Mensuel : Edition de avril 2003
Rubrique : OPC/Fonds d'investissement
Titre : Bâle II: opportunité ou contrainte?
Article : La réponse à cette question simple dépend de la vision que l’on a des accords de Bâle II d’une part, et de la façon dont sa mise en œuvre se conçoit au sein de l’entreprise d’autre part. La vision de Bâle II est directement liée à l’appréciation qui est faite des règles qui composent l’accord. A ce niveau, deux approches sont possibles : soit les règles sont considérées d’un pur point de vue mathématiques, soit elles sont vues comme un élément structurant du fonctionnement de l’entreprise ; la mise en œuvre des accords dépend de la volonté (la capacité) d’intégrer l’ensemble des domaines concernés en un programme unique ou de les identifier comme un projet parmi tant d’autres. Avant de poursuivre notre exposé, un rappel succinct du contenu des accords de Bâle II est nécessaire, ainsi qu’un bref rappel sur l’historique de Bâle I à Bâle II.


Les trois piliers (principes) de Bâle II sont :

Pilier 1 - exigences minimales de fonds propres: crée un lien étroit entre les normes de fonds propres et les risques effectifs et fixe les méthodes de calcul pour définir la charge de capital
Pilier 2 - processus de surveillance prudentielle renforcée: renforce le processus de contrôle (avoirs clients et portefeuille de la banque); responsabilise très fortement la Direction générale de la Banque et influe sur l’organisation en imposant une séparation des rôles
Pilier 3 - discipline de marché: renforce l’efficacité de la discipline de marché, par l’uniformisation de l’information financière des banques.

Que sont les accords de Bâle II ?

Un ensemble de règles et de méthodes de calcul, dont l’objet est de permettre de définir le montant de fonds propres obligatoires, et d’établir le reporting standard que chaque entreprise doit respecter. Les règles entreront en application au 1er janvier 2007. Bâle II, pour fixer le montant de fonds propres, prend en considération les trois natures de risques suivantes : crédit, marché, opérationnel. Bâle II décrit trois approches de calcul pour les risques crédit et opérationnel, qui vont du niveau basique au niveau complexe, et, laisse quasi inchangée la gestion des risques marché définie par Bâle I.

Le principe est simple : Si le niveau basique est retenu, l’entreprise applique les indicateurs forfaitaires fournis par Bâle II . Si le niveau complexe est retenu, l’entreprise applique les indicateurs qu’elle a définis, après avoir obtenu la validation des organismes de tutelle. Le niveau intermédiaire correspond pour les risques opérationnels à l’application d’indicateurs forfaitaires spécifiques par typologie métier (au lieu d’un indicateur unique), et, pour le risque crédit à l’application d’un indicateur défini par l’entreprise elle-même en ce qui concerne la probabilité de Défaut (PD) et l’application d’indicateurs forfaitaires pour le reste (Loss Given Default, Exposure At Default).

S’il est clair que le choix des approches complexes a pour intérêt de diminuer potentiellement le montant de capital immobilisé, il est évident qu’en contrepartie les efforts à fournir (consentir) par l’entreprise sont à la mesure des économies envisagées : établissement des méthodes de calcul; constitution d’un historique de données sur la base desquelles les méthodes de calcul s’appuient; mise en place d’une organisation sachant interpréter et gérer ces chiffres.

Corollaire 1

Il se déduit de ce qui précède, que la mise en oeuvre des approches complexes a un coût, et que celui-ci doit être mis en perspective avec les économies éventuelles générées par rapport à l'utilisation des indicateurs forfaitaires.


Les accord de Bâle II au quotidien

Projetons-nous au-delà du premier janvier 2007, date à laquelle les accords de Bâle II entreront en vigueur. Les choix en matière de gestion des risques crédit et opérationnel ont été faits. Première application des accords, les choix opérés s'appliquent à l'identique à toutes les filiales. Deuxième application des accords, la gestion du risque est consolidée au niveau de chaque structure de niveau supérieur, jusqu'à la "maison mère". Troisième application des accords, le calcul des risques doit être effectué avec une fréquence quotidienne, faute de quoi, il sera fait application des coefficients correcteurs sur le calcul de la charge du capital : ~2 pour une fréquence mensuelle et ~3 pour une fréquence trimestrielle.

Corollaire 2

Il découle que la vision de Bâle II se limitant à une simple application mathématique sous-estime de façon évidente la charge financière, technique et organisationnelle que l'entreprise doit mettre en oeuvre au quotidien et peut conduire à opérer des choix qui se révèlent erronés ou inadéquats en regard des obligations quotidiennes.


