AGEFI Luxembourg - juin 2025
Juin 2025 11 AGEFI Luxembourg Economie ParHélèneBAUDCHON,EconomisteBNPParibas L e premier semestre 2025 a été marqué par deux tournants majeurs : la guerre tarifaire mondiale, déclenchée par les États- Unis, et les annonces d’un réarme- ment de l’Europe et d’un plan d’in- vestissements allemandmassif, signes du sursaut duVieux Continent. Le second semestre, qui seramarqué par les suites de ces annonces, risque d’être tout aussi agité. En effet, l’in- certitude autour du point d’at- terrissage des droits de douane demeure entière. L’ampleurdel’impactinflationnistedes tarifs aux États-Unis et la durée du statu quo monétaire de la Fed sont également incertaines. La politique budgétaire, américaine notamment, reste une source potentielle de perturbations sur lesmar- chés financiers. Pour l’heure, ces derniers cherchent plutôt à voir le verre àmoitié pleinmais restent ner- veux et vulnérables face auxmauvaises nouvelles. Il nous paraît plus probable qu’elles seront plus nom- breuses de l’autre côté de l’Atlantique. Cinqquestions et cinq réponses pour 2025 En début d’année, nous avions identifié cinq ques- tions clés pour juger si 2025 serait une bonne année oupas pour l’économiemondiale et l’Europe [1] : 1/ Les États-Unis déclencheront-ils une guerre tari- fairemondiale ? 2/LaChineva-t-elleenfinstimulersaconsommation intérieure demanière structurelle ? 3/ La politique budgétaire causera-t-elle un déraille- ment ? 4/ L’Europe entendra-t-elle les alertes qui ont retenti en 2024 ? 5/ LeRoyaume-Uni peut-il se sortirde lamorositéde 2024 ? Six mois plus tard, il est temps de dresser un pre- mier bilan et d’affiner certaines questions pour le second semestre, avec une nouvelle interrogation majeure:lesecondsemestresera-t-ilaussiagitéque le premier ? La réponse, en résumé, aux cinqquestions posées en début d’année est : 1/Oui :même si une réponsenégative aurait étépré- férable, les États-Unis ont bien déclenché une guerre tarifairemondiale. 2/ Oui et non : les autorités chinoises cher- chent à stimuler la consommation inté- rieurepour contrebalancer les effetsnéga- tifs sur l’activité de l’offensive tarifaire américaine. Mais, non, pour l’heure, ce soutien n’apparaît pas suffisant pour changer durablement les moteurs de la croissance chinoise. 3/Non : lapolitique budgétaire n’a pas causé de déraillement mais le sujet reste pleinement d’ac- tualité. 4/ Oui : l’Europe a entendu les alertes de 2024 et c’est la meil- leure nouvelle de ce premier semestre. 5/Ladernièrequestionreste en suspens mais le rappro- chement du Royaume-Uni avec l’Union européenne est une évolution clairement positive. Où s’arrêtera la guerre tarifairemondiale déclen- chée par les États-Unis ? Le sujet de la guerre tarifaire reste plus que jamais d’actualitéetlaquestioninitialeévolue:àquelniveau les droits de douane vont-ils atterrir ? L’incertitude reste entière.On ignore encore sur quel typed’accord la période de négociations de 90 jours va déboucher, notamment celles entre lesÉtats-Unis et l’UEd’ici le9 juillet et celles entre les États-Unis et la Chine d’ici le 12août.Lalégalitédesdroitsdedouane«réciproques» est, par ailleurs,mise en cause auxÉtats-Unis. La menace de droits de douane sectoriels supplé- mentaires reste brandie (sur les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques, notamment, qui bénéficient d’une exemptionaujourd’hui) et denou- velles haussesdans les secteursdéjà frappés nepeu- vent être exclues (telles que celles de 25%à 50% sur l’acier et l’aluminium, annoncées le 3 juin). Il est, en revanche, à peu près sûr que les droits de douane effectifs moyens atterriront à un niveau plus élevé qu’avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. L’ampleur exactedu choc tarifaire et de ses répercussions reste incertaine, mais il y a bien un choc. Et le choc d’incertitude qui le double est aussi, si ce n’est plus, perturbant et pénalisant pour l’acti- vité économique. Pour lemoment, les traces du choc tarifaire sur l’acti- vitéetl’inflationsontpeuvisibles.C’estenpartietrop tôt compte tenu des nombreux revirements de l’ad- ministrationTrump.Lasituationestloind’êtrestabi- lisée, l’incertitude