Mensuel : Edition de novembre 2007
Rubrique : Assurances/Fonds de pension
Titre : Responsabilité des mandataires sociaux?
L’assurance semble une évidence
Article : Diriger, c'est s'investir au quotidien pour la bonne marche de son entreprise, prendre des décisions importantes, faire des choix. C’est aussi prendre le risque de commettre des erreurs, de décevoir des investisseurs ou simplement d’échouer. Le danger est avant tout patrimonial et moral. Patrimonial car, contrairement à l’employé, le dirigeant expose son propre patrimoine en cas de faute de gestion. La forme juridique de l’entreprise ne constitue pas, en effet, un écran à sa responsabilité personnelle. Moral car la mise en cause de son travail et de sa réputation sont source de traumatismes sur le plan professionnel, familial et personnel. Le danger peut en outre être pénal, puisque le dirigeant risque des sanctions allant de l'interdiction de gérer à l'emprisonnement, en passant par des amendes et de lourds dommages et intérêts.

Administrer une société nécessite dès lors une connaissance précise et circonstanciée des risques qui y sont liés ainsi qu’une prévention adaptée à chaque situation. Nous commencerons par passer en revue les principes régissant la responsabilité des dirigeants au Luxembourg et les nouveaux dangers qui les menacent. Nous parlerons ensuite des moyens complémentaires dont ils disposent pour se protéger.

Les bases de la responsabilité civile en droit luxembourgeois

Le renforcement des responsabilités pesant sur les dirigeants d’entreprises au cours de ces dernières années n’est pas passé inaperçu. Loin d’être épuisé, le sujet semble au contraire avoir trouvé un rythme régulier en poursuivant des objectifs tels que la protection des actionnaires et la lutte contre la fraude. Le phénomène est d’autant plus marqué que le législateur européen semble y consacrer un intérêt croissant. En droit luxembourgeois, la responsabilité civile des dirigeants trouve son fondement dans l’article 59 de la loi du 10 août 1915 sur les sociétés commerciales et, de manière plus générale, dans l’article 1382 du Code civil. A cela s’ajoute une multitude de textes spécifiques qui, ponctuellement, instaurent de nouvelles responsabilités.

La faute de gestion

Au regard de l’article 59 de la loi de 1915, les administrateurs sont tenus envers la société de l’exécution du mandat qu’ils ont reçu et des fautes commises dans leur gestion. Ce texte est la base des obligations des dirigeants envers leur société et rend punissable des faits tels que:
- les négligences administratives ayant entrainé la perte, pour la société, de subventions auxquelles elle avait clairement droit ;
- le défaut d’informer l’assemblée générale de la véritable situation de la société
- les absences répétées aux assemblées générales ;
- les investissements inutiles ou trop coûteux pour la société effectués en pleine connaissance de cause.

La violation des statuts ou des dispositions légales

Ce même article 59 stipule que les dirigeants sont responsables envers la société et les tiers de tous les dommages résultant d’infractions aux dispositions de la loi ou des statuts. Lorsque plusieurs dirigeants administrent la société, ceux-ci peuvent en outre être poursuivis solidairement, ce qui signifie que chacun d’eux sera tenu responsable des fautes commises par un seul. Quelques exemples de violation des statuts ou de la loi:
- les délégations non conformes aux statuts ;
- le dépassement de l’objet social ou la violation des objectifs de la société ;
- le retard de publication des documents financiers.

La responsabilité de droit commun

Tant la société, ses membres et actionnaires, que les tiers peuvent fonder leurs actions sur l’article 1382 du Code civil lorsqu’ils s’estiment lésés par les actes d’un dirigeant. Cette disposition, qui n’est pas propre aux sociétés, établit que tout fait quelconque de l’homme (y compris la négligence et la non diligence) qui cause un dommage à autrui, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La responsabilité sera ici établie en prouvant que la victime a subi un dommage consécutif à la faute commise par le dirigeant.

Les lois particulières

En plus de ces dispositions de base, les dirigeants doivent composer avec un nombre croissant de lois introduisant de nouvelles obligations dans leur chef. Par exemple, l’article 110 de la loi de 2002 relative aux Organismes de Placement Collectifs rend les dirigeants d’OPC personnellement responsables de la qualité de l’information contenue dans le prospectus. Les circulaires émises par la CSSF peuvent également être une source d’obligations pour ces dirigeants. Ainsi, la circulaire CSSF 02/77 prévoit la possibilité de mettre en cause les dirigeants d’OPC en cas d’erreur de calcul de la valeur nette d’inventaire ou de dépassement des restrictions d’investissement.

On ne saurait bien entendu énumérer toutes les autres dispositions impliquant des risques pour les dirigeants d’entreprises mais ces quelques exemples montrent à quel point le danger est réel.

