Agefi Luxembourg - décembre 2025

Décembre 2025 37 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi L e 21 octobre 2025, l’adminis- tration luxembourgeoise a émis une nouvelle circulaire, 807-1, où elle précise son interpréta- tiondu traitement TVAde l’utilisa- tionprivée de voituresmises à dispositionpar les employeurs à leurs salariés. Le changement le plus important est la suppression de la possibilité de réduire la base taxable de cettemise à disposition à la hauteur de l’usage professionnel pour les salariés résidents au Luxembourg. Par Cédric TUSSIOT, Partner et Michel LAMBION, Managing Partner, Deloitte Tax &Consulting Lorsqu’en janvier 2021, la Cour de justice del’Unioneuropéennearendusadécision dans l’affaire « QM » (C-288/19), nous avons vite compris que sa mise en place serait longue et complexe. Nous y avons d’ailleurs consacré plusieurs articles dans ces colonnes. Néanmoins, nous n’avions pasanticipéqu’ilseraitnécessairequel’ad- ministration de l’enregistrement, des do- maines et de la TVA (AEDT) publie une troisième circulaire sur le sujet (le 30 octo- bre 2025, soit presque cinq après). Rappelons qu’avant cette décision, l’utili- sation privée d’une voiture mise à dispo- sitionparunemployeur était soumiseà la TVA du pays de l’employeur au titre de «prélèvementprivé».Labasetaxableétait déterminée selon différentes méthodes, dont la plus fréquente au Luxembourg était unpourcentagedes couts relatifs à la voiture supportés par l’employeur. Enfin, il n’était pas nécessaire de calculer de pré- lèvementprivélorsquel’employeurnedé- duisait aucune TVA. L’arrêt QM a profondément remis en question ce sys- tème bien rodé en imposant une distinc- tion entre les mises à disposition dites « onéreuses » et celles dites « gratuites ». La mise à disposition d’un véhicule au profitd’unsalariéestqualifiéed’onéreuse dès lors que celui-ci dispose d’un choix et contribue, notamment par retenue sur sa- laire ou par renonciation à un avantage («salarysacrificecarpolicy»).Enl’absence de choix et de toute compensation en cas de renonciation (« no choice car policy »), lamise à disposition est réputée gratuite. Si l’arrêt QMn’affecte pas lamise à dispo- sition réalisée à titre gratuit qui reste sou- mise au régime décrit ci-dessus, il bouleverse celui de lamise àdispositionà titre onéreux. Cette mise à disposition est désormaisconsidéréecommeunelocation soumise à la TVA dans le pays de rési- dencedu salariédès lors que le salarié bé- néficie de manière exclusive pour une durée ininterrompue d’au moins trente jours du véhicule. Un employeur luxem- bourgeois,dontdessalariéssontrésidents auLuxembourgetdanslestroispaysvoi- sins (très fréquent), devra ainsi soumettre à la TVAde chacun de ces pays les mises à disposition de voitures aux taux en vi- gueuretselonlesrègleslocalesquivarient sur différents points, en fonction de la ré- sidence de ces employés. L’AEDTaémisle11février2021,unepre- mière circulaire (n° 807) qui reprendpour l’essentieletenlesexplicitant,leséléments pertinents de la décision, tout en souli- gnant la nécessité de semettre en confor- mité dans les pays de résidence des salariés.Le28avril2023,elleapubliélacir- culaire807bisoùelleprécise,notamment, que la base taxable ne peut être inférieure aux coûts exposés par l’employeur et qu’ellepeutêtreréduitepourtenircompte de l’usage professionnel de la voiture (1) . La nouvelle circulaire 807-1 abroge cette circulaire807bis.Leprincipalchangement apporté par cette nouvelle circulaire est, sans aucun doute, la suppression de la possibilitéd’ajusterlabased’impositionde l’usage privé en tenant compte des kilo- mètres parcourus à des fins profession- nelles.Cettemodificationestbaséesurune des caractéristiques essentiellesde la loca- tion qui est le droit d’utiliser le bien loué demanière exclusive. L’administrationen déduit que l’employeur ayant accordé au salarié/locataireunevoiturerenonceàson droit de l’utiliser lui-même à des fins pro- fessionnelles autres que la location au sa- larié. Il est intéressant de mentionner le paragraphe 40 de l’arrêt QM qui précise quelalocationimpliquele« droitd’occuper son bien et d’exclure toute autre personne du bénéfice d’un tel droit ». L’exclusivité porte donc sur la possibilité d’interdire l’usage de la voiture à toute autre personne, ce qui correspond à la pratique générale