génère de l’attentisme et le phéno- mènedesachatsanticipésintroduitbeaucoupdevola- tilité dans les données. Mais les prévisionnistes s’ac- cordentdésormaisàanticiperunralentissementmar- qué de l’économie américaine entre 2024 et 2025 (de l’ordrede 1point depourcentage), tandis que les scé- narios pour la zone euro sont moins défavorables, voire positifs [2] . Ainsi, d’après leurs dernières prévi- sions, le FMI anticipe une croissance marginalement inférieure en 2025 (0,8% en moyenne annuelle après 0,9%en2024)tandisquelaBCElavoitmarginalement supérieure (0,9% après 0,8%), et pour l’OCDE elle serait un peu plus élevée (1% en 2025 après 0,8%). Notreproprescénarioestplusoptimiste:noustablons sur 1,2%de croissance en 2025 pour la zone euro. Le choc tarifaire aura-t-il un impact inflationniste aux États-Unis ? Pour l’heure, aux États-Unis, les chiffres d’inflation disponibles (jusqu’à avril) ne portent pas de trace significative des hausses de droits de douane déjà effectives, notamment vis-à-vis de la Chine. Les signes avant-coureurs se limitent à la forte remontée des anticipations d’inflation des ménages et au net redressement des prixdes intrants dans les enquêtes sur le climat des affaires. Denotrepoint devue, il ne fait aucundouteque l’in- flationaméricaineremonterasousl’effetdelahausse desdroitsdedouane:laquestionquiseposeestcelle del’ampleurdecesurcroîtd’inflation.Troiséléments sontdenatureàlelimiter:silesentreprisesacceptent de rogner leurs marges [3] , le ralentissement de la demande et, au moins à court terme, la baisse des prix dupétrole. Une appréciationdudollarUS joue- rait aussi à la baisse sur l’inflation américainemais le billet vert n’est pasorienté ence sens actuellement. Et à l’horizon du second semestre, il est probable qu’il continue de glisser. Compte tenu de l’incertitude actuelle, il faut aussi avoir en tête que le processus de répercussion des haussesdesdroitsdedouanesurlesprixàlaconsom- mation prendra du temps, échelonnant et diluant dans le temps ses effets haussiers sur l’inflation. La Fed prolongera-t-elle son statu quo sur les taux jusqu’à la finde l’année ? NotrescénariocentralpourlesÉtats-Unisestdetype stagflationniste : une inflationplushautemalgréune croissanceplusbasse.Danscescénario,laFedn’apas d’autre choix que de prolonger son statu quomoné- tairejusqu’àlafindel’année.Ellenepeutpasrepren- dre ses baisses de taux compte tenu des risques à la hausse sur l’inflation. De plus, tant le ralentissement économique reste contenu (cequi est le cas à ce stade au regard notamment des développements sur le marchédutravail),iln’appellepasdebaissesdetaux. À l’inverse, la Fed ne peut pas augmenter ses taux directeurs pour faire face au risque inflationniste compte tenu des risques baissiers sur la croissance. Le statu quo paraît la meilleure option en attendant de voir plus comment la situation pourrait évoluer. La BCE n’est pas confrontée au même dilemme. Jusqu’en juin, les conditions étaient assez clairement réunies pour qu’elle poursuive ses baisses de taux (inflation de retour à la cible, faiblesse de la crois- sance).Amorcé il y a 1 an, le cycle de baisse des taux de la BCE est proche de son terme : nous tablons sur unedernièrebaissede25pointsdebaseenseptembre compte tenudes risques baissiers sur la croissance. La politique budgétaire causera-t-elle un déraille- ment (bis) ? Cette question, déjà posée en début d’année, reste d’actualité. Sur les six premiersmois de l’année, plu- sieurs épisodes de tensions sur les taux longs ont eu lieu. Même les États-Unis se retrouvent désormais sous surveillance : la détérioration de leurs finances publiques, que leOne Big Beautiful BillAct en cours de discussion risque d’accentuer, ne passe plus ina- perçue. Du côté européen, le tournant budgétaire allemand et le plan ReArm EU posent aussi d’im- portantes questions de financement mais le soutien potentiel à la croissance ressort plus clairement que dans le cas américain. Le second semestre sera-t-il aussi agité que le premier ? Une fois encore, l’incertitude règne et c’est l’une des raisons pour lesquelles il faut plutôt s’attendre à un nouveausemestreagité.Lesmarchésfinancierscher- chent