Agefi Luxembourg - octobre 2025
Octobre 2025 35 AGEFI Luxembourg Immobilier Par Stéphanie JUAN,Avocat,Associée,Docteur endroit, MOLITORAvocats à la Cour L e coliving s’impose en Europe comme une réponse agile aux ten- sions locatives, en offrant des loge- mentsmeublés clé enmain, des espaces communs qualitatifs et des services premium intégrés pour une clientèlemobile et exigeante.Au Luxembourg, les offres d’opérateurs comme ManyMany, Cohabs, Gravity Coliving et Colivrs illustrent la dynamique du secteur. Mais derrière l’attractivité dumodèle se cache un cadre juridique encore fragmenté. Pour réussir unprojet, la clé du succès réside dans la maîtrise en amont de trois volets distincts : les règles urbanistiques, les autorisations d’établissement et le cadre contractuel. Ce condensé met en lumière les points de vigilance et les réflexes opérationnels à adopter auGrand-Duché. Urbanisme : usage, quotas de logement abordable et résidence des occupants Le point de départ incontournable est de vérifier l’usage autorisé du bâtiment dans lequel le projet de coliving est envisagé. Si l’opérateur se limite à fournir des logements meublés et des espaces communs réservés aux occupants, un usage rési- dentiel semble suffire. Dès lors que des « super- communs » ouverts au public sont envisagés (coworking externe, restauration, bar), un usage mixte devient nécessaire. Il faut donc confronter le projet aupermis de construire, aupland’aménage- ment général, et, le cas échéant, au plan d’aména- gement particulier et au règlement de copropriété. Une conversion d’usage ou de zonage peut être re- quise, avec un impact sur le calendrier et le capex. Exploiter unbâtiment endehors de l’affectation au- torisée expose àdes sanctions administratives et pé- nales et à un risque d’actions civiles. Autre enjeu urbanistique : les quotas de logements abordables dans les PAP« nouveauquartier ». Selon lenombred’unitésetlaprovenancedesfondsreclas- sés, une part de la surface construite brute doit être réservée au logement abordable (planchers de 10%, 15 % ou 20 % selon les cas). Ce paramètre influe di- rectement sur la faisabilité et le modèle économique et doit être intégré dès la conception. Enfin, la déclaration de résidence des oc- cupants auprès des communes, obliga- toire dans des délais brefs, peut se heurter à des interprétations locales strictespourdesimmeublesdecoliving. Certains refus d’inscription ont été op- posés aumotif d’une inadéquation pré- sumée avec la notion de résidence habituelle. Le critère repose en pratique sur l’usage effectif des lieux et la durée d’occupation. L’impact est immédiat pour les occupants (droits sociaux, preuvesderésidence)etpour l’exploitant, qui peut être contraint à des séjours plus courts. Un dialogue en amont, idéalement formalisé par écrit, avec la commune d’implantationestdoncessen- tiel pour sécuriser l’usage visé et la possibilité d’ins- crire les occupants. Autorisations d’établissement : le socle réglementaire de l’opérateur Toute entité désireuse de prester des services de co- living doit obtenir les autorisations d’établissement nécessairesdélivréespar leministèrede l’Économie. Deux autorisations sont en pratique incontourna- bles : l’autorisationd’établissement pour les activités commerciales non autrement réglementées, d’une part, et l’autorisation d’établissement pour les acti- vités commerciales d’exploitant d’un établissement d’hébergement, d’autrepart, cettedernière couvrant la location d’unités meublées sur une base journa- lière, hebdomadaire ou mensuelle pour une durée cumulée de 90 nuitées ou plus par an. Dans l’hypothèse où la résidence de coliving com- porterait un restaurant/snacket/ouoù les occupants bénéficieraient de services de repas/boissons de la part de l’exploitant, une autorisationd’établissement pour exploitant d’un établissement de restauration sera également nécessaire, ainsi qu’une licence de cabaretage s’il y a des boissons alcooliques. L’obtention des autorisations suppose que l’opéra- teur de coliving dispose d’un lieu d’exploitation fixe au Luxembourg, hors