Mensuel : Edition de septembre 2009
Rubrique : Banque/Finance
Titre : Les commentaires du public sur le document de discussion de l’OCDE sur les aspects prix de transfert des réorganisations d’entreprises
Article : Les neuf et dix juin 2009, L’OCDE a organisé une réunion à Paris afin de discuter les 36 commentaires publics reçus suite à son projet de rapport du 19 septembre 2008 concernant les aspects prix de transfert des réorganisations d’entreprises ("Le projet de rapport"). Ainsi, en complément de notre article du mois d’avril 2009 sur "le projet de rapport sur les réorganisations d’entreprises" (AGEFI - P. Neefs/O.Hoor – KPMG Tax Luxembourg), la présente publication offre une vue d’ensemble concise sur les nombreux commentaires du public et les prochaines étapes concernant le projet de rapport.

I. Introduction

Les restructurations d’entreprises multinationales ont été très nombreuses ces dernières années. Ces restructurations impliquent le redéploiement international des fonctions, actifs et/ou risques entre entreprises liées et peuvent affecter le compte de résultat des sociétés dans chaque pays concerné.

Très souvent, ces restructurations impliquent des transferts internationaux d’actifs incorporels ayant une valeur importante et qui consistent généralement en:
- La transformation de distributeurs à part entière ("fully fledged distributors") en "distributeurs supportant un risque limité" ("limited-risk distributors") ou en commissionnaires agissant pour une entité associée susceptible de jouer le rôle de donneur d’ordre.
- La transformation de fabricants à part entière ("fully fledged manufacturers") en fabricants en sous-traitance ("contract manufacturers") ou sous-traitant à façon ("toll manufacturers") pour une entité associée susceptible de jouer le rôle de donneur d’ordre ; et
- La rationalisation et/ou la spécialisation d’activités.

Comme mentionné dans notre précédent article du mois d’avril 2009 sur "le projet de rapport sur les réorganisations d’entreprises" l’OCDE a rendu public le 19 septembre 2008 un projet de rapport comprenant quatre "Notes Thématiques" sur, respectivement, les considérations particulières en matière de risques ; la rémunération de pleine concurrence dans le cadre de la réorganisation d’entreprise proprement dite ; les rémunérations post-réorganisations des transactions entre entreprises associées ; et la prise en compte des transactions réellement effectuées.

II. Fondements du projet de rapport

L’OCDE a accompli d’importants progrès vers un consensus sur différentes questions épineuses. La majorité des commentateurs ont admis que le projet de rapport a mis l’accent sur les principes majeurs qui sont les suivants:
- Le point de départ de l’analyse du projet de rapport ne concerne pas les "restructurations abusives" ("abusive restructurings"). Il concerne plutôt le besoin constant de restructuration nécessaire à l’adaptation aux nouvelles circonstances économiques.
- Le projet de rapport confirme que les entreprises multinationales sont libres d’organiser leurs activités commerciales comme elles l’entendent. Il est important de noter que les autorités fiscales ne devraient pas interférer dans les décisions commerciales ; leur rôle étant de déterminer les conséquences fiscales sur base des règles existantes.
- L’analyse des prix de transfert d’une restructuration dans le contexte de l’article 9 de la convention modèle OCDE commence par un examen des dispositions contractuelles liant le contribuable. Ces dispositions sont en général reconnues valables sauf si elles ne reflètent pas la réalité des rapports entre les parties ou si ces dispositions ne respectent pas le principe de pleine concurrence.
- Le fait qu’un contrat entre entreprises liées ne corresponde pas à un contrat qui serait conclu entre parties tierces ne signifie pas en soit que ce contrat ne respecte pas le principe de pleine concurrence.
- Le projet de rapport précise également que les bénéfices potentiels ne sont pas des actifs en tant que tels. Le principe de pleine concurrence n’impose ainsi pas de contrepartie pour les bénéfices ou les pertes potentiels. Il s’agit plutôt de déterminer si des bénéfices potentiels sont inhérents à des droits ou d’autres actifs transférés et devraient par conséquent être rémunérés selon le principe de pleine concurrence.
- Les résolutions ou les renégociations substantielles de contrats ne devraient pas nécessairement donner lieu à une compensation conforme au principe de pleine concurrence.
- Les droits et autres actifs de chaque partie au début de la restructuration doivent être examinés afin de déterminer si les conditions d’une restructuration conforme au principe de pleine concurrence sont réunies.
- Il est important de préciser que le projet de rapport confirme que même les restructurations d’entreprises multinationales visant à réaliser une économie fiscale par le biais d’une restru-cturation devraient être acceptables du point de vue des règles de prix de transfert.
- Le fait de déterminer si une transaction entre entreprises liées n’est pas commercialement justifiée doit être étudié avec soin et ne devrait conduire à la non prise en compte des dispositions contractuelles entre les parties que dans des cas exceptionnels. Les comportements non-conformes au principe de pleine concurrence devraient, autant que faire se peut, être corrigés par le biais d’ajustements des prix de transfert et non pas par le biais de la non prise en compte des transactions.
- Le principe de pleine concurrence et les recommandations de l’OCDE sur les prix de transfert doivent s’appliquer de manière identique que ce soit pour l’analyse de transactions réalisées entre entreprises liées suite à une réorganisation ou l’analyse des transactions qui ont été initialement structurées comme ces dernières dès l’origine. Ainsi, le projet de rapport se focalise sur la manière d’appliquer les recommandations de l’OCDE sur les prix de transfert au cas particulier des restructurations d’entreprises.