plutôt àvoir le verre àmoitiépleinmais ils res- tent nerveux et vulnérables face auxmauvaises nou- velles. Il est fort probable qu’elles seront plus nom- breuses de l’autre côté de l’Atlantique. [1] Edito Ecoweek d’Isabelle Mateos y Lago, Bonne année ? (7 janvier 2025). [2] Les toutes dernières prévisions de la Banque mondiale, publiées ce 10 juin, se démarquent quelque peu, anticipant un ralentissement un peuplusmarquéencoredel’économieaméricaine(-1,2pointentre2024 et2025)etunebaissede0,2pointdelacroissancedelazoneeuro(0,7% en 2025 après 0,9%en 2024). [3] Ce qui ne semble pas tout à fait le cas pour le moment. D’après une enquête de la Fed de New York, le comportement de préservation des marges semble plutôt prévaloir, la plupart des entreprises de la région répercutant au moins une partie de la hausse de leurs coûts à leurs consommateurs via des augmentations de prix (Are Businesses Absorbing the Tariffs or Passing Them On to Their Customers? - Liberty Street Economics, 4 juin 2025). Economie mondiale : vers un nouveau semestre agité ? By Bruno COLMANT, Ph.D., M.Sc., Mem- ber of the Royal Academy of Belgium O n Sunday, August 17, 2025, Washington D.C. is suffo- cating under oppressive summer heat. In the Oval Office, the president of the United States, Do- nald Trump, signs a decree that frac- tures the global economy. Faced with runaway inflation, a record trade deficit, and staggering public debt, he cannot imitate Richard Nixon (1913-1994), who, on August 15, 1971, suspended the con- vertibility of the dollar into gold, al- lowing the greenback to float freely. Trump opts for a radical reform: authorizing the creation of stablecoins, issued by private companies and theU.S. Treasury, all pegged to the dollar. This unprecedented system introduces two currencies into circulation— the classic dollar and a “dollar-stablecoin” — in a world where China, Europe, and cryptocurrencies challengeAmerican hegemony. It is a monumental monetary revolution, a new technological currency from mysterious algo- rithms. The mechanism is bold. The Treasury is- sues an official stablecoin, the “T-Dollar,” guaranteed at a 1:1 paritywith the classic dollar.At the same time, private companies, such as tech gi- ants or banks, are also authorized to issue their own stablecoins pegged to the dollar. These stable- coins coexist with the classic dollar and are used for traditional transactions. To encourage their adoption, Trump exempts sta- blecoin transactions from certain taxes and im- poses reinforced customs tariffs to protect the economy. However, the roots of this decision go a longway: Donald Trumpwas 25 years old during that fateful August of 1971, and he remem- bers it because it left a lasting mark on his thinking. On Friday, August 13, 1971, the heavy blades of two blue andwhite helicopters car- ried nine men from the White House to Camp David, the presidential residence in Maryland. The press said it was merely to settle some uninteresting adminis- trative decisions. On board were several men who shaped American policy in the last third of the 20th century. There was, of course, the Republican presi- dent, RichardNixon. Hewas a survivor of American political life. The youngest vice president of the United States under the presidency of Dwight Eisenhower (1890- 1969) was the man who was ousted in the 1960 elections by John F. Kennedy (1917-1963).After the latter’s assassination onNovember 22, 1963, inDal- las, his vice president, Lyndon Johnson (1908- 1973), would hold the presidency until 1968. It was precisely that year that Richard Nixon took his re- venge. He would resign six years later, in August 1974, after the Watergate scandal. AlongsideRichardNixonwas JohnConnally (1917- 1993). This former governor of Texas,who switched fromtheDemocratic Party to theRepublicanParty, was controversial. He was born exactly three months before JohnKennedy andwas almost killed on the same day. In the long convertible limousine targeted by Lee Harvey Oswald (1939-1963), there were indeed two couples: the Kennedys and the Connallys. John Connally, then governor of Texas, was seriously wounded in the chest. He