrumentdevassali- sation,uninstrumentpourperpétuercequelesAmé- ricains ont découvert avec délice ces vingt dernières années.C’estlapossibilitédesanction.Cepourraitêtre l’utilisation, l’instrumentalisation systématique des paiementsetdesplacementsendollarsdanslemonde entier, pour obliger les États à se soumettre aux posi- tions de la politique étrangère des États-Unis. On l’avaitvudéjàdanslessanctionscontrel’Iran,évidem- ment, on le voit dans les sanctions contre laRussie. FW : On privatise aussi certaines prérogatives de la Fed. AR : Mais comment peut-on comparer le stablecoin quisembleresterdansledomaineprivéaveclaCBDC qui elle est publique mais qui pourrait être utilisée à des fins publiques qui ne sont pas désirées par les in- dividus. Par exemple, ce qui semble se passer, selon certains, en Chine. Donc comment est-ce qu’on peut établirunecomparaisonentrelesdeux?Qu’est-cequi est bien et qu’est-ce qui n’est pas bien ? CG : Techniquement ce que font lesChinois, c’est en fait à mon avis ce que Trump s’apprête à faire mais demanièreprivée.Donc auniveauchinois, c’est une dictature politique officiellement. Le stablecoin de Trump, ce sera une dictature privée au bénéfice de quelques happy few et de certaines entités multina- tionales. De toute manière, que ce soit public ou privé, le contrôle dépend si on est démocratique ou pas. C’est-à-dire s’il y a transparence et des orga- nismesde contrepouvoir et des réglementations qui protègent les intérêts privés et les données privées. Olivier Lefebvre (OL) : Question, le projet d’euro digital (NdlR : CBCD de la Banque centrale euro- péenne) est-il à l’arrêt ou abandonné ? CG : Le projet est pour lemoment freiné, semble-t-il, par le Parlement européen parce qu’il faut légiférer, c’est un domaine sensible et le Parlement européen traîne les pieds. Par ailleurs, il semblerait que ça soit le cas de beaucoup de banques centrales, y compris laBCE,saufprobablementMmeLagardequipousse pour l’euro digital. Il est fort possible que les risques de cybersécurité ne soient pas encore suffisamment balisés pour se lancer de manière accélérée dans l’émissionde l’eurodigital (notamment face auxme- naces précises de cyberguerre de puissances étran- gères). Les Anglais également ont changé leur fusil d’épaule puisqu’après un démarrage sur les cha- peaux de roue à l’époque de Mark Carney (NdlR : gouverneurdelaBanqued’Angleterre2013-2020,au- jourd’huipremierministreduCanada),c’estmainte- nant beaucoup plus timoré. Il semble y avoir un certainconsensusdeprudencequin’estpasétonnant de lapart des banques centralesmais c’est inquiétant parce qu’on va être pris de vitesse par le dollar sta- blecoin. Les émetteurs privés de dollar stablecoins pourraient générer des revenusprivés chaque année vers 2030 de l’ordre de 60 à 90milliards de dollar. OL : Pour réussir, Kairosdoit atteindreviteune taille critique. Quelle est la stratégie de lancement ? CG: Ilfautunconsortiumbancairesolide.Lepotentiel financieresténorme:lesrevenusdesréserves(comme lesT-billspourlesstablecoinsendollars)représentent desmilliards.Concrètement,l’émetteurprivédessta- blecoins bénéficie directement des revenus générés par les T-bills et dépôts maintenus en garantie. Mais les banques européennes tardent à semobiliser. MK : La stratégie est double : d’enhaut, via leWorld Regeneration Forum (NdlR : le forum international organisé à Bruxelles par Club of Brussels et Diplo- maticWorld ), nous avons accès à des États ; d’enbas, nous créons une marketplace de projets et services échangés enKairos. L’écosystème permet aux com- munautés de régénérer leurs terres, de recevoir du Kairos, et de créer un cercle vertueux. FW : Le grand public, les gouvernements et même les banques connaissentmal leDTS et ses avantages. Il faut un travail de sensibilisation. Et il faut aussi as- surer la liquidité : entrer dans la blockchain est facile, ensortirversl’euroouledollarl’estbeaucoupmoins. MK : EnAfrique, nous avons testé l’idée : les com- munautés voient le Kairos comme « leur propre monnaie », utile à financer leurs projets et échanges entre pairs. Cela crée une