des voitures de société, particulièrement dans le cadre des poli- tiques « salary sacrifice » qui sont visées par lanouvelle circulaire.Or, l’interpréta- tion de l’administration aboutit à une ex- clusivité de l’utilisation, à savoir une utilisation qui est considérée comme ex- clusivement privée, ce qui est assez cu- rieux pour une voiture de société. Nous pouvons comparer cette situation avec une maison ou un appartement utilisé à des fins privées et professionnelles. Cet immeuble sera utilisé par la même per- sonne pour ses différentes activités. Cette hypothèse exclut lapossibilité que lepro- priétaire de l’immeuble puisse l’utiliser concurremment au locataire. Il y a donc un seul bien, unutilisateur exclusif et une utilisationmixte. Onvoit bien ici le paral- lèle avec les véhicules de société. Malgrécesréserves,forceestdereconnaî- tre que la position de l’administration est très claire. Quelles en sont les consé- quences ? Sidenombreuxsalariés«debureau»uti- lisentpeuleurvoitureàtitreprofessionnel et seront donc peu affectés par cette nou- velle règle (la réduction de la base taxable serait très faible), il en va autrement de leurscollèguescommerciauxoutechnico- commerciaux, ou de ceux qui se rendent régulièrement dans des usines ou chan- tiers isolés. Ces salariés subiront donc sur cequiest,aumoinspartiellement,unoutil professionnel, une charge de TVA crois- santeenfonctiondel’usageprofessionnel. Paradoxalement, cette charge croissante implique alors que l’avantage d’une voi- ture de société diminue proportionnelle- ment à sonutilisationprofessionnelle. La circulaire précise aussi que lorsque l’employeur rembourse l’employé pour les kilomètres effectués à des fins profes- sionnelles avec la voiture « louée », l’em- ployé lui rend un service « séparé ». Par «séparé»,l’administrationsembleconfir- mer, selon nous, que le montant rem- boursé n’est pas imputable sur la base d’imposition. La circulaire s’applique, bienévidemment,auxmisesàdisposition de véhicules qualifiés de locations sou- mises à la TVA luxembourgeoise, c’est-à- dire aux voitures des résidents luxem- bourgeois. Qu’en est-il des voituresmis à disposition de salariés luxembourgeois résidants dans les Etats voisins (2) ? L’administration belge admet différentes méthodesdecalculdelabasetaxable,dont une méthode forfaitaire selon laquelle l’utilisation professionnelle de la voiture estestiméeà35%.Ils’agit,ànotremeilleure connaissance, de la méthode la plus fré- quemment utilisée. L’Allemagne prévoit aussi différentes méthodes : le carnet de bord, qui distingue les kilomètres privés des kilomètres professionnels, et unemé- thodeforfaitaire,quicalculelabasetaxable en tenant compte du nombre de kilomè- tresentrelelieudel’activitéprofessionnelle et le domicile. Le rescrit fiscal publié en avril2025parl’administrationfiscalefran- çaise prévoit que « L’employeur est réputé avoir déterminé le montant de la contrepartie de la mise à disposition du véhicule en tenant précisément compte de l’utilisation partielle- ment personnelle qu’en fera son salarié. ». Il n’est donc pas prévu un abattement « en aval » comme en Belgique mais la possi- bilitéd’un calcul « enamont »du loyer en le diminuant de la partie professionnelle est envisageable. Enfin, la circulaire confirme que l’em- ployeur qui a régularisé la TVA due à l’étranger depuis la décision QM sur les mises à disposition de voitures, peut de- mander le remboursement de la TVA luxembourgeoise payée pendant les mêmes années dans les limites des règles de la prescription luxembourgeoise (cinq ans àpartir du31décembre de l’année où la TVA était due ou déductible). Mais, alorsquelacirculaire807bislaissaitàpen- serquelarégularisationpouvaitêtreeffec- tuée dans une seule déclaration, la nou- velle circulaire requiert une déclaration rectificative par année. Nous devons en- core mentionner que la circulaire ne pré- voitpasdedated’entréeenvigueur,cequi peut complexifier d’avantage la situation. En excluant la possibilité de diminuer la base taxable à la hauteur de l’usage pro- fessionnel, la nouvelle circulaire impli- quera un coût supplémentaire pour ceux quiavaientutilisélapossibilitéouvertepar la précédente circulaire et coupe les élans deceuxquienvisageaientd’yrecourir.Un réexamendes politiques de voiture pour- raitdoncêtreopportun.Enfin,lanouvelle circulaire est une piqure de rappel pour touslesemployeursquin’auraientpasen- core examiné les implications de l’arrêt QMet/ouentrepris les actions nécessaires qu’il est temps d’y procéder aussi rapide- ment que possible. 