domiciliation ou coworking, matérialiséparuntitred’occupation(bail,convention d’occupation) oude propriété et qu’il désigne undi- rigeant assurant la gestion journalière de la société, régulièrement présent auLuxembourget répondant aux exigences d’honorabilité et, selon le cas, de qua- lificationprofessionnelle(hygiènealimentaire,forma- tion immobilière, etc.). Le non-respect de ces exigences expose à des sanctions pénales et à la fer- meture administrative. Là encore, l’anticipation évi- tera les déconvenues. Cadre contractuel : une structure à deux niveaux Les projets de coliving sont basés sur une structure contractuelle à deux niveaux : le premier niveau concerne le lien entre le propriétaire des lieux et l’opérateur de coliving ; le second niveau, le lien entre l’opérateur de coliving et les occupants. Dans certains cas, le propriétaire conclut un contrat de prestation de services avec l’opérateur de coliving et ce dernier loue les espaces aux différents occu- pants. Dans d’autres hypothèses, le contrat de loca- tion s’impose à chaque niveau de la structure. Quel que soit le modèle choisi, il est indispensable de maîtriser les règles légales applicables. Nous prendrons ici, à titre d’exemple, le cas d’un double lien locatif. Contrat propriétaire – opérateur de coliving La jurisprudence luxembourgeoise récente consi- dèreque lebail principal concluentre lepropriétaire et l’opérateur de coliving est àqualifier de bail com- mercial, même si le bien est utilisé à des fins d’habi- tation par les occupants finaux. Cette qualification apportede la clarté et, surtout, une liberté sur lafixa- tion du loyer entre propriétaire et opérateur. La sous-location par l’opérateur soulève toutefois un point sensible : le différentiel de loyer entre le bail principal et les loyers de sous-location. La ju- risprudence récente admet la possibilité de facturer un loyer de sous-location supérieur, à condition de se limiter aux frais d’exploitation spécifiques et à un bénéfice raisonnable fixé en l’espèce à 10 % du loyer principal. Contrat opérateur de coliving – occupant Le contrat entre l’opérateur de coliving et l’occu- pant reste un bail, mais il n’entre pas dans le régime du bail commercial. La question est donc de savoir s’il s’agit d’un bail d’habitation ou si un bail civil de droit commun est envisageable. La loi sur le bail d’habitationdu 21 septembre 2006, telle quemodifiée, s’applique lorsque l’occupation des lieux se fait pour unusage résidentiel principal, ce qui dépendde trois facteurs : l’usage effectif des lieux (habitation vs hébergement temporaire), la durée du séjour (plusieurs mois vs quelques se- maines/jours) et le poids des services annexes. Plus l’occupation est longue et l’usage « résidence prin- cipale » établi, plus le régime d’habitation tendra à s’appliquer. À noter qu’une réforme récente de la loi du 21 septembre 2006 a expressément étendu le texte aux « baux multiples » (immeuble divisé en chambres ou en unités louées individuellement), rapprochant ainsi encore plus le coliving du péri- mètre résidentiel. Ce régime résidentiel est protecteur pour les occu- pants et contraignant pour l’exploitant. Il plafonne le rendement du bien (5 % du capital investi), en- cadre les suppléments pour les meubles, limite les charges refacturables aux seules dépenses liées à l’usage du logement et impose desmotifs stricts de résiliation. Il ajoute également des normes tech- niques d’habitabilité, de salubrité et de sécurité (surfacesminimales, capacité, équipements collec- tifs). Conséquence pratique enmatière de coliving : les services « communautaires » oude confort de- vraient être facturés aux occupants via un contrat de prestations séparé pour ne pas être requalifiés en loyer, avec, le cas échéant, des incidences dis- tinctes en matière de TVA et de fiscalité. Pour préserver de la flexibilité, certains opérateurs de coliving privilégient un bail civil de droit com- mun, qui offre une latitude contractuelle appré- ciable (charges et services, conditions financières, sortie).Aucun formalisme n’étant