AGEFI Luxembourg - juin 2025
Juin 2025 35 AGEFI Luxembourg Droit / Emploi Par Anaïs PHILIPP, Avocate & Associate chez Castegnaro – Ius Laboris Luxembourg L a questionde la requalification des relations contractuelles entre les livreurs intervenant pour des plateformes numériques et les socié- tés de livraison continue de nourrir un contentieux crois- sant enEurope. Pour la pre- mière fois, leTribunal du travail de et à Luxembourg s’est prononcé sur cette problé- matique (Tribunal du travail, 8 mai 2025, n°1549/25 du rôle). Les faits Le livreur avait signé un « accord sur les services de livraison » avec une SociétéA en avril 2022, puis un « contrat de services de livraison » avec une Société B ennovembre2022.L’acceptationdecesecondcontrat valaitrésiliationdupremier.Cesdeuxcontratsavaient pourobjetlalivraisonderepasàdesparticuliersayant effectué leur commande via une plateforme numérique. Le livreur acceptait les missions par le biais d’une application mobile, développée par une Société C. En cas de difficultés, il pouvait contacter cette dernière sur Telegram , et s’adressait aux Sociétés ArespectivementBparemailpourtouteréclamation liée à l’exécution contractuelle. Le 20 février 2023, la SociétéB informa le livreur de la clôture de son compte. Estimant avoir été licencié, le livreur demanda les motifs de cette décision sur le fondement duCode du travail. La Société B rétorqua qu’en l’absence de relation de travail, aucune justificationn’était requise. Le livreur saisit alors le Tribunal du travail, sollicitant notammentlareconnaissancedesonstatutdesalarié, la qualification abusive de son « licenciement », ainsi que la condamnation des Sociétés A, B et C à divers paiements : arriérés de salaires, remboursement de cotisations sociales, frais professionnels, etc. Le Tribunal du travail conclut à l’absence de liende subordination Le Tribunal a rappelé que la nature juridique d’une relation contractuelle ne découle pas de la qualification retenue par les parties, mais des conditions effectivesd’exécutionde l’activité. Il aainsi rappeléqu’uncontrat de travail sedéfinit comme « la conventionpar laquelle une personne s’engage àmettre son activité à la disposition d’une autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération . » À l’inverse, le contrat de prestation de services se caractérisepar« laprestationd’untravailoud’unemission déterminée, d’ordre intellectuel ou manuel, à titre onéreux, impliquant une exécution sans aliénation de l’indépendance de celui qui est appelé à l’exécuter . » Ainsi, les éléments déterminants pour distinguer un salarié d’un travailleur indépendant sont: - l’existence d’une prestationde travail, - une rémunération ou un salaire en contrepartie de la prestation de travail, - l’exercice d’un pouvoir de direction avec un lien de subordination . Ce lien de subordination, élément central du contrat de travail, se manifeste par la capacité de l’employeurà «donnerdesordresetdesdirectives, d’encontrôlerl’exécutionetdesanctionnerlesmanquements d’un subordonné . » Un contrat de travail est donc caractérisé lorsqu’une personne exerce une activité sous l’autorité d’un employeur, qui oriente, supervise et contrôle la réalisation du travail confié. Dans ce contexte, le Tribunal a recherché l’existence d’un lien de subordinationentrelesparties.Lachargedelapreuve del’existenceeffectiveducontratdetravailincombant à lapersonne qui en revendique la reconnaissance— en l’occurrence, au livreur. Les conventions signées excluaient le rapport de subordination Le Tribunal du travail a, en premier lieu, procédé à l’analyse des conventions successivement signées entrelesparties,afindedéterminersicelles-cifaisaient apparaître un liende subordination. Le Tribunal a d’abord relevé que toutes deux se référaient à la prestation de services de livraison effectuée par le livreur sous le statut de travailleur indépendant. Il a également souligné que les parties avaient expressément stipulé dans les conventions que celles-ci ne créaient aucun lien de subordination entre les parties. Par conséquent, le Tribunal a conclu que les conventions ne permettaient pas de retenir l’existence d’un contrat de travail. Il a, dès lors, poursuivi son analyse en s’attachant aux conditions concrètes d’exécutionde la relation. L’analyse factuelle exclut l’existence d’un pouvoir de direction et d’un lien de subordination Le Tribunal s’est ensuite attelé à l’analyse point par point des arguments avancés par le livreur. Le requérant faisait valoir plusieurs éléments, qui selon lui, permettaient d’établir l’existence, dans les faits, d’un lien de subordination avec les sociétés, notamment : - l’obligation de télécharger une application pour accéder aux commandes à livrer, - l’obligation d’activer sa géolocalisation lors de l’utilisationde l’application, - la nécessité d’être présent dans une zone géographique spécifique pour accéder aux commandes, - l’obligationde porter un équipement imposé, - l’obligation d’accepter