1) Voir « L’administration luxembourgeoise apporte des clarifications au régime TVA applicable aux voitures de société», juin2023. 2)Voir«L’administrationbelgeapportedesclarifications aurégimeTVAapplicableauxvoituresdesociété»,octobre 2023, « TVA et voitures de société : où en sommes-nous auLuxembourgetdanslespayslimitrophes?»,novembre 2023,et«TVAprécisionsdelaFrancesurlesvoituresde société», juillet2025. TVA: nouvelle circulaire luxembourgeoise relative aux voitures de société ©Freepik Par Daniel CAPOCCI, PhD L e rôle des Conseils d’adminis- tration connaît une transfor- mation profonde à mesure que les organisations naviguent dans un environnement straté- gique, réglementaire et socié- tal de plus en plus com- plexe. Les questions liées à l’efficacité—la manière dont les Conseils fonc- tionnent, prennent leurs décisions et interagis- sent—sont devenues centrales dans les débats contemporains sur la gou- vernance. Bien que la confor- mité juridique et les structures formelles restent essentielles, elles ne constituent qu’une partie de ce qui permet à un Conseil d’accomplir pleinement sa mission. Le véritable enjeu consiste à élever la qualité des délibérations, renforcer la supervision stratégique et consolider les dynamiques permettant aux admi- nistrateurs de contribuer de manière significative. Les Conseils doivent aujourd’hui dépasser les zones de confort procédurales et adopter un modèle de gouvernance plus agile, plus curieux et plus exigeant intellectuellement. Les réflexions qui suivent explorent plusieurs dimensions clés de l’efficacité moderne des Conseils et mettent en lumière les domaines dans lesquels beaucoup d’entre eux disposent encore d’une marge d’amélioration importante. Les trois éléments essentiels présentés dans cet arti- cle sont : le rôle déterminant duprésident, la néces- sité d’une culture de débat authentique et ouvert, et l’équilibre entre le «matériel » et le « logiciel » de la gouvernance. Ces dimensions, sans être exhaus- tives, capturent l’essence du changement requis pour rapprocher les pratiques des Conseils des besoins réels des organisations d’aujourd’hui. Principaux leviers d’une gouvernance efficace 1) Le rôle déterminant duprésident Le président est souvent considéré comme le moteur du Conseil. Au-delà des responsabilités procédurales, il donne le ton, façonne l’ordre du jour et crée les conditions d’un contrôle efficace. Dans de nom- breuxConseils,lesprésidentsres- tent fortement concentrés sur les aspects juridiques ou de confor- mité, consacrant un temps dis- proportionnéàlavérificationde documents plutôt qu’à la conduite de discussions straté- giques approfondies. Si ces élé- ments sont indispensables, ils nedoi- ventpasdominerl’activitéduConseilune fois un certainniveaudematurité atteint. Un président efficace doit aujourd’hui disposer de bienplus qu’une longue expérience : il doit s’engager dans un apprentissage continu et maintenir des connaissances actualisées en gouvernance. Les envi- ronnementsréglementairesévoluentrapidement,tout commelesattentesenmatièredestratégie,derisques, de talents, de digitalisation et de durabilité. Sans cet engagement à développer et renouveler ses compé- tences, il devient difficilede conduire leConseil à tra- vers les défis de la gouvernancemoderne. C’est le premier élément clé à considérer lorsque l’on réfléchit à l’évolutiondesConseils : unprésident plei- nement dédié, compétent et prêt à accompagner l’or- ganisation dans sa prochaine phase de développe- ment. Le leadershipau sommet duConseil peut ren- forcer—ou fragiliser—presque toutes les autres dimensions de la gouvernance. 