Agefi Luxembourg - avril 2025

AGEFI Luxembourg 40 Avril 2025 Droit / Emploi L e télétravail, marginal avant la pandémie de Covid 19, s’est considérablement développé durant cette période. Depuis, sa pratique a diminué sans toutefois redescendre au niveau qui était le sien avant la pandémie. Le télétra- vail a ainsi durablement marqué la pratique du travail salarié en Eu- rope. Qu’en est-il de sa réglementation, natio- nale et européenne ? Poser cette question invite à aborder successivement deux points de vue : - L’absence -relative- de règles euro- péennesde coordinationen lamatière est denature à menacer l’unité dumarché intérieur de l’emploi. - Chaque État membre, par ses réglementations im- pératives, cherche à protéger les salariés en situation de télétravail sur son territoire. L’absence relative de règles européennes en matière de télétravail et le risque ainsi causé à l’unité dumarché intérieur de l’emploi État des lieux de la réglementation européenne 1. L’accord-cadre de 2002 Danslecadredel’Unioneuropéenne,letélétravailest juridiquement défini par l’article 2 de l’accord cadre du16juillet2002.Celui-cisecaractériseparlaréunion destroiscritèrescumulatifs:unerelationdetravailsa- lariée(sous-entendunliendesubordination),laréali- sation régulière hors de l’entreprise d’une mission normalementréaliséedanslelocaldecelle-ciainsique l’usage,pourcefaire,desnouvellestechnologies.C’est en application de l’article 155 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) que cet ac- cord cadre du 16 juillet 2002 a été établi et signé par des partenaires sociaux européens. Les règles de cet accord cadre visent à protéger le salarié en lui assurant lesmêmes droits que les sala- riés présents dans l’entreprise, en le protégeant contre le risque de surveillance accrue et en faisant peser sur l’employeur la charge de la fourniture et de l’entretien des outils numériques utilisés. Cet ac- cord-cadre est néanmoins, en lui-même, dénué de force juridique obligatoire car seuls les accords col- lectifs signés auxniveauxnationaux (en application des règles propres à chaque État), reprenant cet ac- cord, sont contraignants. Sur le fond, ce texte, adopté près de 20 ans avant la pandémienesauraitrefléterlesattentesprofondesdes salariés sur ce sujet ; les représentants des em- ployeurs qui en sont les cosignataires ne dispo- saient pas encore de l’expérience significative rapidementacquiseàlasuiteduconfinementmas- sif des années 2020 et 2021. 2. La directive européenne 2019/1158 procède à une harmonisation limitée des règles nationales applicables enmatière de télétravail La directive européenne 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin2019 concernant l’équilibre entre vieprofessionnelle et vieprivéedespa- rents et des aidants et abrogeant unedi- rective 2010/18/UE , énonce que certains travailleurs ont ledroit dedemanderdes formules souples de travail, y compris le recours au travail àdistance, àdes horaires de travail souples ou à une réduction du temps de travail (article 3 de la directive). Cette directive, considérée comme « catégorielle » - même si le statut de parent de jeunes enfants touche un grand nombre de travailleurs- n’est toutefois pas suffisante à faire considérer l’existence d’une règle- mentationeuropéenne concernant le télétravail ; lafi- nalité de cette directive ( cf. notamment son considérant n° 16) consisted’ailleursplus à lapromo- tiondel’égalitéentrehommesetfemmesqu’audéve- loppement du télétravail à titre de politique sociale. Depuis la pandémie, et en raison des évolutions contraintes qui en ont découlées, les autorités euro- péennes n’ont amendé qu’une seule règle contrai- gnante applicable au télétravail, celle afférente à la détermination de la loi nationale applicable à la pro- tection sociale d’une personne travaillant au sein de plusieursÉtatsmembres.Ils’agitdel’accord-cadredu 1 er juillet 2023 sur le télétravail transfrontalier. 