toutes les commandes pendant un créneau horaire et de rester connecté à l’applicationdurant ce créneau, - l’obligationde se conformer àdes consignes strictes. Cependant, le Tribunal du travail a estimé que ces élémentsnecaractérisaientpasl’exerciced’unpouvoir de direction, mais constituaient des règles de fonctionnement propres à la nature du service contracté. Le Tribunal a notamment retenuque : « les contraintes imposées au requérant en termes de règles de fonctionnement […] ne sont pas à qualifier d’ordres concernant l’exécutiondu travail,mais de règles spécifiques liées à la nature du contrat ayant lié les parties et la nature de la prestation du service convenu. » Le livreur a également fait valoir : - l’absencedenégociationdes conventions et des frais de livraisons, -lepaiementd’un« minimumgaranti »ensusdesfrais de livraisons, sous certaines conditions, - l’obligationde ne livrer que pour les SociétésAet B, -lepouvoirdecontrôleetdesanctiondesditessociétés. LeTribunalaretenuquel’impossibilitédenégocierle contrat constituait un indice de nature à conclure à l’existence d’un contrat de prestation de services et nonpas d’un contrat de travail. Concernant l’absence de négociation des tarifs, les juges ont précisé que cela relevait davantage d’un indice de dépendance économique que d’une subordination juridique. Enoutre,lepaiementparlessociétésd’unsupplément souscertainesconditionsunilatéralementdéterminées par celles-ci ne saurait conclure à un lien de subordination alors que le livreur était libre de se rendre éligible ounon à ce paiement et qu’à défaut, il percevait à minima les frais de livraisons tels que convenus entre les parties. Par ailleurs, la rémunération sur base de factures hebdomadaires pour les services prestés a été considérée comme incompatible avec un contrat de travail alors qu’elle « relève d’une relation commerciale . » Le fait que les sociétés procédaient par voies d’auto facturationn’a pas nonplus été retenu comme indice de nature à établir l’existence d’un lien de subordination. Le Tribunal du travail a, en outre, retenu plusieurs éléments pour écarter l’existence d’un contrat de travail : - le versement d’un « minimum garanti » ne pouvait être assimilé à un salaireminimumgaranti, - la géolocalisation était utilisée à des fins fonctionnelles, et non comme unoutil de contrôle, - aucun horaire n’était imposé, ni contrainte quant à l’organisationdes prestations, - l’absence d’obligationd’exclusivité, - les sociétés n’exerçaient aucun pouvoir de direction ni de sanction. En outre, les démarches accomplies par le requérant, notamment l’obtention d’une autorisation d’établissementpourexercerl’activitédelivraison,ont été considérées comme des indices clairs de l’absence de relationde travail subordonnée. LeTribunal aégalement relevéque le requérant avait signé des conventions dans lesquelles son statut d’indépendant était expressément mentionné, de sorte qu’il était pleinement conscient de la nature des relations contractuelles. Par ailleurs, il a été versé au dossier des échanges dans lesquels le livreur se présentait lui-même comme indépendant. Ainsi, le Tribunal a retenu que les éléments avancés par le livreur, même envisagés globalement, ne permettaient pas d’établir un liende subordination. Le Tribunal a notamment estimé que les caractéristiques suivantes étaient incompatibles avec le statut de salarié : - la rémunération par factures, selon livraisons effectuées, -lalibertédansl’organisationdeshorairesetdeszones de livraison, - l’absencededuréede travail oud’horairesde travail imposés, - la possibilité de déterminer seul ses périodes d’inactivité oude congé, - l’utilisation du proprematériel du livreur et la prise en charge des coûts afférents, - les clauses contractuelles relatives aux responsabilités, garanties etmodalités de résiliation, - l’obtention par le requérant d’une autorisation d’établissement commerciale. Auvudeceséléments,leTribunaldutravailaconstaté quelelivreuragissaitentouteindépendanceexcluant ainsi la requalification en contrat de travail. En conclusion L’analyse conjointe des conventions signées et des conditionseffectivesd’exécutionapermisdeconclure àunerelationdeprestationdeservicesindépendante, marquée notamment par la liberté d’organisation, la facturation des prestations, l’absence de contrôle hiérarchique, et l’absence de pouvoir de sanction. Cette décisionmet en lumière l’importance accordée par le juge luxembourgeois à l’analyse des faits et confirme que le lien de subordination demeure le critère principal pour reconnaître l’existence d’un contrat de travail. Une première au Luxembourg : Le Tribunal du travail se prononce sur le statut d’un travailleur de plateforme E n 2024, la Fondation de Luxembourg a franchi une étape impression- nante en distribuant près de 100millions d'euros cumu- lés en dons caritatifs, mar- quant ainsi unmoment charnière dans ses efforts philanthropiques. Ce résul- tat est le fruit d'un soutien accru, en particulier