Mensuel : Edition de mars 2009
Rubrique : Banques/Fonds
Titre : Intérêts du nouveau cadre législatif et de la Fondation de Luxembourg pour le mécénat au Luxembourg
Article : Le Grand Duché s’est à nouveau illustré par sa réactivité en 2008, en menant tambour battant une réforme rapide et efficace du cadre de son mécénat: moins de 8 mois entre l’impulsion du colloque "Saisir l’opportunité de la philanthropie" organisé par la Banque de Luxembourg le 23 avril et les lois et la création de la Fondation de Luxembourg respectivement en décembre 2008 et janvier 2009…

Anne Canel (cf. photo), Conseil en philanthropie à la Banque de Luxembourg et Wilfried Meynet, avocat aux Barreaux de Luxembourg et de Marseille (Cabinet Delsol & Associés) ont répondu à nos questions sur ce nouveau cadre.

Quelles sont les nouveautés en matière de philanthropie induites par la réforme de décembre 2008?

Les articles votés dans deux lois du 19 décembre 2008(1) améliorent le cadre du don selon les trois axes suivant: (1) une incitation fiscale accrue: désormais les plafonds de déductibilité sont de 20% du revenu net et 1.000.000 EUR pour les dons effectués en espèces au titre de l’article 112 de la Loi sur l’impôt sur le revenu du 4 août 1967, pour les particuliers comme pour les entreprises. Ces dons doivent toujours être effectués au profit des associations sans but lucratif (Asbl) reconnues d’utilité publique, fondations ou ONG listées par l’administration des contributions directes(2). Ce doublement des précédents seuils s’est accompagné d’un report possible des montants excédentaires sur les deux années suivantes, ainsi que d’une toute nouvelle déductibilité de ces dons de la base de calcul de l’impôt commercial communal (ICC) ; (2) un encouragement des dons "élevés" par la confirmation de la déductibilité de la somme portée à la dotation d’une fondation au moment de sa création. Ce point méritait en effet éclaircissement car on pouvait jusqu’alors penser que le fondateur était moins bien traité fiscalement que les donateurs ultérieurs d’une fondation. Il est désormais explicite qu’il bénéficie des mesures de déductibilité du point précédent. De plus, le seuil d’autorisation pour les dons.

Précédemment tout don supérieur à 12.500 euros ne pouvait être accepté sans arrêté Grand Ducal, ce qui freinait considérablement la capacité de collecte de dons des Asbl reconnues d’utilité publiques, ONG et fondations. Désormais, le seuil est relevé à 30.000 euros, l’acceptation du don est possible à titre conservatoire, et surtout, seuls les dons qui ne sont pas en espèces ou ne sont pas en provenance d’une banque autorisée à exercer au sein de l’Union Européenne sont assujettis à cette obligation ; (3) la réduction des droits d’enregistrement et de mutation (modification de l’article 23 de la loi modifiée du 7 août 1920): les donations et legs sont désormais assujettis à un taux réduit de 4%. A noter par ailleurs que les donations faites à la création d’une Asbl ou fondation sont totalement exonérées(3).

En quoi la récente Fondation de Luxembourg sera-t-elle en mesure d’aider au développement du mécénat au Grand Duché?

La Fondation de Luxembourg est un formidable outil pour cela ! En effet, si elle a en premier lieu un rôle d’information et de sensibilisation qui sera immanquablement un vecteur de développement du don en faveur de l’ensemble du secteur, la Fondation de Luxembourg a également une fonction de "fondation abritante" tout à fait précieuse. Demain, celui ou celle qui souhaite créer sa fondation et ne pas s’atteler à la difficile tâche de la création d’une fondation indépendante, de sa gestion administrative, juridique et comptable quotidienne, peut choisir d’"abriter" sa fondation auprès de la Fondation de Luxembourg. La création n’est plus alors que la signature d’une convention, la sécurité et la pérennité du projet sont assurés au mieux, et le fondateur peut très simplement s’attacher uniquement aux questions de fond qui le motivent (social, culturel, humanitaire …). La création de la Fondation de Luxembourg est sans doute le vecteur qui sera le plus rapidement efficace parmi les atouts de cette réforme du cadre philanthropique.

Le Luxembourg semble désormais bien armé pour favoriser en interne le mécénat. Ce dispositif est-il susceptible d’intéresser des ressortissants étrangers?

Avant cette réforme, comme en témoigne l’installation en 2008 de la fondation Grameen Crédit Agricole, le Luxembourg exerçait déjà une attractivité certaines dans le domaine de la philanthropie et ce notamment, grâce au savoir-faire des banques de la place luxembourgeoise reconnu en matière de micro-finance depuis de nombreuses années. Si les nouveautés fiscales et la création de la Fondation de Luxembourg ont pour vocation première de favoriser le mécénat interne au Grand-Duché, deux éléments vont très certainement favoriser l’essor du mécénat "à la luxembourgeoise" au moins sur le plan européen.