2) Instaurer un espace de débat ouvert et honnête Lacultured’unConseilinfluencefortementlaqualité desesdécisions.Danslesenvironnementsoùledébat est limité ou où la hiérarchie étouffe la contestation, les Conseils risquent de devenir des audiences pas- sivesplutôtquedevéritablesorganesdesupervision. Une situation dans laquelle la direction monopolise la parole constitue un signal d’alerte évident. Les Conseils efficaces veillent à ce que les administra- teurs—et non les exécutifs—mènent la discussion, remettent en question les hypothèses et interrogent les choix stratégiques. Un autre facteur influençant le débat est la présence d’actionnairesdominantsoude représentantsdont la voix n’est jamais remise en cause. Dans de tels cas, l’indépendance s’érode et certains administrateurs peuvent s’autocensurer, affaiblissant ainsi l’intelli- gence collective dugroupe. Encouragerundialoguesolideneconsistepasàmul- tiplier les réunions ni à produire davantage de docu- ments, mais à améliorer la qualité des interactions. L’efficacité réelle d’un Conseil repose sur sa capacité àexplorerdespointsdevuedivergents,àaborderdes sujets sensibles et à accepter une forme de tension constructive conduisant à de meilleures décisions. L’objectif n’est évidemment pas de générer des ten- sions, mais de reconnaître qu’elles peuvent émerger lorsque le débat est authentique et constructif. Ledeuxième élément clé résidedoncdans l’instaura- tion d’une culture favorisant un débat transparent, honnêteetéquilibré,oùchaqueadministrateursesent légitime pour s’exprimer, questionner et contribuer, sans crainte ni barrières formelles. Ce n’est que dans un tel environnement que lesConseils peuvent assu- mer pleinement leur rôle de supervision éclairée. 3) Trouver le bon équilibre entre “hardware” et “software” Un cadre d’analyse utile distingue le « matériel » et le « logiciel » de la gouvernance. Lematériel renvoie aux éléments formels : composition, règles de gou- vernance, structure des comités, compétences des administrateurs. La plupart des Conseils gèrent assez bien ces aspects et respectent généralement les standards recommandés. Lesdifficultéslesplusimportantesapparaissentsou- vent du côté du logiciel : culture, comportements, niveauxdeconfiance,dynamiquesinterpersonnelles et façon dont les discussions se déroulent. Ces dimensions plus subtiles influencent fortement la capacitéduConseil àprendredesdécisionsdehaute qualité. Lesdéfis liés austylede leadership, aupoids de certains actionnaires ou aux tensions non expri- mées ne peuvent être résolus par des processus for- mels seuls. Ils nécessitent des espaces dédiés—tels quedes évaluations duConseil, des séminaires stra- tégiques ou un accompagnement externe—pour permettre aux sujets sensibles d’émerger et d’être traités. Ignorer ces aspects conduit souvent à des Conseils conformes sur le papier, mais manquant de profondeur dans la pratique. L’équilibre entre matériel et logiciel constitue ainsi le troisième élément clé, soulignant que lagouvernance efficacereposenonseulementsurlesstructures,mais aussi—et peut-être surtout—sur les personnes et la qualité de leurs interactions. Conclusion La gouvernance des Conseils évolue rapidement, et l’efficaciténepeutplusêtreévaluéeuniquementàtra- verslaconformitéoulesstructuresformelles.L’avenir d’une gouvernance solide repose sur une combinai- sondeleadershipcompétent,d’apprentissagecontinu, defocusstratégiqueetd’unecultureencourageantun débat constructif et ouvert. Àmesure que les organi- sations font face à une diversité croissante de défis, la demande pour des administrateurs indépendants, bienpréparésettournésversl’avenirnecessedecroî- tre. Cette évolutiondoit concerner nonseulement les grandes entreprises, mais aussi les structures plus petites,souventcaractériséespardesressourceslimi- tées, des processus informels ou une concentration de l’actionnariat. Ces organisations peuvent tirer un bénéfice significatif de l’adoption de pratiques de gouvernance plus modernes : définition plus claire des rôles, présidence renforcée, ordres du jour plus stratégiques et environnement dans lequel les admi- nistrateurs peuvent questionner, challenger et pro- poser des alternatives. Même des améliorations modestes peuvent accroître considérablement l’agi- lité, la transparence et la résilience. LecheminversdesConseilspleinementefficacesreste encorelong.Renforceràlafoislematérieletlelogiciel de la gouvernance sera essentiel pour des Conseils souhaitantresterpertinentsetcréerunevaleurdurable dans un monde en rapide évolution. Cette transfor- mationn’estpasuneoption:elleconstitueunenéces- sité pour toute organisation désireuse de prospérer à long terme et désireuse de s’adapter à un monde en perpétuelle évolution. Efficacité des conseils d’administration

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