La prescription

Aux termes de l’article 157 de la loi luxembourgeoise sur les sociétés commerciales, les fautes commises par les dirigeants d’entreprises se prescrivent par 5 ans. En d’autres mots, une personne lésée dispose de 5 années pour poursuivre un dirigeant en justice.
Les tendances observées en matière de responsabilité des administrateurs

Ce n’est plus une surprise: le nombre de plaintes à l’encontre des dirigeants d’entreprises à augmenté en flèche depuis le début des années 1980. Cette envolée s’explique tant par l’inflation législative connue depuis lors que par l’intégration, dans notre culture européenne, des tendances agressives originaires d’outre atlantique. Les Etats-Unis donnent en effet le ton en la matière. Si les dirigeants évoluent aujourd’hui sur un terrain de plus en plus hostile, c’est en partie à cause des nouvelles tendances suivantes:
- les investisseurs institutionnels, soucieux de maximaliser leurs profits, s’impliquent à présent dans le suivi de la société et n’hésitent pas à poursuivre les directeurs s’ils ne répondent pas à leurs attentes.
- le Luxembourg semble décidé à donner aux actionnaires minoritaires la possibilité d’intenter une réclamation à l’encontre des dirigeants d’entreprises. Cette initiative est inscrite dans le projet de loi n°5730 portant modification de la loi de 1915.
- les class actions, pratiquées en masse aux Etats-Unis, se poussent aux portes de l’Europe. De telles procédures judiciaires, qu’elles soient fondées ou non, donnent souvent lieu à un chantage exercé sur les entreprises et leurs dirigeants, contraints de transiger sous la pression médiatique.
- le autorités gouvernementales n’hésitent plus à se retourner contre les dirigeants pour récupérer les sommes dont la société est débitrice envers les organismes publics. De plus en plus d’Etats tiennent en effet les administrateurs pour responsables des impôts et charges sociales que la société n’a pas payé. La Belgique étant l’exemple le plus proche.
- les règles de Corporate Governance s’introduisent à présent dans les lois de la plupart des pays européens et deviennent de ce fait contraignantes.
- enfin, les dirigeants de sociétés sont inquiétés par des consommateurs insatisfaits qui, pour se donner toutes les chances de gagner un procès, les poursuivent en même temps que la société.

La sécurité passe par l’assurance

Bien qu’indispensable, la prévention a ses limites dans le domaine de la responsabilité civile et s’en tenir à cela serait insensé. L’administrateur soucieux de préserver efficacement son patrimoine personnel optera également pour une garantie d’assurance adaptée à sa situation: l’assurance responsabilité des dirigeants. Ces assurances, parfois mieux connues sous l’appellation anglophone de Directors and Officers Liability Insurance (D&O), sont devenues très populaires ces dernières décennies. Leur objet est de couvrir les dirigeants, tant de droit que de fait, dans le cadre des fautes professionnelles dont ils sont personnellement responsables sur leurs biens propres. En pratique, le contrat est souscrit par la société et non par le dirigeant lui-même. Il s'agit en outre d'un contrat distinct de celui couvrant la responsabilité civile générale de l'entreprise, dans la mesure où les intérêts à protéger ne sont pas les mêmes. L’assurance D&O couvrira les pertes financières que les dirigeants de la société subissent sur leurs biens propres à la suite d’une plainte pour faute de gestion ainsi que les frais de défense. Les polices D&O sont des polices "claims made". Cela signifie qu’elles couvrent les réclamations qui sont intentées contre les directeurs au cours de la période d’assurance. Il est cependant possible de couvrir les réclamations fondées sur des faits antérieurs à la date de souscription de la police. La législation luxembourgeoise impose en outre à l’assureur d’offrir une période de garantie subséquente de 36 mois à l’expiration du contrat. Pendant ce laps de temps, l’assuré sera couvert contre toute réclamation, pour autant que les faits aient été commis au cours de la période d’assurance.

Sont généralement exclus les dommages résultants des faits suivants:
- les actes intentionnels, frauduleux et criminels ;
- les taxes, les amendes, les pénalités et les charges sociales;
- les dommages corporels et les dommages aux propriétés, qui sont généralement couverts par la police responsabilité civile générale de la société ;
- les réclamations fondées sur des faits antérieurs connus par l’assuré au moment de la conclusion du contrat ;
- la responsabilité professionnelle de l’entreprise.

Le caractère non prévisible du risque à fait le succès de ces assurances. Le marché compte actuellement quelques assureurs spécialisés et autant de modèles de police différents. Il est cependant important de noter qu’une couverture ne vaut pas l’autre et une attention particulière doit être apportée par le dirigeant à l’étendue de la garantie dont il souhaite bénéficier. Les extensions suivantes font généralement la différence entre une police moyenne et une bonne police:
- couverture pour les dirigeants de la société et de ses filiales ;
- extension automatique aux dirigeants de toute nouvelle filiale créée ou acquise au cours de la période d’assurance ;
- couverture des mandats exercés dans des sociétés externes au groupe
- couvertures des pertes subies par un employé, dans la mesure où il est co-défenseur avec un dirigeant ;
- couverture internationale ;
- autonomie des dispositions de la police, ce qui revient à protéger un dirigeant contre les fausses déclarations faites par une autre personne assurée et qui pourraient justifier le déclenchement d’une exclusion ;
- abandon du droit de résiliation au profit des personnes assurées qui n’ont pas fait de fausses déclarations ;
- prise en charge de la reconstitution de la réputation du dirigeant ;
- extension de la qualité d’assuré aux conjoints et héritiers.

Les dirigeants et autres administrateurs ont donc la possibilité de se protéger des risques liés à leur fonction en les transférant à un assureur spécialisé. Cette solution semble en fin de compte la plus à même de les soulager d’un poids qui ne fera qu’augmenter au cours des années à venir.


Alessandro Guarrata

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