AGEFI Luxembourg - juin 2025

AGEFI Luxembourg 4 Juin 2025 Economie Par Philippe LEDENT, Senior Economist, ING Belgique-Luxembourg A près deux ans de récession, la production industrielle en zone euro a connu un premier trimestre de 2025 impressionnant. Mais les chiffres de production d’avril laisseraient entendre qu’il ne s’agissait que d’un feu de paille. Quel est l’état réel du secteur in- dustriel en Europe ? 2023 et 2024 ont été de mauvaises annéespourl’industrieeuropéenne. Certes, la réouverture des économies après le covid avait dopé l’activité industriellelesdeuxannéesprécédentes. Une correction était donc inévitable. Mais elle a fait mal.Fin2024,l’activitédusecteurindustrieldelazone euro était 3,5%inférieure à son sommet de fin2022. Il fautdirequ’entreuncoûtdel’énergietrèsélevérelati- vementàd’autresrégionsdumonde,ledumpingpra- tiquéparlaChine,leplanBidenpourattirerdesentre- prises industrielles et une réglementation toujours plus stricte et complexe enEurope, le secteur n’a pas été épargné. Illusiond’optique Lepremiertrimestredecetteannéelaisserait entrevoir une stabilisation, voire un début d’amélioration. Mais à vrai dire, c’est encore trop tôt pour l’affirmer. Tout d’abord,lacroissancedel’activité industrielle au premier trimes- tre est principalement liée au surcroît d’exportations vers les États-Unis en prévi- sion des tarifs doua- niers. Ceci a effective- mentdopélesexporta- tionsetpousséàplusde production, au risque devoirlaproductionune nouvelle fois se retourner une fois les tarifsmis enplace. Etc’esteffectivementcequ’ils’estpassé:laproduction industrielle de la zone euro s'est effondrée en avril, chutant de 2,4%d'unmois sur l'autre. Sur un an, elle reste néanmoins en hausse de 0,8 %. L'examen des paysindividuelsmontredegrandesdivergencesdans la zone euro et, une fois de plus, une forte distorsion liée à l'Irlande (qui a connu une baisse mensuelle de plus de 15 %). S’agissant des principaux pays de la zone, alors que l'Allemagne, la France et l'Espagne ontvuleurproductionindustriellediminuer,l'Italiea enregistréune certaine amélioration.Mais àvrai dire, on manque encore de recul pour comprendre l’am- pleur du retour de manivelle lié aux tarifs imposés par les États-Unis, qui ne peut s’évaluer que sur plu- sieursmois,alorsmêmequel’Europen’estpasencore fixée sur son sort en lamatière. Quiddes prochainsmois, et des prochaines années ? Pour l’avenir, l’incertitude domine toujours. Bienque la situation soit très floue, l’ensemble des indicateurs disponiblespourlesecteurmanufacturiertendàmon- trerqu’au-delàdesanticipationsdefluxcommerciaux, l’activité se stabilisedans le secteur.Onsait par exem- ple que le cycle des stocks et le cycle des investisse- ments joue un rôle important dans la dynamique de l’industrie.Etilsemblequecesélémentscommencent à jouer unpeuplus favorablement. Autre lueur d’espoir, les autorités européennes entendent enfin le cri d’alarmedu secteur industriel. Les problématiques du coût de l’énergie ou de la compétitivité sont prises en compte par les gouver- nements nationaux et les instances européennes. Celle-ci ne semble même plus contre l’idée d’avoir des champions européens (qui étaient précédem- mentmal vus en raisondu risquedepositiondomi- nante sur lemarché européen). Enfin, des premiers pas ont été franchisversune simplificationdes règle- mentations. A l’opposé, un monde plus protectionniste incitera lesentreprisesindustrielleseuropéennesàproduireà proximité de leursmarchés, et certainement dumar- ché américain. Par ailleurs, l’affluxdeproduits indus- triels chinois compte tenu de la difficulté d’exporter vers les États-Unis représente une nouvellemenace. Ainsi, bien qu'il y ait des signes d'optimisme, les perspectives pour le secteur manufacturier de la zone euro restent incroyablement incertaines.Alors que la situation commençait à s'améliorer, les risquesgéopolitiques et lahaussedesprixdupétrole jettent à nouveau une ombre sur les espoirs de reprise. A plus long terme, un travail essentiel doit êtremener au niveau européen pour espérermain- tenir des pôles industriels en Europe. Le rapport Draghi a efficacement tracé lavoie. Espérons qu’elle sera suivie. Industrie européenne : entre tempête et espoir L a croissance de