AGEFI Luxembourg - juin 2025
Juin 2025 39 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi Par Nicolas DUCHESNE, Avocat, Vice- Président de la Conférence Saint-Yves L a traite des êtres humains constitue une violationgrave des droits fondamentaux et undéfi persistant à l’échelle euro- péenne. Réunie le 12mars 2025 à l’Université duLuxembourg, une assemblée de juristes, d’experts ins- titutionnels et de praticiens dudroit a analysé lesmutations récentes du cadre juridique européen et luxem- bourgeois enmatière de lutte contre la traite, ainsi que les implications concrètes pour les victimes, les avo- cats et les institutions d’assistance. Une problématique européenne à l’épreuve de la transposition luxembourgeoise D’emblée, laDr. Salomé Lannier (Univer- sité du Luxembourg) a défini la notion, originaire du Protocole de Palerme. La traite est unprocessus (comme le recrute- ment,transport,ouhébergement),accom- pagné de moyens coercitifs employés pour contraindre la victime, tels que la tromperie, la fraude ou la force, envuede sonexploitation.Cettedéfinition,adoptée par le droit de l’Union européenne, per- metdedistinguerunsimplecontratdetra- vail d’un acte criminel. L’article 382-1duCodepénal luxembour- geoisreflètepartiellementladéfinitioneu- ropéenne. Il criminalise le même processus aux fins des formes d’exploita- tionlistées.Toutefois,lapreuvedemoyens coercitifsn’estpasexigéepourcaractériser l’infraction, ces éléments ne jouant qu’un rôle d’aggravation de la peine. Cette spé- cificitépeutengendrerdesdivergencesin- terprétativesdevantlesjuridictions,créant une zone grise entre conditions de travail abusives et infractionpénale. Lesobligationsétatiquesontétéréformées par la directive (UE) 2024/1712. Notam- ment, ce texte insiste sur lamise enœuvre auniveaunationald’unmécanismenatio- nald’orientation(MNO).Cedispositifvise à coordonner la détection, l’identification, l’assistanceetlaprotectiondesvictimesde traite à travers une collaboration formali- sée entre tous les acteurs concernés. Il s’agit, selon les termes de l’intervenante, d’un véritable « pivot de l’action publique », conçu pour unifier et renforcer les efforts dans la lutte contre la traite et l’assistance aux victimes : « Le but duMNO est de don- ner à chaque acteur une feuille de route claire : qui fait quoi, quand, comment et avec qui. » Pour cela, trois fonctions minimales sont imposées auxÉtatsmembres : 1. L’établissement de normes minimales de détection et d’identification des vic- times, 2. L’orientation des victimes vers les ser- vicesappropriés(hébergement,assistance médicale, soutien juridique, etc.), 3. La conclusion de protocoles de coopé- ration entre les autorités concernées, y compris les services compétents en ma- tière d’asile. Or, les interventions d’InfoTraite (Ser- vice d’assistance aux victimes de la traite des êtres humains (VTEH)) et de la Sec- tionProtectionde la Police judiciaire ont souligné que, dans la pratique luxem- bourgeoise, seule la police est actuelle- ment habilitée à identifier officiellement une victime. Cette centralisationpeut re- présenter ungoulot d’étranglement, sur- tout lorsque les premiers signes de traite sont repérés par d’autres acteurs (hôpi- taux, ONG, employeurs, avocats…). Ce constat justifie l’appel unanime formulé lors du séminaire : une mise en œuvre urgente et cohérente du MNO, accom- pagnée d’un cadre juridique renforcé et de formations interprofessionnelles sys- tématiques. L’avocat face à la traite : un rôlemultidisciplinaire La conférence a pris une dimension plus pratiqueavecl’interventiondeM e Noémie Sadler,avocateluxembourgeoiseetactrice engagée de la protection des droits hu- mains, qui amis en lumière la complexité durôledel’avocatdansletraitement judi- ciaire des affaires de traite, insistant sur la multidimensionnalité de ces dossiers. « L’avocatdelavictimedoitêtreàlafoispénaliste, spécialiste du droit social, et familier du droit des étrangers. Sans cette compétence transver- sale, la défense des victimes reste illusoire. » Trois volets indissociables ont structuré sonpropos:lesvoletspénal,travail,immi- gration. Le parcours de la victime commence par uneidentificationpolicière,opéréeparune sectionspécialisée.Cetteétapeestcruciale, car elle ouvre l’accès au programme de protection, à l’aide juridique et, dans cer- tainscas,àuntitredeséjourtemporaire.Si l’avocat intervient souvent postérieure- mentàcetteidentification,ilpeutaussiêtre le premier à soupçonner une situation de traite.M e Sadler a insisté sur la vulnérabi- lité extrême des personnes concernées et sur l’importance d’un accompagnement psychologique,souventprisenchargepar le