Les critères d'application des approches de calcul

Bâle II différe en cela de Bâle I, que le risque crédit prend en considération l'emprunteur et les garanties apportées. Les indicateurs forfaitaires sont très différents selon la nature de l'emprunteur : ils favorisent les emprunteurs "état". La valorisation des garanties s’effectue en fonction du rating qui leur est associé : de AAA+ à BB-. Les méthodes de calcul montrent que certaines garanties apportées par les emprunteurs ont un effet nul sur la diminution du risque représenté par l’emprunt.

Bâle II ajoute à Bâle I le volet concernant les risques opérationnels: l’indicateur forfaitaire à appliquer dans la méthode basique est de 15%; en méthode standard, les indicateurs forfaitaires fournis en fonction de l'activité métier (8 différentes) varient entre 12 et 18%. Dans les deux cas, la charge de capital se calcule en multipliant l’indicateur (de l’activité métier en méthode standard) par le « gross income » (de l’activité métier en méthode standard). Les indicateurs, dans la mise en oeuvre de l'approche complexe (AMA), sont structurés selon 2 axes : la nature de l'activité métier (8)et la catégorie des événements (7). Ils sont définis par l’entreprise sur la base de ses règles de calcul propres en appliquant les méthodes IMA, LDA, ou Scorecard.

Corollaire 3

Ces critères permettent de comprendre que les effets produits par les accords de Bâle II sont particuliers à chacun des environnements dans lesquels ils sont mis en oeuvre. Au-delà, c'est la stratégie même de la banque qui se trouve influencée par Bâle II : en favorisant les transactions avec telle nature d'emprunteur en défaveur de telle autre; en affectant une charge en capital plus lourde selon l'activité métier exercée.


Bâle II, un projet parmi d'autres ?

Les points précédents ont souligné que l'application de Bâle II concerne de nombreux secteurs de la banque : organisation : analyse des processus et procédures pour obtenir la cartographie des risques opérationnels; organisation : création d'une Direction chargée de la gestion des risques, rattachée au conseil de Direction; gestion des crédits : structuration du portefeuille selon les critères de Bâle II; gestion des crédits / audits : établissement des règles de calcul dans l'approche AMA et IRB (notation interne simple ou complexe)

Direction générale : appréciation des impacts de Bâle II sur le fonctionnement de l'entreprise et sa stratégie; informatique : définition et mise en place des solutions techniques permettant de capter les informations nécessaires aux méthodes de calcul retenues; stockage et exploitation des données pour répondre aux besoins d'analyse et de reporting.

Corollaire 4

- sa complexité : nombre de Directions impliquées ;
- sa visibilité : Pilier 3 officialisant un reporting standard obligatoire ;
- ses impacts : modification importante de l'organisation, alignement de la stratégie ;
- ses caractéristiques techniques : établissement des méthodes de calcul, implémentation d'un outil informatique performant, puissant, intégré ;
font de Bâle II le projet des trois années à venir.

Il est impératif de définir un Programme global pour :
- coordonner tous les aspects de Bâle II ;
- tirer les profits annoncés ;
- éviter les recouvrements de domaines, les analyses multiples d'un même sujet, les déperditions d'énergie et les décisions contradictoires.


Les enjeux liés à la mise en oeuvre de Bâle II

Tel que décrit précédemment, Bâle II peut s'envisager de façon minimaliste (approche basique) ou sous une forme plus évoluée (approche complexe). Il a été démontré que l'une ou l'autre des approches ne peut s'apprécier sans tenir compte :

- du contexte : structuration du portefeuille crédit selon la nature des emprunteurs, les garanties détenues ; maturité dans la gestion des risques opérationnels, maîtrise des processus, cartographie des risques ; activité métier (private banking, retail banking, gestion de fonds...).

- de la stratégie métier : Bâle II entrera en application au premier janvier 2007. A cette date, quelle stratégie la banque aura-t-elle retenue en matière de services offerts, de clientèle visée, de positionnement marché ?

- de la stratégie en terme d'image : le troisième pilier fait obligation à toutes les organisations de fournir un tableau de bord permettant de comparer leurs performances respectives en matière de gestion des risques.

- des impacts sur le système d'information : les obligations de Bâle II génèrent des contraintes extrêmement "lourdes" sur l'outil informatique et sur la structuration des Systèmes d’information.

