AGEFI Luxembourg - juin 2025

AGEFI Luxembourg 38 Juin 2025 Droit / Emploi ParM e PhilippeLAURENS,Avocatauxbarreaux de Luxembourg et de Montpellier, Cabinet NEXUSConseils et NEXUS Luxembourg D ans une affaire d’usufruit temporaire de parts de société civile immobilière (SCI) avec des augmentations de capitaux imparfaitement libérées, la Cour administrative d’appel (CAA) vient d’annuler un redressement fondé sur un abus de droit. ( CAA Paris, 28mai 2025, n°24PA01225 et s. ) Cette affaire concernait des contribuables (résidents fiscaux au Luxembourg) qui avaient constitué plusieurs SCI avant de céder l’usufruit temporaire des parts de celles-ci à une société holding, passible de l’IS en France et qu’ils détenaient indirec- tement par une sur-holding luxembour- geoise (crime ultime). À la suite de la ces- siondel’usufruittemporaire,desaugmen- tations du capital des SCI ont eu lieu afin de financer l’acquisition d’immeubles générantdesrevenus.Laholding,usufrui- tière,procédaitàlalibérationdesapartde capital, à l’inverse des nus-propriétaires. Des emprunts étaient contractés pour compléter le financement des opérations. L’administration estimait que ces opéra- tionsconstituaientunabusdedroitetavait alors imposé les contribuables comme si la cession d’usufruit temporaire des parts n’avait pas eu lieu. Ainsi, les nus-proprié- taires avaient été imposés sur les revenus fonciersgénérésparlesSCIenlieuetplace de la holding. Les amortissements et les intérêts qui avaient été déduits par la hol- dingavaientétéréintégrésdanssonrésul- tatfiscalparl’administration.Despénalités de 40 à 80% avaient également été appli- quées. La Cour administrative d’appel de Paris a annulé le redressement. Pourrappel,l’abusdedroitinvoquérelève des dispositions de l’article L64duLPF : il est applicable dans deux circonstances. D’unepart, lorsque les actes ont un carac- tère fictif, et d’autre part, en cas de fraude à la loi. Afin de caractériser la fraude à la loi,l’administrationdoitdémontrercumu- lativement que : - Les actes écartés recherchent « le bénéfice d’uneapplicationlittéraledestextes[…]àl’en- contre des objectifs poursuivis par leurs auteurs » ; -Lesactesn’ontpuêtreinspirésparaucun autremotif que d’éluder l’impôt. LeConseild’Étatapréciséquelacondition relative à « l’application littérale des textes » estconsidéréecommeremplieenprésence d’unmontage artificiel. La Cour nous délivre plusieurs enseigne- ments, avec fermeté. Une administration quimanque de clarté La Cour considère tout d’abord que l’ad- ministration fiscale n’est pas claire : dans ses conclusions, la Rapporteure Publique considère que « le terrain choisi par l’admi- nistration n’est pas clair : - Écarte-t-elle un acte fictif : abus de droit par simulation ( 1ière branche de l’ADD )? - Ou s’estime-t-elle en présence d’une applica- tion de la loi dans un but exclusivement fiscal contraire à l’intention du législateur : fraude à la loi ( 2 ième branche de l’ADD ) ? » Le comité de l’abus de droit fiscal, dans des avis rendus lors de la séance du 15 novembre 2019 (avisn°2019-42 et s.) avait estimé que l’administration fiscale était endroit demettre enœuvre laprocédure de l’abus de droit car les opérations constituaient un montage artificiel au titrede ladeuxième branchede l’abus de droit se libérant des termes de sa saisine et qu’elles avaient un but exclusivement fiscal (le comité avait confirmé sa posi- tion dans le cadre d’une deuxième sai- sine lors du contrôle fiscal d’années pos- térieures : avis n°2024-14 et s., séance du 14 novembre 2024). Il n’y a aucunmontage artificiel La Cour estime ensuite qu’il n’existe pas demontage artificiel car : - si l’administration estime que constitue unmontage artificiel l’ensemble des opé- rations (constitution des SCI au capital modique,démembrement,augmentation de capital, absence de libération des nus- propriétaires,),ellen’écartecependantque le démembrement des parts de SCI via la procédure de l’abus de droit ; - faisant application de la jurisprudence BNP Conseil d’État, Chambres réunies, 3 mai 2023, 434441, la Cour rappelle que l’administration ne conteste pas que les opérations ont permis le financement de la constitution d’un patrimoine