prescrit pour un bail civil, une signature par l’occupant de condi- tions générales d’occupation émises par l’opéra- teur de coliving, accompagnées d’un document/ d’une facture indiquant la durée d’occupation, le prix de lamise à disposition des lieux, des charges ainsi que des divers services souscrits, peut être envisagée. Le choix d’un bail civil expose toutefois à un risque de requalification en bail d’habitation si l’usage réel est principalement résidentiel. La rédaction contractuelle, la structuration des services et la preuve de l’usage effectif sont donc déterminantes pour limiter ce risque. À retenir Le coliving au Luxembourg est porteur, mais juri- diquement exigeant. Les règles existent, mais elles supposent une navigationprécise et informée. Bien cadré, cemodèle peut conjuguer performance éco- nomique, sécurité juridique et qualité d’expérience pour les occupants. Pour les investisseurs et pro- priétaires, la sécurisation en amont de l’affectation, des autorisations et de lamatrice contractuelle pro- tège directement le rendement, en réduisant les risques de requalification, d’immobilisationd’actifs et de perte de flexibilité opérationnelle. L’articlecompletestpubliédanslaRevueluxembourgeoisededroitim- mobilier (RLDI, n° 23/2025). Coliving au Luxembourg : sécuriser juridiquement vos projets D epuis 2014, l’Obser- vatoire de l’habitat et le Statec diffusent conjointement une publica- tion consacrée aumarché de l’immobilier résidentiel. Pour la 18 e édition de cette publi- cation, les principaux enseigne- ments sont les suivants : 1. Comme il était attendu du fait del’expirationdesmesuresfiscales qui avaient été prolongées jusqu’au 30 juin 2025, l’activité sur lesmarchésimmobiliersetfonciers a très fortement progressé au 2 e trimestre 2025, après une pre- mière poussée d’activité en fin d’année 2024 puis un contrecoup au 1 er trimestre 2025. Le nombre de transactions est ainsi enhausse de 72,9 % (pour les appartements existants) et de 93,7 % (pour les maisonsexistantes)parrapportau 2 e trimestre2024.Surlemarchédes appartements en construction, la progressionde l’activité est encore plusforte(+126,0%parrapportau 2 e trimestre 2024), mais le nombre de transactions représente toute- foisseulementlamoitiéduniveau moyend’avant crise (2017-2021). 2.Au2 e trimestre 2025, lesprixdes logements (appartements et mai- sons confondus) ont augmentéde 4,5%parrapportaudeuxièmetri- mestre 2024, ce qui se rapproche de l’évolution annuelle à long terme (+5,0 % sur la période de 2010 à 2025). Le regain d’activité a pu avoir un effet mécanique sur les prix de vente, c’est pourquoi il faudra regarder attentivement les chiffres du 3 e trimestre 2025 pen- dant lequel l’activité devrait en théorie se replier. 3. Les évolutions des prix sur les douze derniers mois sont toute- fois très hétérogènes selon les segments : +2,8 % pour les appartements en construction(VEFA,ventesenétat futur d’achèvement) ; +3,2%pourlesappartementsexis- tants ; +7,1%pourlesmaisonsexistantes. 4. Il faut noter que ces évolutions de prix se rapportent à des actes notariésenregistrésau2 e trimestre 2024, donc à des compromis de vente signés en grande majorité avant la finmai 2025. Vente d’appartements et impact desmesures fiscales et réglementaires Depuis2007,lemarchéimmobilier luxembourgeoisamontréunedy- namique positive, notamment en ce qui concerne les appartements, dontlesventesannuellessontpas- sées de 4.794 unités (2007-2010) à 7.130 unités (2018-2021). Bien que cette trajectoire soit généralement ascendante, en relation directe avec l’augmentationde lapopula- tion, elle a connu des périodes de recul,commelorsdelacrisefinan- cièrede 2008 et de lapandémiede COVID-19. La hausse des taux d’intérêt fin 2022 a également for- tement freiné l’activité, enparticu- lier pour les appartements neufs. Uneautrecaractéristiquedumar- ché est sa forte saisonnalité, avec des pics d’activité au quatrième trimestre, souvent en raison de changements fiscaux ou régle- mentairesquipoussentlesacteurs à anticiper leurs transactions. Parexemple,en2014,l’augmenta- tiondu