3. L’accord-cadre en application de l’article 16, para- graphe 1, du règlement (CE) n° 883/2004 en cas de pratique habituelle du télétravail transfrontalier de 2023 du 1 er juillet 2023 Il est nécessaire, pour comprendre le sens de cet ac- cord-cadre,derevenirsurlesrèglesessentiellesdéter- minant la loi nationale applicable à la protection socialedestravailleurseuropéens.LeRèglement (CE) n° 883 /2004viseà faciliter le travail transfrontalier au sein de l’Union en posant le principe qu’un travail- leur ne peut être soumis qu’à une seule législation de sécurité sociale. Cette législation est, pour un tra- vailleur salarié, celle du pays où il travaille (la légis- lationde l’État de sonemployeur) et ce, quel que soit le pays où il réside (article 11 paragraphe 3 petit a). DanslecasoùunsalariétravailledansplusieursÉtats, ce salarié est alors, par exception, soumis à la législa- tion de sécurité sociale de son État de résidence. Le règlementde2004prévoyaittoutefois«uneexception à cette exception » : dans le cas où le travail effectué dans son pays de résidence ne dépassait pas 25%de sontempsdetravailtotalouquelesrevenusainsiac- quis ne dépassaient pas 25% de ses revenus totaux, le salarié restait soumis à la législationde sécurité so- cialedesonemployeur.Appliquéeautélétravail,cette règlepermettaitàunsalariéeuropéendetélétravailler dans un autre pays que celui dans lequel il travaillait habituellementsansavoiràchangerdeprotectionso- ciale, sous réserve que ce télétravail ne dépasse pas les 25%précités. L’accord-cadredu1 er juillet2023augmenteceseuilde 25% à 50%, autorisant des périodes de télétravail transfrontalier plus longues sans changement de lé- gislationsociale.Cettemodificationreposesurl’article 16duRèglement, qui permet des accords entre États membres pour des cas spécifiques. Cette évolution dépend cependant de l’acceptation des États mem- bres ; à ce jour, laFrance, leLuxembourg, laBelgique et l’Allemagne l’ont adoptée. L’existence d’une « soft law » européenne applicable aux autres aspects du télétravail Malgré cette absence de coordination européenne contraignante, le Comité économique et social euro- péen (CESE) a établi un avis le 24mars 2021. (1) Le CESE insiste pour que le télétravail reste volon- taire et réversible et que les télétravailleurs bénéfi- cient des mêmes droits que leurs collègues sur site, notamment en termesde santé, sécurité et droits col- lectifs. Il identifie des risques pour la santémentale, l’isolement et ladifficulté àdéconnecter, tout enno- tant que le télétravail peut accroître la productivité, même si cela pose des défis pour la culture d’entre- prise. Enfin, leCESE reconnaît que le télétravail peut améliorer l’accès à l’emploi pour des groupes spéci- fiques comme les parents et les personnes handica- pées. Mais aucune règle contraignante n’a encore fait suite à cet avis. En l’état de cette absence actuellede règlementation européenne du télétravail, la protection des salariés en situation de télétravail reste principalement as- surée par les dispositions nationales propres à chaque État membre. Chaque Étatmembre cherche à protéger les salariés en situation de télétravail sur son territoire Des ordres publics nationaux Les États membres ont toujours poursuivi, avant le télétravail comme après, l’objectif deprotéger laplus faible des deux parties à la relation de travail. Cet objectif fonde lesdifférentes règlesnationales récem- ment intervenues en la matière. Si l’objectif de pro- tection est atteint et que ces différentes règles de- meurent largement comparables, il n’en demeure pas moins que ces règles sont différentes et dessi- nent des modèles différents de télétravail d’un État de l’Union à l’autre. Si l’oncompare, par exemple, la législation française et la législation des Pays-Bas, on peut constater une divergence importante. EnFrance, l’articleL. 1222-9 duCode du travail permet à l’employeur de refuser une demande de télétravail avec justification, sans obligation d’acceptation. Aux Pays-Bas, la loi « Tra- vailler où vous voulez » (2022) impose des critères de raisonnabilité, limitant le refus de l’employeur aux seuls cas d’intérêts supérieurs de l’entreprise. Ces divergences pourraient inquiéter la Commis- sion européenne en raison de la fragmentation du marché de l’emploi. Seule une nouvelle règlemen- tation européenne permettrait de rétablir une unité de droit entre les différentes règlementations natio- nales applicables à lamatière. L’établissement d’unaccord-cadre fondé sur les der- niers termesde l’article155§2duTFUEseraitdena- ture à concilier l’exigence de subsidiarité et l’utilité de l’harmonisation Un accord européen sur le télétravail, fondé sur les derniers termes de l’article 155 § 2 du TFUE, devrait tout d’abord être négocié