immobi- lier pour les nus-propriétaires sans sup- porterdirectementlesfinancements:« l’ad- ministrationnecontestepasquecetteopération contribue au financement de la constitution d’unpatrimoineimmobilierpermettantàterme auxconsortsXXXdedétenirlapropriétéd’im- meubles sans supporter directement l’intégra- lité de leurs financements » ; - l’administration ne remet pas en cause la réalité de l’opération de financement ayant permis d’acquérir un patrimoine immobilier ; - la simple absence de libération du capi- tal des nus-propriétaires qui conduirait éventuellementàunappauvrissementde la holding au détriment de son intérêt n’est pasdenatureà caractériserunmon- tage artificiel. Pour rappel, il y a montage artificiel « lorsque le contribuable recourt à l’interposi- tiond’uneséried’actescohérentsetconvergents, passés en vue de créer une situation juridique ou économique artificielle à seule fin d’entrer dans les prévisions d’une disposition fiscale favorable » (par exemple : CE, 18mai 2005, Min. c/ Sté Sagal, n° 267087). Il n’y a aucun élément contraire à l’intentiondu législateur La Cour relève, par ailleurs, que l’admi- nistration n’apporte aucun élément pour justifier d’une application littérale des textescontraireàl’intentiondulégislateur. La Rapporteure Publique était même encoreplussévèreavecl’administrationet le Comité de l’abus de droit : « le deuxième point de l’abus de droit par fraude à la loi est le faitd’avoirvouluseplacersousunedisposition fiscalefavorable.Orl’administrationn’explique pas quelle est la dispositionfiscale dont a voulu abuserlasociété.Ontrouvementionnéunefois danssesécrituresdel’article8( duCGI ).Mais cetarticleneconstituepasunedisposition fiscalefavorable .Lecomitéconsultatifévoque poursapartl’article238bisK( duCGI ),article technique qui expose comment doit être comp- tabiliséelaquotepartdesbénéficesd’unesociété de l’article 8 (du CGI) chez l’associé soumis à l’IS. Là encore onvoitmal enquoi il s’agit d’une disposition favorable dont la société aurait fait unmauvais usage ». Elle en conclut qu’il convient d’annuler le redressement fiscal fondé sur l’abus de droit. Il y a desmotifs autres que fiscaux Mais surtout, et en tout état de cause, la Rapporteure Publique indique en que « l’opération a un but patrimonial indéniable avec un actif initial de la holdingmère de 42M d’euros à investir ». La Cour relève pour sa part que l’admi- nistration fiscale : « ne conteste pas que cette opération contribue au financement de la constitution d’un patrimoine immobilier per- mettant à terme aux consorts XXX de détenir la propriété d’immeubles sans supporter direc- tement l’intégralité de leurs financements ». Ilyavaitdoncdeuxjustificationspatrimo- niales, non fiscales, l’une pour la holding, l’autre pour les nus-propriétaires et pour comble, c’est l’administration qui a elle- même reproché ce second aspect tout au long de la procédure, se passant elle- mêmelacordeautourducou.Ils’agitd’un point majeur, essentiel, primordial, car la Courd’appelestledernierjugedelamaté- rialité des faits et dans l’éventualitémême d’un possible recours devant le Conseil d’État, ce point resterait acquis. La Cour sanctionne tant le Comité de l’abusdedroit,quiarefusédetenircompte de ces éléments (qui lui ont pourtant été présentés), que le Tribunal administratif qui a constaté leur existence sans en tirer les conséquences de droit : « la requérante soutient, en deuxième lieu, que ces opérations se justifieraient par un intérêt de nature patri- moniale. Ces considérations ne sont toutefois pas suffisantes à caractériser un intérêt subs- tantiel autre que fiscal ». Cela parait surprenant dans lamesure où enmatièred’articleL64LPFlebutnonfis- cal n’a nul besoin d’être substantiel, ou principal, sa seule existence suffit à inter- dire le recours à ce type d’abus de droit. Car, faut-il le rappeler, pour qu’un abus dedroitexiste,ilfautunbutexclusivement fiscal. La Rapporteure Publique a consi- déré que cette condition était absente puisque le but patrimonial était présent « indéniablement ». Les conséquences fiscales tirées par l’administration sont incorrectes La Rapporteure publique relève encore que même à suivre l’administration