Bien que la liste ci-dessus témoigne des progrès considérables réalisés par l’OCDE en matière de restructurations d’entreprises, les questions posées par les commentateurs traduisent le fait que ce projet de rapport n’est qu’une ébauche.

III. Vue d’ensemble sur les commentaires du public

1. Les certitudes qui découlent du projet de rapport

Plusieurs commentateurs ont posé des questions sur le fait de savoir si le projet de rapport fournissait suffisamment de certitudes concernant les prix de transfert dans le cadre de restructurations d’entreprises. Ces critiques sont dans une large mesure liées au fait que plusieurs termes utilisés sont relativement généraux et laissent donc place à l’interprétation des contribuables et des autorités fiscales. A ce sujet, des principes tels que la répartition des risques (“arm’s length allocation of risks”), le comportement commercial raisonnable (“commercially rational behaviour”) et les alternatives réalistes respectant le principe de pleine concurrence (“other options that would be realistically available at arm’s length”) sont jugés trop subjectifs et rendent par conséquent l’analyse des transactions plus délicate.

2. Obligations documentaires

Les questions documentaires qui ont été soulevées lors de l’étude du projet de rapport ont attiré l’attention des commentateurs qui ont exprimé de sérieuses réserves concernant la charge excessive et disproportionnée en matière de documentation et de coûts y relatifs. Le projet de rapport ne fournit pas de ligne de conduite claire en ce qui concerne la manière de déterminer si la documentation produite est suffisante. Par conséquent, le problème est la possibilité pour l’administration fiscale de justifier un ajustement du prix de transfert voire une requalification de transaction en raison du manque de documentation. Ainsi l’OCDE va devoir clarifier que la documentation en matière de prix de transfert tend vers une obligation de moyen et dépend du droit interne, plus qu’une obligation stricte posée par l’article 9 de la convention modèle OCDE.

3. Prise en compte individuelle des entités

Pour l’application du principe de pleine concurrence, les membres d’un groupe international sont considérés de manière isolée et non pas comme un des éléments faisant partie d’un ensemble indissociable. Cependant, les restructurations de groupes sont souvent décidées pour des besoins au niveau global et dans le but d’obtenir des résultats difficiles à évaluer au niveau d’une société du groupe prise individuellement. La question est ici de savoir comment les différences factuelles existantes entre les différentes sociétés membres d’un groupe international et des sociétés indépendantes devraient être traitées du point de vue des prix de transfert.

4. “Options réalistes qui auraient été envisageables dans des conditions de pleine concurrence” (“Options that would have been realistically available at arm’s length”)

L’attention des commentateurs a également été attirée par le concept “d’options réalistes qui auraient été envisageables dans des conditions de pleine concurrence”. Selon le projet de rapport, cette notion est importante à la fois pour la comparabilité et la détermination du prix de la transaction. De plus, cette notion est également importante pour déterminer s’il serait commercialement rationnel pour une entité d’entreprendre une restructuration donnée. Certains commentateurs considèrent ce concept comme étant trop subjectif et craignent qu’il entraîne de nouvelles obligations documentaires si le contribuable était contraint, pour les besoins des prix de transfert, de tester et documenter des options alternatives qui n’ont pas été mises en place.

5. Les réorganisations d’entreprises en tant qu’évènements imposables

La majorité des commentaires ont été favorables au fait que les bénéfices potentiels ("profit potential") ne soient pas intrinsèquement considérés comme des actifs et que le principe de pleine concurrence n’impose pas le payement d’une contrepartie pour de tels bénéfices potentiels. Ainsi, plusieurs commentateurs considèrent que l’imposition ne devrait être déclenchée que par le transfert de "biens" ("property"). Au contraire, les restructurations suivantes ne devraient pas, en l’absence de transfert de "biens", être considérées comme des événements imposables au sens de l’article 9 de la convention modèle OCDE:
- un transfert de benefices potentiels ("transfer of profit potential");
- un transfert de fonctions;
- un changement dans les relations commerciales;
- la création de centrales de services ("service centers") ou l’ajout de certains services à une centrale de services.

Néanmoins, certains commentateurs ont critiqué le manque de clarté de la formulation du rapport concernant la définition et la reconnaissance des immobilisations incorporelles particulières du type goodwill, synergie ou économie de localisation pour l’évaluation des actifs dans le cadre du transfert d’activités. En outre, tous les commentateurs ont salué le fait que les résiliations ou les renégociations substantielles de contrats ne devraient pas être considérées comme donnant naissance à une compensation conforme au principe de pleine concurrence. Selon le projet de rapport, une telle compensation doit être déterminée sur la base d’un examen des circonstances au moment de la restructuration. Un tel examen comprend en particulier l’analyse des droits et autres actifs des parties en présence, ainsi que les alternatives rationnelles qui auraient été disponibles.