Au-delà des aspects "techniques" de Bâle II, les enjeux réels sont :

- l'intégration complète de l'activité bancaire dans la chaîne de création de la valeur B2B, B2C qui impose la restructuration complète de l'outil informatique répondant aux obligations de Straight Through Processing, Just In Time et Zero Lost Event ;

- le changement qui se traduit par la réorganisation de la banque, l'industrialisation de l'activité (processus décrits et maîtrisés) ;

- le service fourni par la banque justifie ses coûts ; Aujourd’hui, quelques secondes suffisent à réaliser une opération commerciale entre des acteurs distants de plusieurs milliers de kilomètres. Mais il faut plusieurs jours pour que l’opération financière soit débouclée.

Corollaire 5

L'enjeu réel de Bâle II, c'est la stratégie de la banque et la déclinaison de sa réponse aux défis du commerce qui s'est mondialisé, qui s'effectue en ligne, en parfaite interactivité. La stratégie de la banque définit les aspects client, services, marchés: les clients souhaités sont identifiés ; les services offerts sont définis ; les marchés recherchés sont affirmés.

La stratégie de la banque définit les objectifs de marge et de volume d’affaires. Le résultat de l'implémentation de Bâle II, alignée avec la stratégie de la banque, est l'optimisation du capital immobilisé. Bâle II représente donc le facteur de succès essentiel à l’atteinte des objectifs

Quel comportement adopter au Luxembourg

Au sein des banques dont la « maison mère » est située à l’étranger, deux approches opposées sont régulièrement rencontrées : Bâle II nécessitant une application identique à tous les échelons, il faut attendre la décision de la "maison mère". Nos activités, ici au Luxembourg, sont spécifiques (uniques) dans le fonctionnement du groupe et nécessitent une analyse particulière, car le groupe n'intégrera pas nécessairement ces spécificités dans sa vision globale et standardisée.

La première vision, clairement attentiste, présente l'inconvénient éventuel de devoir adapter des fonctionnements spécifiques au "moule standard". La deuxième vision a pour avantage de fournir une photographie claire des différents scénarios et de leurs impacts.

Une troisième approche est possible : "on fonce". Sans analyse préalable, le choix de telle ou telle méthode est fait et les projets correspondants sont lancés, avec ou sans coordination globale réelle. En apparence, la coordination sera assurée, mais en réalité, elle ne se fera pas, car l'analyse globale n'ayant pas été menée au préalable, les projets s'ajouteront au fur et à mesure que les domaines / problèmes vont apparaître. Pour les banques luxembourgeoises, l’approche communément rencontrée est le souhait de disposer au préalable de la compréhension des impacts de Bâle II sur leurs fonctionnements et d’identifier les coûts engendrés par les méthodes complexes en regard des économies potentielles de capital. Elles sont également intéressées à comprendre le poids de Bâle II sur la stratégie des cinq années à venir.

Corollaire 6

La première approche est à bannir, car elle laisse la décision de l'avenir du fonctionnement des entités luxembourgeoises à une organisation qui n'est pas nécessairement au fait des particularismes liés à l'activité spécifique et de la législation luxembourgeoise, et, qui dénie au Luxembourg le droit d'être force de proposition. La troisième approche est à bannir également. D'une part, les coûts et les enjeux sont trop importants pour se lancer sans comprendre précisément ce que chaque scénario peut apporter comme valeur ajoutée, et d'autre part, le conseil d'administration refuserait le lancement d'un programme dans lequel il ne percevrait pas exactement si "le jeu en vaut la chandelle", ne pouvant apprécier le retour sur investissement. De ce qui précède, il ressort que l'approche raisonnable consiste à obtenir au préalable une image précise, pour chaque scénario possible, des impacts sur l'organisation, le portefeuille et les systèmes d'information.

La possibilité ainsi offerte, d'aligner les choix concernant Bâle II avec la stratégie de l'entreprise, et d'y inscrire les impératifs d'autres projets d'importance (tel IAS), constitue la solution à mettre en oeuvre, comme un premier pas vers la mise en place du Programme "Bâle II". Les échéances du calendrier Bâle II impose que cette solution soit mise en oeuvre rapidement, pour que les banques disposent d'ici la fin du premier semestre 2003 de l'appréciation de leur situation en regard des opportunités offertes par Bâle II.


Conclusion

Bâle II est une magnifique opportunité offerte au marché bancaire de se structurer, de s'organiser, de gérer son marché et ses offres, de mettre son outil technique au niveau de celui du monde industriel et de bénéficier en plus d'encouragements très significatifs, qui se traduiront par une baisse de sa capitalisation obligatoire.

Etude: Cap Gemini Ernst & Young

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