forte attractivité. Reste la question de l’échangeabilité, qu’il faudra traiter dans le cadre des règles MiCA (NdlR : Markets in Crypto-Assets Regulation). Harry Lars Ghillemyn (HLG) : MiCA distingue deux choses : les stablecoins et les prestataires de services crypto, soumis à licence d’ici 2026. Le Luxembourg a attiréde grands acteurs commeRip- ple ou Coinbase, mais très peu de stablecoins en euros existent, car le dollar bénéficie d’une liquidité bien supérieure. Aux conférences internationales, on constate que les stablecoins américains servent surtout les intérêts financiers et le pouvoir d’une élite, tandis que l’Europe garde l’avantage de la cré- dibilité et de la transparence. EnEurope, ilmanque surtout une infrastructure numérique ( cloud , data centers , échanges). Même avec une CBDC, les échanges passeraient encore par des infrastructures américaines. MK : MiCA impose une transparence totale des transactions, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis. HLG : Exact. D’ailleurs, les projets privilégient sou- vent les États-Unis car leurs règles sont plus opaques, ce qui peut attirer certains investisseurs problématiques. FW : Aux États-Unis, la dérégulation encouragée par Trump favorise un usage parallèle des block- chains, alors que l’Europemise sur la transparence. Cela pourrait devenir un avantage. CG : Trump est allé plus loin : il a interdit le déve- loppement d’une CBDC en dollars et supprimé les règles de contrôle anti-blanchiment. BS : Difficile de lutter contre un système qui favo- rise le blanchiment et l’exonérationfiscale, face à un modèle régulé comme celui de l’Europe. FW : Et les stablecoins en dollars sont concentrés entre deux acteurs américains. CG : Oui, près de 99,5 %dumarché. HLG : Mais la monnaie reste liée à la souveraineté et à la force militaire. Comment imaginer que des pays utilisent massivement un stablecoin dollar sans protection locale ? Cela pose question sur la soutenabilité à long terme. MK : Kairos veut justement être unemonnaie por- teuse de valeurs éthique et de finalité positive. OL : Le choix américainne doit pas nous paralyser. Au contraire, si leur cadre perd en crédibilité, l’Eu- rope peut devenir un refuge. Il faut cependant créer rapidement unemasse critique transactionnelle, en s’appuyant sur de grandes banques. Sans cela, Kai- ros mettra trop longtemps à émerger. FW : Revenons à l’essence du projet : Kairos doit fi- nancer l’économie régénératrice, pas seulement réa- gir aux États-Unis. CG : Mais attention : si les stablecoins en dollars se développent comme attendu (on parle de 2 à 3 tril- lions de dollar d’ici 3 ou 4 ans), cela pourrait frag- menter le système monétaire mondial et nuire à la transmission de la politiquemonétaire américaine, avec des risques systémiques majeurs. MK : D’où l’intérêt de créer une alternative rési- liente. AR : Un stablecoin doit être collatéralisé. Le DTS, adossé aux principales devises, pourrait être une base intéressante, surtout face au désengagement de certains pays vis-à-vis du dollar. OL : Restons concentrés sur le DTS : ce n’est pas parfait, mais c’est un cadre officiel et reconnu. Évi- tons de bricoler avec d’autres pondérations. FW : Kairos doit se distinguer comme un stablecoin réellement stable et résilient, contrairement auxmo- dèles américains. CG : Kairos a aussi un sens éthique et économique : il vise la durabilité, alors que le dollar stablecoinde Trump ne cherche que le profit. MK : En résumé : les intentions sont diagonalement opposées. Kairos veut régénérer la planète et créer une valeur durable. D’où l’urgence de trouver des alliés pour passer à l’échelle supérieure. La commu- nicationdevra insister sur les bénéfices concrets, les premiers résultats et la gestion des risques. AR : Merci pour cette échange très intéressant et très riche qui souligne les différences possibles entre monnaies publique et privée, entre les approches américaine et européenne et explique très bien ce qu’est le stablecoin Kairos. Table ronde : Guerre des monnaies, Kairos Stablecoin

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