6. Les problématiques en matière de risques encourus

La plupart des commentateurs ont accueilli favorablement la position prise dans le projet de rapport qui consiste à dire que le point de départ de toute analyse de prix de transfert doit être les contrats conclus entre les parties. En raison des particularités des entreprises multinationales, certains contrats conclus entre des entités d’un même groupe multinational ne pourraient exister entre tiers. Il est important de préciser que le simple fait qu’un contrat entre parties liées ne trouve pas son équivalent entre tiers ne signifie pas en soit que ledit contrat n’est pas conforme au principe de pleine concurrence. Il faut souligner que beaucoup de commentateurs estiment que les expressions "capacité financière d’anticipation pour supporter les risques" ("anticipated financial capacity to bear the risk") et "contrôle sur les risques" ("control over risk") devraient être définies plus clairement. De plus, il est supposé que l’allocation des risques définie par le contribuable devrait être respectée à chaque fois que le comportement des parties est cohérent avec les accords entre les parties et cette allocation des risques ne devrait pas être remise en cause sur base d’une notion relativement subjective telle que "le fait que des parties tierces n’auraient pas pris les mêmes dispositions" ("unrelated parties would not have done it that way"). La clarification de ces questions est un des principaux points à régler dans le cadre de la finalisation des lignes directrices en matière de restructurations d’entreprises d’un point de vue prix de transfert.

7. Autres problèmes de requalification

Tous les commentateurs ont salué le fait que les entreprises multinationales sont libres d’organiser leurs activités comme elles l’entendent. Néanmoins, le problème de l’absence de consensus entre les pays membres de l’OCDE concernant certaines questions importantes soulevées dans la "note thématique 4" du projet de rapport a été mis en exergue. Le projet de rapport précise que la question de savoir si une transaction entre entreprises liées est justifiée commercialement ou non doit être étudier avec précaution et la non prise en compte ("non-recognition") des accords entre parties liées doit rester limitée à des circonstances exceptionnelles.

Selon le projet de rapport, les comportements qui ne sont pas en ligne avec le principe de pleine concurrence doivent autant que faire se peut être corrigés sur la base d’ajustements des prix de transfert plutôt que par le biais de la non prise en compte ("non-recognition") des transactions entre parties liées. Ainsi, certains commentateurs voient la formulation de la "note thématique 4" comme une invitation pour les autorités fiscales à ne pas prendre en compte la structure effectivement mise en place par le contribuable. Par conséquent, ils ont suggéré que la partie du projet de rapport concernant le non prise en compte des transactions soit restreinte voire supprimée.

IV. Conclusion

Le nombre et le niveau de détails des commentaires publics communiqués à l’OCDE démontrent clairement l’importance des considérations en matière de prix de transfert qui découlent des restructurations d’entreprises. Même si la majorité des principes évoqués par le projet de rapport ont été favorablement accueillis par les commentateurs, certains points posent encore problème. L’OCDE devra notamment travailler, lors de la finalisation de l’actuel projet de rapport, à la clarification de plusieurs questions ainsi qu’à l’approche cohérente quant à l’application des principes issus du projet de rapport.

Nous pensons que le projet de rapport doit indiquer clairement que les particularités de fonctionnement de l’industrie dans laquelle le contribuable évolue doivent davantage être prises en compte, par exemple, au regard de l’allocation et du contrôle du risque entre les parties. Dans ce cadre, nous pensons que le point de départ doit être les contrats entre les parties. Par ailleurs, il ne faudrait pas que toute documentation supplémentaire et les coûts induits ne deviennent excessifs et disproportionnés. Dans ce contexte, les conclusions de la réunion de consultation qui s’est déroulée les neuf et dix juin 2009 entre l’OCDE et les organismes ayant soumis des commentaires devraient permettre des avancées importantes sur cet ambitieux projet. L’OCDE devrait sous peu déterminer l’ampleur des travaux restant afin de finaliser les lignes directrices en matière de prix de transfert dans le cadre de réorganisation d’entreprises ainsi que les étapes à venir.

Osons espérer que ces travaux aboutissent rapidement car il est fort à parier que la crise du crédit de 2008/2009 et le besoin des gouvernements de financer des déficits budgétaires galopants va certainement accroître le nombre de litiges en matière de prix de transfert. Nous estimons que la certitude est l’une des pierres angulaires d’un système fiscal équitable et qu’il y a déjà suffisamment d’insécurité autour de l’application des règles de prix de transfert communément admises. Ainsi, il ne faudrait pas, selon nous, que les autorités fiscales utilisent certains principes du projet de rapport sur les réorganisations d’entreprises, toujours sujets à confusion, pour influencer les modèles organisationnels économiques actuels des contribuables.


Philippe Neefs (cf. photo)
Tax Partner
philippe.neefs@kpmg.lu

Oliver R. Hoor
Tax Manager
oliver.hoor@kpmg.lu

KPMG Tax Sàrl
International Corporate Tax Department


* les auteurs remercient Pierre-Philippe Mercier (Senior Tax Advisor) pour son aide.

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