l’activité s’est légèrement renforcée au 1 er trimestre de l’année en zone euro, avec des tendances cependant contrastées entre ses principales économies. Les enquêtes de conjoncture du 2 e tri- mestre témoignent d’une perte d’élandes activités de services, res- sentie également auLuxembourg. Au1 er trimestre2025,lePIBdelazoneeuro aprogresséde0,3%suruntrimestre(après +0,2%au4 e trimestre2024).Parmilesprin- cipales économies de la zone euro, et comme sur les trimestres précédents, l’Espagne demeure l’une des plus dyna- miques, avec une hausse de 0,6% sur un trimestre. L’activité y est portée par l’en- semble des composantes de la demande intérieure (consommation privée, publique et investissements, avec une contribution de 0,4 point de %) ainsi que de la demande extérieure (0,2 point). L’Allemagne reprend du souffle avec un PIBenhaussede0,4%,sonmeilleurrésul- tat depuis plus de deux ans [1] . Le com- merce extérieur ya apportéune contribu- tionélevée,avecunnetrebonddesexpor- tations de biens, notamment des produits pharmaceutiques, des voitures, et des remorques et semi-remorques, soit des catégories d’exportations importantes pourlemarchéaméricain.Cemouvement est susceptible d’être lié aux anticipations de hausse des tarifs douaniers US [2] et pourrait ainsi n’être que temporaire. La consommation des ménages allemands (+0,5%) s’est cependant montrée plus dynamiquequesurlesprécédentstrimes- tres et l’investissement aussi (en hausse pour le 2 e trimestre consécutif aussi bien pour la construction que pour les machines et équipements). L’Italieenregistreégalementunbonrésul- tat, avec une progression de 0,3% (la plus fortedepuisdeuxans), sous l’effet notable des performances de son secteur agricole et de l’industrie. La France montre un rebondmodéré,de+0,1%suruntrimestre (après une baisse de 0,1% au 4 e trimestre, marqué par le contrecoupdes Jeux olym- piques).Cettereprisemodesterésultesur- tout d’un accroissement des stocks, les autrescomposantesdelademandetémoi- gnant d’unclimatmoinsporteur : stagna- tion de la consommation des ménages, replidel’investissement(-0,2%,aprèsdéjà unebaissede0,1%autrimestreprécédent) et contribution négative du commerce extérieur(avecunebaissedesexportations de 0,7%, contre +0,2%auT4 2024). Ce repli provient des activités de services, qui signalent en particulier la faiblesse de la demande intérieure. Cette perte d’élan du côté des services se ressent également au Luxembourg, la confiance des acteurs s’étantlégèrementrepliéedefévrieràavril (elleestdemeuréestableenmai),avecdes vues moins positives sur la santé de l’en- treprise et les perspectives de demande (notammentdansledomainedesservices aux entreprises [3] ). Les opinions des industriels tendent par contreàs’améliorer.L’indiced’activitécor- respondantpourlazoneeurodel’enquête PMI remonte pour le cinquième mois consécutif enmai (la confiancedes indus- trielsauLuxembourgaplutôteutendance à se stabiliser sur cette période). Le com- muniqué de presse accompagnant les résultats de mai indique que l’entrée en vigueur des nouveaux droits de douane américains - avec un taux de « seule- ment » 10%pourlespaysdel’UEjusqu’au 8 juillet - pourrait avoir favorisé l’activité industrielle. Il reste à voir comment vont se dérouler les choses dans ce domaine : dans un énième renversement de situa- tion, le président Trump a menacé le 23 mai deporter les droits dedouaneUS sur lesproduitseuropéensà50%dèsle1 er juin, avantderepoussercetteéchéanceau9juil- let deux jours plus tard (pour laisser la place à d’éventuelles négociations). La confiance remonte timidement dans la construction Laconfiancedanslesecteurdelaconstruc- tion,quiétaitenchutelibredepuisledébut de 2022, commence à montrer des signes d’amélioration. En légère hausse sur les derniersmois,elledemeuretoutefoisàun niveau faible, bien inférieur à samoyenne delong-terme.Depuisledébutdel’année, lapartdesentreprisesestimantleurcarnet de commandes insuffisant recule, alors qu’elle augmentait sans cesse jusque fin 2024. De plus, les appréciations sur l’acti- vité récente semblent avoir cessé de se dégrader (elles auraientmêmeaugmenté selon les données provisoires de mai) et la part d’entreprises signalant une demande insuffisanteaarrêtéd’augmen- ter (malgré un niveau très élevé, autour de 60%). Ces évolutions positives concer- nentplusparticulièrementledomainedu bâtiment et font notamment écho à la reprise récente observée sur les transac- tions de logements neufs. Les perspectives d’évolution de l’emploi ont atteint un creux sur la fin de 2024 et tendent à s’améliorer légèrement depuis. Parailleurs,lapartd’entreprisesdéplorant un manque de main-d’œuvre, en nette baisse depuis la mi-2022, s’est stabilisée récemment. Par contre, de plus en plus d’entreprises se disent limitées par des contraintes financières (plus de 20% actuellement). Une baisse des taux en zone euro relativement forte et rapide Laplupart des grandes économies avan- cées ont continué à réduire les taux d’in- térêt directeurs sur les derniers mois. En zone euro, trois baisses ont déjà eu lieu cette année, et deux supplémentaires (de 25 points de base chacune) sont atten- dues en 2025 selon le FMI et l’OCDE, compte tenu de la prédominance des risques baissiers sur lesperspectivesd’in- flation et de croissance. Aux États-Unis, le taux directeur devrait être moins abaissé que ce qui était escompté à l’automne 2024, avecdespré- visionsd’inflationau-dessusde l’objectif, quel que soit le scénario sur les droits de douane. Un assouplissement progressif est également prévu au cours des deux prochaines années en Australie et au Royaume-Uni. Au Canada, les taux directeursdevraient être encore abaissés, avec une ampleur très incertaine (celle- ci dépendra beaucoup des décisions sur les droits de douane). Au Japon et au Brésil par contre, les taux directeurs devraient être relevés progressivement pour garantir que les anticipations d’in- flation restent bien ancrées. Les conditions d’emprunt desménages s’assouplissent Avecl’abaissementdestauxdirecteurs,les coûts d’emprunt continuent à diminuer pour les entreprises et les ménages au Luxembourg.Letauxd’intérêtaatteinten mars3,8%surlesprêtsimmobiliersàtaux variable (-1,1 point de % sur un an), 4,0% surlesnouveauxprêtsàlaconsommation (-0,5 point de %) et 3,1% sur ceux aux entreprises (-0,5 point de %). Le taux fixe appliqué sur les nouveaux prêts immobi- liers est légèrement reparti à la hausse au 1 er trimestre (+0,2 point de % entre mars 2025etdécembre2024,-0,2pointde%sur un an), porté par la remontée des taux à long terme en zone euro. Au 1 er trimestre 2025, les banques au Luxembourg ont assoupli les conditions générales de crédit à la consommation, selon l’enquête sur le crédit bancaire. Cet assouplissement s’explique principale- ment par la baisse des taux et le resserre- ment desmarges sur les prêts. Les condi- tions sur les prêts immobiliers sont inchangées, après avoir été assouplies au dernier trimestre de 2024 via ladurée des contrats.Enrevanche,lescritèresetcondi- tions d’octroi de crédits aux entreprises ont encore été durcis (surtout les marges etlesfraisautresquelesintérêts)enraison de perspectives économiques dégradées et d’une hausse des risques relatifs aux garanties requises et des coûts liés aux fonds propres. Bondémarrage pour le tourisme Le Luxembourg a fait bonne figure l’an passé pour ce qui concerne la fréquenta- tion touristique. Le nombre d’arrivées dans les établissements d’hébergement y aprogressédepresque 7%, contre seu- lement 2% à l’échelle de la zone euro (avec cependant de très bons résultats pour l’Espagne, le Portugal, Malte et la France). Et pour la première fois, le Luxembourg a dépassé en 2024 la barre des 1,5millionde visiteurs.Même s’il ne s’agit pas de la période la plus chargée pour l’accueil des touristes, le 1 er trimestre de l’année en cours indique une pour- suite sur cette lancée positive pour les établissements du Grand-Duché, avec une hausse des arrivées de 7,3% sur un an (contreune baissede 0,3%enregistrée en zone euro sur la même période). En termes de nuitées, la hausse s’élève à presque 10% sur la même période, indi- quant par-là même une légère progres- sion de la durée de séjour moyenne. L’inflation auLuxembourg demeure faible par rapport à la zone euro Sur le début de l’année 2025, l’inflation au Luxembourg demeure, comme sur l’en- semblede 2024, inférieure à cellemesurée en zone euro (1,7% contre 2,3% sur les 4 premiersmoisdel’année),etcepour8des 