taux de TVAet la réforme des normes énergétiques ont en- traîné une hausse spectaculaire desventes,notammentdesappar- tementsenconstruction.Desphé- nomènes similaires ont eu lieu en 2017et2018suiteàdesréductions fiscales sur lesplus-values, et plus récemment en 2024 et 2025 à l’ap- proche de la fin de diverses me- sures fiscales temporaires. Ledeuxièmetrimestre2025aainsi été marqué par une forte reprise destransactions,notammentpour les appartements existants, avec 1.575ventes, unniveau recordde- puis 2007. Enrevanche,lemarchédesappar- tements en construction (VEFA) estrestépluscalme,malgrédesin- citations fiscales spéciales. Les ex- plications sont probablement multiples, mais le problème sem- blerésiderdavantageducôtédela demande que de l’offre du fait du plus faible ajustement des prix dansleneufquedansl’existant.La reprise concerne donc surtout l’existant, alors que le marché du neufrestelimité,cequisoulèvedes inquiétudes sur l’offre à long terme et la dépendance aux poli- tiques conjoncturelles. L’accessibilité comme facteur déterminant des prix de l’immobilier La localisation d’un bien immo- bilier est un élément clé dans la détermination de son prix. Tra- ditionnellement, la distance au centre-ville de Luxembourg est utilisée comme variable explica- tive, les prixdiminuant générale- ment avec l’éloignement. Cependant, le temps de trajet s’avère être unemesure plus per- tinente car il reflète mieux les conditions réelles de circulation et d’accessibilité. Dans le cadre de la réforme de la taxe foncière (projet de loi n°8082), le temps de trajet moyen entre un bien et le centre de Luxembourg, en transport motorisé individuel, sera intégré au modèle d’évalua- tionimmobilière.Contrairementà ladistancegéographique,letemps de trajet varie selon les infrastruc- tures et la congestion routière, ce qui modifie la perception de l’at- tractivité d’un lieu. Par exemple, bien que Kockelscheuer soit proche en distance, le temps de trajet y est élevé à cause des em- bouteillages, réduisant son attrait comparé à des localités plus éloi- gnées mais mieux desservies commeMersch. L’analyse empirique montre une forte corrélation entre distance et temps de trajet, mais des diffé- rences parfois significatives dans leurs impacts sur les prix, particu- lièrement pour les ventes en état futurd’achèvement (VEFA). L’uti- lisationdutempsdetrajetaméliore légèrementlaprécisiondumodèle hédonique, avec unmeilleur ajus- tement statistique. Ainsi, le temps de trajet sera inté- gré aumodèle hédonique lors du changement de base de l’indice des prix immobiliers prévu pour juin 2026. Cette amélioration mé- thodologiquepermettrademieux refléter la réalité vécue par les ac- quéreurs, sans pour autant modi- fier les indices historiques. Baisse des loyers annoncés des appartements Au 2 e trimestre 2025, l’indice des loyersannoncésdesappartements (issus des annonces immobilières relevéesparl’Observatoiredel’ha- bitatettransmisesparnotreparte- naireImmotop.lu)estenbaissesur douze mois, après la stabilisation observée depuis le début de l’an- née 2024 : -0,7 % sur le trimestre (par rapport au 1 er trimestre 2025) et surtout -2,2 % sur douze mois (par rapport au 2 e trimestre 2024). Dans le même temps, l’inflation sur les prix à la consommation est revenueàdesvaleursconformesà samoyennedelongterme:+1,9% entrele2 e trimestre2024etle2 e tri- mestre 2025. L’indicateur des loyers annoncés des chambres meublées indique une hausse très similairede+1,7%surdouzemois. Il faut souligner toutefois qu’il s’agit des loyers demandés par les bailleurs pour de nouveaux contrats de location. L’augmenta- tiondes loyers en cours de bail est elle aussi proche de l’inflation. SelonlesstatistiquesduStatec,elle atteint +1,8 % pour l’indice des loyers entre le 2 e trimestre 2024 et le 2 e trimestre 2025. Source :ministèreduLogementet de l’Aménagementduterritoire Le « Logement en chiffres » n°18 Forte augmentation de l’activité, hausse des prix de vente en chiffres Le Logement en chiffres N°18-Septembre2025
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