sur son terrain, il convient de constater que « l’administration a tiré des conséquences inverses de celles qui devraient découler de la fictivité invoquée des démembrements ». En effet, si les augmentations de capital n’ont pas été libéréespar lesnus-proprié- taires et que lesdémembrementsdoivent être considérés comme fictifs, alors la seule associée ayant libéré serait la hol- ding. Elle précise : « en l’espèce, la fictivité des apports (par les nus-propriétaires ) n’est pas contestée. L’administration était donc en droit d’estimer que la SCI n’existait qu’entre les mains de l’unique associé ayant libéré ses apports. Ànouveau la société ( holding ) doit- être regardée comme pleinement propriétaire des immeubles ». C’est donc laholdingqui devait percevoir les revenus. En aucun cas les nus-propriétaires. Pourquoi les taxer dans cette hypothèse ? Pourquoi ces atermoiements de l’administration ? Tout simplement parce que le recours de l’administration à l’abus de droit était, lui, totalementartificiel.C’estcequevientrap- peler la CAA de Paris en sanctionnant, avec courage, tant l’administration que le Comité de l’abus de droit. En réalité, l’ad- ministrationsouhaitaitéviterleterrainris- qué de l’acte anormal de gestion. Il s’est donc agi pour elle de faire de l’acte anor- mal«rampant»,(quineditpassonnom). Cela est d’ailleurs souligné à de nom- breuses reprises par la Rapporteure Publique : « l ’administration aurait pu se placer sur le terrain de l’acte anormal de ges- tion. Elle aurait pu soutenir avec quelque chance de succès qu’en acceptant de libérer seule les apports alors que ses associés allaient à terme se trouver pleinement propriétaires du patrimoine constitué la société HSFP s’est appauvrie et a accordé à ses associés une libé- ralité. L’administrationne s’est cependant pas du tout placée sur ce terrain. L’administration a produit de nombreux calcul de rentabilité tendant à prouver la perte de revenu pour la sociétéHSFPcausé par le démembrement des SCI. Cette argumentation serait cependant pluspertinentepourcaractériserunacteanor- mal de gestion, terrain sur lequel aurait pu se placer l’administration qui aurait pu estimer quelasociétés’étaitappauvriedansl’opération de démembrement. L’administration entend démontrer que la rentabilité financière de l’opération est diminuée, ce faisant elle admet qu’il y a bienune rentabilité financière et donc une existence économique ce qui contredit la thèse dumontage artificiel ». Sur le terrain de l’abus de droit et du démembrement de parts de SCI, rappe- lons que la jurisprudence est sévère avec l’administration. Tribunal administratif de Nîmes, 3 ème chambre, 17 février 2023, n° 2023794 : Le TAécarte un àun les arguments soulevés par l’Administration et juge que : - Sauf à s’immiscer dans la gestion de la holding, laquelle disposait pleinement de la liberté de choisir entre lemaintien d’un apport en compte courant ou l’incorpora- tionde ce compte courant au capital de la SCI,l’Administrationnepouvaitcritiquer, en tant que tel, le choix financier de la société ; -Lechoixdelasociétédesouscrireàl’usu- fruit temporaire sur 16 ans, plutôt que la pleine propriété des parts, relève égale- ment de la libre détermination de l’entre- prise, laquelle détient seule la faculté de déterminerlequantumdesaparticipation dans une autre société, dès lors que ce choix ne se traduit pas par un appauvris- sement et n’est pas contraireouétranger à ses intérêts ; - S’agissant de la surestimation du prix de la souscription, le Tribunal, à l’issue d’une analyse circonstanciée, juge que même si laméthoded’évaluationretenue par la société ne fait pas partie de celles généralement préconisées dans les tech- niques de valorisation, l’Administration ne démontre pas pour autant que la hol- ding aurait, ce faisant, effectué un acte anormal de gestion ; - La seule circonstance qu’une opération puisse comporter un avantage éventuel pour un tiers ne suffit pas à lui donner uncaractèreanormal,dèslorsqu’ellen’est pas contraireouétrangèreaux intérêtsde la société. CAALyon,6fév.2025,n°23LY01217 pré- cise encore que le fait, pour une société commercialedeparticiperaucapitald’une sociétécivileimmobilièreavecdesassociés