declared that if he had not been killed, it was because a spe- cial destiny was reserved for him. There was also George Schultz (1920-2021).AppointedBudget Di- rector in 1971 by RichardNixon, he would later be Secretary of State (minister of foreign affairs) under thepresidencyof RonaldReagan. Finally, therewas Paul Volcker, probably themost influentialmanon monetary policy at the end of the past century, al- readymentioned as amonetary architect of the ne- oliberal shift in 1979 through the fight against inflation that he helped to igniteduring that famous weekend inAugust 1971. During this summer break at the beginning of the eighth decade of the 20th century, these conspira- tors drafted Executive Order 11615 in the greatest secrecy. Although this measure, signed onAugust 15, 1971, inWashington byRichardNixon, seemed innocuous and intended to stabilize theAmerican economy, it represented themost incredible finan- cial decision of the second half of the 20th century. On August 15, 1971, the United States carried out the greatest monetary heist in history. They de- cided to suspend and then cancel the dollar’s con- vertibility into gold. The day after this monetary coup, orchestrated by a currency now freed from gold backing, the Dow Jones index experienced one of its most substantial increases. But we are in 2025. The idea is born out of urgency. Trump’s advisors propose a disruptive solution as foreign creditors, led by China, reduce their pur- chases of Treasury bonds. Seeing an opportunity to take the initiative, Trump addresses the nation in a televised speech: “The dollar isAmerica, but it must evolve.”He thus reinforces the “MakeAmer- icaGreatAgain” (MAGA) movement, echoing the words of John Connally Jr., Treasury Secretary under Nixon, who declared in 1971 to the eco- nomic partners of the United States: “The dollar is our currency, but it’s your problem.” At the opening of the markets, the price of gold reaches a historic record of 5,000 $ per ounce, a level that crystallizes global distrust of the dollar. This surge reflects a rush to safe-haven assets. By gradually selling its Treasury bonds, China diver- sifies its reserves into gold. At the same time, the central banks of Russia and India accumulate the precious metal, anticipating a weakening of the Westernmonetary system. Private investors, from hedge funds to small savers, amplify the rise, flee- ing a dollar eroded by American debt. Gold, once a symbol of the United States power, becomes a weapon against them, increasing the pressure on Trump to impose his stablecoin systemon aworld that doubts American supremacy. The implementation is chaotic. The destabilized markets plunge: the classic dollar falls by 25%, Asian stockmarkets collapse, and traditional cryp- tocurrencies, like Bitcoin, soar in the face of uncer- tainty. The price of Bitcoin instantly rises to 230,000 $. Private stablecoins, poorly understood, struggle to inspire confidence, while the T-Dollar, perceived as an extension of the classic dollar, raises doubts about its liquidity. The prices of imported goods explode, gasoline reaches record highs, and riots break out as house- holds struggle to adapt to this dual system. As in 1971, the international reaction was hostile. China, perceiving a threat to the yuan, massively sells Treasury bonds and accelerates its agreements for transactions in yuan. Europe, divided, hesitates: Germany, attached tomonetary stability, criticizes the decree, while Italy and other countries consider monetary easing, unable, however, to stop the ap- preciation of the euro against the dollar. Themon- etary system wavers and a multipolar monetary world asserts itself. August 17, 2025, marks a turn- ing point: Trump shakes the dollar’s hegemony, opening an era of uncertainty where the United States no longer reigns alone. There will thus have been three significant devaluations of the dollar: Franklin Roosevelt (1882-1945) in 1934, Nixon in 1971, and Trump in 2025. All of this is, of course, science fiction. A Fictional Text Washington D.C., August 17, 2025: The Great Devaluation of the Dollar
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