service Infotraite. Danslescasd’exploitationparletravail,la victimedoit s’adresser aux juridictions du travail pour obtenir le versement de sa- lairesnonperçus.LeCodedutravail(arti- cle L.572-7) prévoit une présomption favorable : l’employeurqui a recouruàun travailleurenséjourirrégulierestprésumé lui devoir au moins trois mois de salaire, sauf preuve contraire. Toutefois, cettedis- positionrestepeuconnue,etsouventigno- rée par les juridictions. L’écueil principal demeure l’insolvabilité des auteurs : même en cas de condamna- tion, les indemnisations allouées ne sont que rarement perçues par les victimes, et les montants attribués par les juridictions pénales sont souvent dérisoires (rarement supérieurs à 5.000 €). Le droit des étran- gers, enfin, est au cœur des affaires de traite au Luxembourg. Un délai de ré- flexion de 90 jours avec un sursis à l’éloi- gnementmême enabsenced’uneplainte, suivi d’une autorisation de séjour provi- soirede6mois(renouvelable)peutêtreac- cordée à la victime, à condition qu’elle coopère avec les autorités et rompe tout lien avec les auteurs présumés. Or, cette coopérationestparfoisperçuecommeune double peine par des victimes traumati- sées, soumises àde longuesprocédures et àuneprécaritéchronique.« Tantqueledroit ne prévoit pas un parcours clair et protecteur pourchaquevolet–pénal,travail,immigration – l’avocat se heurte à une fragmentation qui compromet l’efficacité de son action. » Obstacles systémiques et lacunes persistantes dans la protectiondes victimes Malgré les efforts réels des institutions luxembourgeoises,lesintervenantsdeter- rainontlivréunconstatsansappel:lapro- tectioneffectivedesvictimesdetraitereste incomplète et inégale. AuLuxembourg,seulelaPolicejudiciaire esthabilitéeàidentifierofficiellementune victime de traite, permettant d’accéder à l’assistance prévue par la loi modifiée du 8 mai 2009. Comme l’ont souligné les in- tervenants, cette reconnaissance repose sur des entretiens visant à faire émerger des « indices de traite ». Or, cette compé- tence exclusive pose problème. Elle ex- poselesvictimesàdesprocéduresparfois opaques et rend leur accès aux droits dé- pendant d’un seul canal institutionnel, alors même que les signes de traite sont souvent repérés en amont. Un autre moment fort de la conférence fut la présentation d’un cas réel dans le secteur de la construction. Les extraits des déclarations du travailleur concerné sont glaçants : «Nousavonsdûnousenfuir.Nousétionstrai- tés comme des esclaves. » « Nous étions neuf hommes dans un apparte- ment de deux chambres. » «Mon patron me frappait avec une barre de fer. » Ce témoignage révèle des conditions de travailinhumaines,correspondantentout pointàlanotiond’exploitation,objectifdu processus de traite. Pourtant, nombre de ces cas n’aboutissent pas àdes poursuites, ou ne résultent qu’à des classements sans suite,fautedepreuves,deremiseenques- tiondelaparoledesvictimes,oudansl’in- capacité d’identifier les auteurs. L’exemple roumain : une architecture institutionnelle proactive Le séminaire s’est conclu sur une étude comparativedumodèleroumain,présen- téeparS.E.MmeAlexandrina-LiviaRusu, ambassadrice de Roumanie au Luxem- bourg.Elleamisenlumièrelastratégiena- tionaleroumainepour2024-2028,articulée autour de centres régionaux de lutte contre la traite, d’une agence dédiée, et d’unpland’action2024–2026fondésurles standards internationaux. Parmi les bonnespratiques roumaines ci- tées se trouvent : - L’existence de 15 centres régionaux ali- gnés sur la carte judiciaire, - La formation continue des profession- nels (police, justice, ONG), -Descampagnespubliquesd’information ciblant notamment les zones rurales et à risques, - Un cadre formel de coordination inter- institutionnelle à tous les niveaux. Si les défis persistent (faible taux de condamnation,vulnérabilitédesenfants), ce modèle offre un exemple structurant d’organisation nationale, dont le Luxem- bourg pourrait utilement s’inspirer pour renforcer son dispositif. Recommandations et perspectives : vers une refondation pragmatique du cadre luxembourgeois Les interventions ont permis de dresser untableaulucidemaisexigeantdelalutte contre la traite au Luxembourg. La traite desêtreshumainsnerelèvepasd’unsim- plecontentieuxpénal,maisd’undéséqui- librestructureldécoulantdevulnérabilités individuelles et systémiques, que le droit peine encore à considérer. Au croisement du droit pénal, du droit social et du droit des étrangers, le régime juridique en vi- gueur demeure insuffisam-ment harmo- nisé, souvent trop théorique, et laisse subsisterdeszonesd’ombrepréjudiciables aux victimes. La première recommandation consiste à