personnes physiques, par ailleurs action- naires et mandataires sociaux de cette société commerciale, dans le cadre d’un projet immobilier visant au développe- ment de son activité ne constitue pas en soi, un acte ne relevant pas d’une gestion commerciale normale ni même la pré- somptiond’untelacte,maisrelèvedel’op- portunité de ses choix de gestion, alors même que le rendement escompté de cette participation au capital de la société civile immobilière ne serait pas identique pour chacun des associés concernés. L’administrationfiscalen’estpasautorisée à s’immiscerdans les choixdegestiondes entreprises. Mais il y en a de nombreuses encore : Tribunal administratif de Nîmes, 3 ème chambre, 1 er décembre 2023, n° 2022751 ou Tribunal administratif de Toulouse, 5ème chambre, 4 avril 2023, n° 2101921 et dernièrementCAAToulouse, 5 juin2025, n°23TL01679. En conclusion, nous nous demandons, comme le suggérait dernièrement Monsieur le ProfesseurOlivierDEBAT, si le Comité de l’abus de droit n’aurait pas tout intérêt à intégrer en son sein un Professeur d’université spécialiste de fis- calité(etenactivité)afinquecederniersoit le gardien des principes fondamentaux qui paraissent devoir être rappelés à ses membres actuels plus habitués aux hon- neurs des tribunes des colloques, sémi- nairesetautresmanifestationsdecommu- nication qu’à ces principes pourtant clairs et simples. Enfin, reste à attendre de savoir si l’admi- nistration osera se pourvoir devant le Conseil d’État, nous en doutons compte tenude cet arrêt si détaillé. La CAAde Paris donne une leçon à l’administration fiscale et corrige le comité de l’abus de droit ! ©Freepik A u Luxembourg, les em- plois liés aux biens et aux services environnemen- taux ont augmenté depuis 2015, at- teignant ainsi une part de 5,7%de l’emploi total en 2022, soit un chif- fre bien au-dessus du niveau eu- ropéen (2,7%). Mais avec le ralentissement de l’emploi total intérieur ces deux dernières an- nées, le Luxembourg devra faire face à de nouveaux défis pour poursuivre sa transition vers une économie plus verte. L’herbe n’est pas plus verte ailleurs…qu’auLuxembourg ! Au niveau de l’Union des 27, le nombre d’emplois liés aux biens et aux services environnementaux, en équivalent temps plein, a augmenté de 2millions en 20 ans. La part des emplois liés aux biens et ser- vices environnementaux, dans le total de l’emploi par pays respectif, a connu une évolution marquée dans l’UE, mais c’est au Luxembourg que la croissance a été la plus forte. Au Grand-Duché, ces emplois représentaient 5,7% de l’emploi total en 2022, contre seulement 2,7%dans l’UE. AuLuxembourg, laprogressionaété très lente entre 2008 et 2015. À la suite de l’adoption des 17 objectifs de développe- ment durable des Nations Unies et de la signature du Luxembourg à l’Accord de Paris en 2015, le pays a revu son plan national pour un développement dura- ble en intégrant de nouvelles normes environnementales pour atteindre ses objectifs climatiques à l’horizon 2030. Sur la période 2015-2022, le taux de croissance annuel moyen des emplois liés à l’environnement a connu un rythme de croisière de 13,9% l’an ; ceci correspond à une croissance annuelle moyenne de +2.437 emplois en équiva- lent temps plein (ETP). Ce sont principalement les emplois dans la gestion des ressources naturelles (CReMA) qui ont permis de propulser le Luxembourg au premier rang en Europe en termes de part des emplois liés aux biens et services environnementaux dans l’emploitotal;cetteclassificationregroupe des métiers liés à la gestion des zones forestières, à la production de l’énergie renouvelable ou encore à l’économie et la gestionde la chaleur et de l’énergie. En effet, selon un rapport du STATEC de 2023, « la croissance de 11.185 emplois verts en 2020 par rapport à l’année 2016, estliéepour68%àlaconstructiondesmai- sonspassives»;en2022,cettetendancese confirme, car la hausse supplémentaire sur2ans,de+6.315emploisliésauxbiens etauxservicesenvironnementaux,corres- pond pour 84,5% à la gestion des res- sourcesénergétiquesfossiles(CReMA13). Source : IDEA Le marché du travail verdit au Luxembourg ©Freepik

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