12 divisions de l’indice des prix à la consommation.Lesprixdes«biensetser- vices divers », des restaurants et hôtels ainsiquedesproduitsalimentairesetbois- sons non alcoolisées ont en effet moins progressé auLuxembourg. Parmi les divisions qui connaissent une inflationplusimportanteauLuxembourg, on note surtout celle du « logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles », ce qui s’explique principalement par le relè- vement des prix de l’électricité suite à la levée partielle des boucliers tarifaires, apportantainsi0,4pointde%àl’inflation. Sur les prochains mois, l’inflation du Luxembourg devrait remonter quelque peu,sousl’effetdel’indexationdessalaires intervenue en mai 2025. Ainsi, dans les dernières prévisions, le STATEC table sur uneinflationà1,9%en2025et2026,relati- vement proche de la dernière projection de la Commission européenne pour la zone euro (2,1%en 2025 et 1,7%en 2026). Le secteur financier ne crée plus beaucoupd’emplois Les créations d’emploi ont nettement ralenti dans le secteur financier. Au 4 e tri- mestre 2024, la croissance annuelle passe à 0,9%, après encore presque +4%auder- nier trimestre de 2022. Les données préli- minaires du 1 er trimestre montrent une progression de seulement 0,3%, soit le rythme observé fin 2020, en pleine crise COVID. C’est surtout dans la gestion de fonds d’investissement et de pension que l’emploi a nettement freiné (+0,2% sur un an en T4 2024 et T1 2025, après encore +2,5% fin 2022). Cette sous- branche reste toutefois créatrice d’em- plois au début de 2025, tout comme les sociétés de participation financière (SOPARFIs) et les assurances. Enrevanche,l’emploisereplielégèrement dans les établissements de crédit (-0,1% surunan) et –demanièreplus appuyée – danslesautressous-branches(notamment suiteàdesrestructurations).Enzoneeuro, oùl’emploidanscesecteuraconnudepuis 2021 une progression bien plus faible qu’auLuxembourg,lescréationsrepartent légèrement à la hausse, atteignant +1,0% sur un an en T4 2024, après encore -0,2% en T3 2022. La reprise sur la fin de 2024 provient surtout de l’Allemagne, de l’Irlande et de l’Espagne. La France et les Pays-Bas enregistrent par contre, comme leGrand-Duché, un ralentissement. Les ventes de carburants continuent à décliner Les ventesde carburants auLuxembourg poursuiventlatendancebaissièreentamée en 2019. Sur les quatre premiers mois de 2025, les ventes ont reculé de presque 4% par rapport à lamême période de l’année précédente. Cette diminution relève des ventes de diesel, qui ont chuté de plus de 7% sur la même période. D’une part, le nombredevoituresroulantaudieseldans leparcluxembourgeoisestenbaisseconti- nue (un tiers demoins depuis 2019). D’autrepart,ledifférentieldeprixavecles pays frontaliers s’est progressivement réduit au cours des dernières années, notamment en raison de l’augmentation continue de la taxeCO2 auLuxembourg, cequi apar ailleurs largement contribuéà atteindre ses objectifs climatiques. Pour le diesel professionnel, le différentiel s’est même inversé, celui-ci étant désormais moinscherenBelgiqueetenFrancequ’au Luxembourg. Les ventes d’essence ont cependant progressé de 6% au début de l’année, même si le nombre de voitures roulantexclusivementavecdel’essenceau Luxembourgs’eststabilisé.Lahausses’ex- plique surtout par l’émergence des voi- tures hybrides, qui sont pour la plupart équipées avec des moteurs à essence en complément de leurmoteur électrique. Source : STATEC [1] Et meilleur qu’initialement dévoilé puisque selon les premièresestimations,laprogressiondel’Allemagneres- sortaitàseulement0,2%sur le1 er trimestre. [2] https://www.destatis.de/EN/Press/2025/05/PE25_182_811.html [3] Et en particulier du côté des activités juridiques et comptables, de celles relatives aux sièges sociaux et au conseil de gestion, des services de location et des voyagistes. Publication mensuelle du STATEC sur l’état de la conjoncture luxembourgeoise Zone euro : plutôt un bon début d’année, mais après ? ؑ INDICESPMIPOURLAZONEEURO Sources:HCOB,S&PGlobalPMI 42 44 46 48 50 52 54 56 58 janv-23 juil-23 janv-24 juil-24 janv-25 Enpoints Indice composite Indiced'activitédans l'industrie Indiced'activitédans les services

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