et signé par les partenaires sociauxeuropéens ; leConseil de l’Uniondevrait en- suite être saisi d’une demande d’homologationpré- sentée par la Commission européenne. Le nouvel accord-cadre à intervenir, issu d’une dé- cision du Conseil, serait contraignant. La définition des règlesnouvelles contraignantes enmatièrede té- létravail repose ainsi tout d’abord sur la volonté des partenaires sociaux européens, ce qui serait une très bonne chose au regard du principe de subsidiarité. Conclusion C’est aux travailleurs et entreprises d’Europe qu’il appartient, dorénavant, par l’intermédiaire de leurs représentants officiels européens, de définir par la discussion les règles protectrices et impératives pro- pres au télétravail applicable sur le territoire de l’Union ; lemaintiend’unespace intérieur unifiédu point de vue de cette nouvelle condition essentielle de travail salarié. Pierre-Olivier KOUBI-FLOTTE, Docteur en droit, Professeur permanent à l’EMD Business School, Avocat au Barreau de Marseille 1) Avis du Comité économique et social européen sur le thème « Les défis du télétravail: organisation du temps de travail, équilibre entre vie professionnelle et vie privée et droit à la déconnexion » Le télétravail, 5 ans après le Covid T here exists an increasingly popular belief that artificial intelligencewill disrupt la- bourmarkets. Some people are even scared about errors thatmight occur in technical domains, like warfare, where technical errors might have devastating effects. Moreover, research on rational de- cision-making seems to indicate that artificial intelligence is effi- cient in some environmentswhile error-prone in somemore complex environments. Inpassing, itmight beworthwhile highlighting that artificial intelligence is not “intelli- gent” as such, but rather consists in a set of statistical learning algo- rithmswith a huge amount of data. Forsometasks,artificialintelligenceseems to make errors that a child would not make, notably in recognizing different types of animals (Gigerenzer (2022)). It seems that the complexity of the environ- ment, in statistics sometimes called large versus small worlds, play a major role. Still, it is likely that artificial intelligence is going to improve over time but it also seemsquiteunlikelythatitwillcompletely replace human rationality for some tasks. Therethusseemstobeatrade-offbetween human decision-making and artificial in- telligence. As humans typically exhibit some kindof bounded rationality (Simon (1997)),artificialintelligencecanbeusedin interaction with human decision-making to treat problems of radical uncertainty (Weiser andvonKogh (2023). What comes to mind immediately, of course, is that there existsno clear andac- cepteddefinitionofwhathumanrational- ityis.Itiscommonlyacceptedthoughthat humans are not fully rational, as docu- mented in the behavioural economics lit- erature. The typical notion of rationality usedineconomicspresumesthatdecision makers maximize some type objective and act according to some axioms postu- lated by economic theorists. Real world environments, however, differ and reac- tions that might sometimes seem irra- tional at first sight might be rational in such real world environments, where emotional reactionsmight be important. There exist also cognitive costs ofmaking decisions and decision makers might be what Glimcher (2022) calls efficiently ir- rational. Such types of rational be- haviour are analysed through a recently emerging literature on ecological ratio- nality grounded in evolutionary psy- chology and biology (Hertwig at al. (2022). Understanding the evolution of the brain thus seems key to understand the future of AI (Bennett (2023)). Now, concerning the finance industry, one of the fundamental questions is how theorganizationoftradeswillbeimpacted by this emergence of algorithms and arti- ficialintelligence.Infinancialmarketsand notably in the field of what is calledmar- ketmicrostructure,wheretradingisorga- nized through trading platforms, many changes have occurred due to this devel- opment of algorithmic trading. As high- lighted in O’Hara (2015), the fragmen- tationoftradinghasbeentheresultofreg- ulatory changes that opened the door for very fast trading, the so-called high fre- quency trading. Most trading platforms had to adapt and the execution of trades has become electronic. This