sortir d’un monopole policier dans la re- connaissance des victimes. Plusieurs in- tervenants ont plaidé pour une décentra- lisation encadrée de l’identification, en permettant à des professionnels qualifiés d’intervenir dans la procédure. Le Luxembourgdoitégalementmettreàjour son mécanisme national d’orientation dans les délais de transposition pour se conformer au droit de l’Union euro- péenne.Lesintervenantsontinsistésurla nécessité d’un document-cadre national, assorti de protocoles opérationnels, par exemple bilatéraux. Enfin, l’un des points les plus préoccu- pantsdemeureledéficitderéparationsef- fectives pour les victimes. Comme l’a rappeléM e Sadler,lesmontantsdérisoires alloués,leurnon-recouvrementetlacom- plexitédesprocéduresproduisentunsen- timent d’injustice auprès de victimes qui peinent déjà à faire confiance au système judiciaire. Le Luxembourg, malgré des outils juridiques solides, doit donc encore franchir le pas d’une effectivité systéma- tique.Àdéfaut,latraitecontinuerad’opé- rer dans les interstices dudroit. Lutte contre la traite des êtres humains au Luxembourg : entre complexité juridique et défis pratiques ©Saint-Yves L e 21 mai 2025, la House of Entrepreneurship a accueilli à la Chambre de Commerce sa nouvelle édition des Entrepre- neurs’ Days « réussir les débuts de son entreprise, conseils et re- tours d’expérience ». Une matinée riche en contenus et en échanges, pensée pour aider les 164 jeunes dirigeants et porteurs de projets présents, pour poser des bases so- lides pour la suite de leur par- cours entrepreneurial. Dèsl’ouverture,StéphanieDamgé,direc- trice de la House of Entrepreneurship, a rappelé l’importance d’un démarrage structuré : « chaque bon choix stratégique, pris dès le départ, permet de poser des bases solides pour un développement durable et sé- curiser l’avenir ». Un message auquel a fait écho Lex Delles, ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme, dans son intervention vidéo. Il a souligné le rôle crucial du soutien gouvernemental, notamment à travers des aides telles que l’aide à la primo-création, permettant aux entrepreneurs de bâtir des fonda- tions solides. Leministreaégalementinsistésurlasim- plification des démarches administra- tives, une approche essentielle pour favoriser l’innovationet garantirunenvi- ronnement propice à la réussite des en- treprises au Luxembourg. Durantlamatinée,deuxtablesrondesont permis de mettre en lumière les trajec- toiresvariéesdejeunesentrepreneurséta- blis au Luxembourg et d’aborder les éléments clés pour réussir un lancement : financement,planification,gestion,acqui- sition client et vision à long terme. Ces échangesontoffertuneanalyseapprofon- die des défis auxquels font face les diri- geantsd’entreprisesetdesstratégiespour les surmonter. Les intervenants ont partagé des pers- pectives diverses, certains soulignant l’importance de prendre des risques pour se lancer, tandis que d’autres ont mis l’accent sur l’impact social et l’envie d’aider les autres comme moteurs prin- cipaux de l’entrepreneuriat. L’adaptabi- lité, nécessaire pour s’ajuster aux évolutions du marché, a également été soulignée comme une compétence clé. Ces témoignages inspirants ont été enri- chis par les interventions d’organismes de l’écosystème entrepreneurial comme la House of Entrepreneurship, la Mu- tualité de Cautionnement, Microlux, Luxinnovation, la SNCI et la Chambre desMétiers, qui ont fourni des informa- tions pratiques sur les dispositifs de sou- tien à l’entrepreneuriat auLuxembourg. Ces échanges ont offert aux participants une vision claire des étapes à suivre pour réussir un projet entrepreneurial. Des ateliers pratiques ont ensuite per- mis d’aborder des sujets concrets tels que les aides à l’amorçage, les bonnes pratiques juridiques ou encore les stra- tégies de fidélisation client. Le format court et interactif a encou- ragé les échanges directs et permis aux participants de repartir avec des outils immédiatement mobilisables. La matinée s’est clôturée sur un temps fort de networking autour de tables thé- matiques, favorisant les connexions entre entrepreneurs et experts dans une ambiance conviviale. Avec cette édition, laHouse of Entrepre- neurship réaffirme son rôle clé dans l’ac- compagnement des jeunes entreprises. En offrant un espace de partage d’expé- riences et d’expertise, elle contribue à transformer les idées en projets viables et durables, dès les premières étapes du parcours entrepreneurial. Source: House of Entrepreneurship Entrepreneurs’ Days Une journée dédiée au début de votre entreprise ©CharlyPetit/ChambredeCommerce
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