en Eu- rope, et d'une forte concen- tration sur les domaines de l'éducation, avec une aug- mentation remarquable de 88%des dons pour des pro- jets éducatifs, et du climat avec le lancement de la Fon- dation pour le Climat. Faits saillants de l’année 2024 : - Unmontant record de 11,2mil- lions d’euros alloués àdes projets philanthropiques au cours de l’année - Près de 100millions d’euros dis- tribués depuis la création de la Fondation - Lancement de l’initiative Fon- dation pour le Climat en faveur de l’action environnementale - Création de 7 nouvelles fonda- tions abritées, portant le nombre total à 119fin2024 (120 en janvier 2025) - Projets soutenus dans 55 pays répartis sur cinq continents - 74% des financements orientés vers des projets en Europe, dont 43% au Luxembourg En 2024, la Fondation de Luxembourg a distribué unmon- tant sans précédent de 11,2 mil- lionsd'eurosàdesprojetscaritatifs, un reflet de la générosité remar- quable de ses donateurs. Grâce à leurs contributions significatives, lemontant total alloué aux projets depuis la créationde la Fondation a atteint prèsde 100millionsd'eu- ros à la fin de l'année. Ces réalisa- tions témoignent de l'engagement continu de la Fondation à faciliter les dons philanthropiques pour relever des défis parmi les plus urgents dumonde. Après avoirdémarré l'année2024 avec la célébration de son quin- zième anniversaire, la Fondation de Luxembourg a poursuivi sur sa lancée en accueillant sept nou- velles fondations sous son égide, portant leur nombre total à 119 à la fin de l'année (120 en janvier 2025). Ces fondations, qu’elles soient d’origine individuelle ou d’entreprise, ont contribué à plus de 340 projets dans les cinq grands axes d'action de la Fondation : l'éducation, la santé, laluttecontrelapauvreté,lechan- gement climatique et la culture. Le président de la Fondation de Luxembourg, Henri Grethen, a salué la générosité et l’engage- ment durable des donateurs : « La croissance remarquableobser- vée tout au long du parcours de la Fondationde Luxembourg, en particulier en 2024, contraste for- tement avec les prévisions mon- diales de baisse du soutien aux causes humanitaires. Dans un contextededéfismondiaux crois- sants, cette dynamique est non seulement encourageante, mais essentielle. Nous exprimons notre profonde gratitude envers nos fondateurs pour leur enga- gement indéfectible, qui permet de générer un impact concret au travers des initiatives caritatives dans lemonde entier. » L'augmentation la plus significa- tive des contributions en 2024 a été dirigée vers les projets éduca- tifs, qui ont connu une hausse de 88%, atteignant 3,5millions d'eu- ros de dons. Ces initiatives cou- vrent un large éventail d’actions – d’un programme local de sen- sibilisation aux sciences et à la technologie, destiné à la jeunesse luxembourgeoise àunprojet plu- riannuel offrant des opportunités d’apprentissage aux enfants réfu- giés afghans au Pakistan. Parallèlement, le soutien aux ini- tiatives en faveur du climat et de la biodiversité a également pro- gressé de manière constante en 2024, passant de 3,3% à 5% du financement alloué aux projets. Afin de renforcer encore davan- tage son engagement en faveur de cette cause cruciale, la Fondation de Luxembourg a lancé en avril 2024 la Fondation pour le Climat. Placée sous son égide, cettenouvelle initiativeagit comme un lien entre les dona- teurs institutionnels et les acteurs de terrain engagés dans des actions climatiques à fort impact. Si la Fondation de Luxembourg conserve une forte implantation locale, elle joue également un rôle pour faciliter du mécénat à l’échelle mondiale, avec des pro- jets soutenus dans 55 pays répar- tis sur les cinq continents. Une part significative, soit 74%, des financements est restée dans les pays de l’Europe (y compris l’Ukraine), dont 43%dédiés àdes projets réalisés au Luxembourg. À l’international, 12% des fonds ont été alloués en Asie et au Moyen-Orient, 10% en Afrique, et les 4% restants auxAmériques et enOcéanie. TonikaHirdman, directricegéné- rale, a souligné l’interdépendance croissante qui caractérise la phi- lanthropie moderne : « Dans un mondeglobalisé, laphilanthropie contemporaine dépasse les fron- tières, mobilisant ressources et solidarité pour répondre aux défis mondiaux les plus urgents. Depuis notreposition stratégique au cœur du Grand-Duché, la Fondation de Luxembourg est fière d’être un partenaire de confiance, facilitant des contribu- tions transfrontalières porteuses de sens au sein de notre réseau international de philanthrope». La Fondation de Luxembourg compteparmi ses donateurs 60% de résidents luxembourgeois, 20% issus de la Grande Région, et le reste provenant de pays tels que le Portugal, la Suisse, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Afrique du Sud, la Finlande et le Danemark. Nouveau record en matière de dons philanthropiques Henri Grethen&TonikaHirdman ©Fondation de Luxembourg
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