gives the im- pression that humans are about to be re- placed by algorithms, at least as far as trading platforms are concerned. Indeed, out of 13 registered equity exchanges in the US, only the NYSE is not fully elec- tronic but still has humanfloor traders. An interesting recent paper, Brogaard et al. (2025) analyse the impact of human floortradersinthemarketmicrostructure, notably for the price discovery process. Theauthorsusethesuspensionofhuman floortradingduringtheCOVIDperiodto testtheimpactontradingefficiency.Inter- estingly, the price errors increased for the stocks when floor traders were not pre- sent. Moreover, floor trading seems to matter most during the early morning marketopeningsessions,whenvolumeis high and overnight released information aboutfirmsistobeimpoundedintoprices (Dong, Polk, andSkouras (2019)). Incidentally,openingandclosingsessions of daily trading sessions are determined through auctions and the closing price matters for the calculation of Net Asset Valuesofinvestmentfunds.Duringthose two intensive price discovery phases, the qualityofthepricingprocessseemstode- creasewhen human floor traders are not present.Moregenerally,thequalityofthe price discovery process is estimated through proportional effective spreads andtheHasbrouk(1993)measure,which decomposes stock prices into an efficient and a pricing measure component. Pro- portional effective spreads increased sig- nificantly after the suspension of floor trading during the COVID period. Pric- ingerrors also increasedduring the same period. The floor trades thus seem to in- cludeinformationthatelectronicsystems cannot convey. Apart fromthepurelyeconomicperspec- tiveintermsoffinancialefficiency,thebe- havioural aspects involved in the market microstructurealsoprovideapotentialex- periment to analyse the coordination of humans inperson versusthroughtechnol- ogy,tocoordinateoneconomicequilibria. Twotypesofhumantradersarenormally present in hybrid systems that combine electronic and floor trading: the designed market makers whose function is to pro- vide liquidity and the floor brokers that tradeonbehalfofclients.Apartfromelec- tronicdevicesthatallowthemtomakeor- ders, those floor traders communicate via an open outcry method and signal infor- mation verbally and as well as non-ver- bally.Itmightbeworthwhilehighlighting thattheNYSEusesparity/prioritytrading rather than price-time priority when matching trades. As noted in Battaglio et al. (2021), this seems to reduce the role of speed and thus favours floor traders against fast algorithms. It seems that the physical interaction be- tween both types of traders matters for price discovery. Sometimes non- economists as well as economists make funofthenotionof invisiblehand inmarket coordination, but maybe that some kind of invisible hand mechanisms, in the sense ofanorderthatemergesthroughcognitive mechanisms inherent in humans is what helpscoordinateandmakepricesequilib- ria emerge. Such mechanisms have grabbed further attention recently. For in- stance, Schaefer (2021) analyses method- ological individualism and group selec- tionmechanisms throughHayek’s (1952) ideas of a sensory order. Anyway, such microstructureresearchprovidesapoten- tially interesting venue to analyse the role of humanversus artificial intelligence. Michel VERLAINE ICN Business School Michel.verlaine@icn-artem.com References Battalio,R.,Jennings,B.andMcDonald,B.(2021)“De- viations from time priority on the NYSE”, Journal of FinancialMarkets 53,1243-1271. Bennett, M.S. (2023) A Brief History of Intelligence: WhyEvolutionoftheBrainHoldstheKaytotheFu- tureofAI, HarperCollinsPublishers . Brogaard, J., Ringgenberg, M. and Roesch, D. (2025) “Does Floor TradingMatter?”, The Journal of Finance , Vol.LXXX,No1. Dong,L.,Polk,C.andSkouras,S.(2019)“Atugofwar: Overninght vs. intraday expected returns”, Journal of FinancialEconomics 134,192-213. Gigerenzer, G. (2022) How to Stay Smart in a Smart World: Why Human Intelligence Still Beats Algo- rithms, TheMITPress . Glimcher,P.W.(2022).Efficientlyirrational:decipher- ingtheriddleofhumanchoice. TrendsinCognitiveSci- ences ,26(8),669-687. Hasbrouk,J.(1993)“Assessingthequalityofasecurity market:Anewapproachtotransactioncostmeasure- ment”, ReviewofFinancialStudies 6,191-212. Hayek, Fr. A. 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