En premier lieu, la Fondation de Luxembourg devrait très prochainement adhérer au réseau "Transnational Giving Europe". Ce réseau, qui est un partenariat de réciprocité entre différentes fondations de première importance établies dans les principaux pays européens (Fondation du Roi Baudouin, Fondation de France, Maecenata International en Allemagne, Swiss philanthropy Foundation, …), a pour objet de promouvoir les dons transnationaux en simplifiant la procédure pour le donateur et en garantissant à ce dernier de bénéficier de ses avantages fiscaux locaux. En second lieu, un arrêt très récent de la Cour de Justice des Communautés européennes de Luxembourg en date du 28 janvier 2009 (arrêt Persche, affaire C-318/07) vient de reconnaître dans la continuité d’une précédente décision(4), une certaine forme de libre circulation des dons. Il a ainsi été admis qu’un ressortissant fiscal allemand pouvait demander auprès de l’administration fiscale allemande la déduction d’un don en nature qu’il avait fait au profit d’un organisme reconnu d’intérêt général et établi au Portugal. Cet arrêt aura, à moyen terme, des répercussions sur les différentes législations fiscales des Etats membres qui, en matière de mécénat, ne rendent éligibles que les seules structures bénéficiaires nationales – ce qui est le cas du Luxembourg. L’arrêt Persche constitue d’ores et déjà une véritable "révolution" dans le cadre de la construction d’une philanthropie européenne et sans frontière.

Si la philanthropie semble désormais s’envisager au niveau européen, le dispositif luxembourgeois est-il compétitif par rapport aux législations des autres Etats membres?

La distinction, au plan fiscal, du mécénat par rapport au sponsoring, la simplification du régime juridique des donations, la possibilité de créer au sein de la Fondation de Luxembourg des fondations abritées, sont des innovations qui vont dans le bon sens. Cependant, d’autres mesures auraient pu ou pourront être prochainement et ce, notamment au regard des exemples belges ou français. En effet, les législations de ces deux pays connaissent, à côté de la "grande" fondation reconnue d’utilité publique, des formes de fondations dotées de la personnalité morales mais adaptées à des projets de moindre importance ou à durée déterminée (la fondation privée belge(5) et la fondation d’entreprise française(6)). En France, la fondation d’entreprise a connu depuis 2003, un essor important symbolisant l’appropriation du mécénat et de ses valeurs par le monde de l’entreprise. La recette de ce succès est la suivante: une souplesse dans les modalités de constitution et de fonctionnement, une liberté dans la rédaction des statuts, une "dotation" initiale peu élevée (150.000 euros à verser sur 5 ans), une durée de vie limitée (5 ans renouvelable) et un avantage fiscal conséquent (les sommes versées à la fondation ouvrant droit à une réduction d’impôt sur les sociétés de 60% dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires annuel). Ces mêmes ingrédients semblent avoir été repris par le législateur français pour la création du prochain succès du mécénat français, à savoir le fonds de dotation.

Cette nouvelle forme sociale(7) inspirée des "endowments founds" américains peut être créée par une ou plusieurs personnes physiques et/ou morales de droit privé ou de droit public, pour une durée déterminée ou indéterminée. Aucune dotation minimale n’est exigée, aucun statuts-types n’est imposé et la procédure de création se résume en un simple dépôt d’un dossier auprès de la Préfecture compétente. Surtout, le fonds de dotation dispose d’une capacité juridique plus étendue que celles des associations ou des fondations d’entreprises, puisqu’ils peuvent recevoir, comme les fondations reconnues d’utilité publique, des dons et des legs de toutes personnes membres ou non.

Quels seraient alors les axes d’amélioration possibles?

La France a, avec les fonds de dotation, souhaité conservée son avance et ainsi son attractivité dans le domaine du mécénat. Ce secteur, paradoxalement, commence à être soumis à une concurrence internationale. Le Luxembourg a largement rattrapé son retard mais devrait envisager, dans ce nouveau contexte, au-delà de l’augmentation de l’avantage fiscal lié au don, l’introduction dans la législation d’une forme simplifiée de fondation ou à défaut, la simplification du régime juridique de la fondation reconnue d’utilité publique. En effet, la possibilité d’abriter sa fondation au sein de la Fondation de Luxembourg devrait permette de favoriser l’essor du mécénat mais risque de ne pas satisfaire ceux qui souhaiteraient, sans trop de complications administratives, créer leur propre structure juridiquement indépendante et totalement autonome.

Selon vous, la réforme du mécénat s’adresse-t-elle prioritairement aux particuliers ou aux entreprises?

Il nous semble que cette réforme ne peut pas être vue comme destinée prioritairement aux entreprises: elles ne bénéficient pas d’avantages fiscaux qui leur seraient spécifiques (comme cela avait été le cas par exemple pour la réforme du mécénat en France en 2003, qui avait doublé la réduction d’impôt pour les entreprises) mais ne sont pas moins bien traitées que les particuliers. De plus l’avantage consenti en matière d’ICC est un signe en leur faveur.

Quels seraient les avantages pour une entreprise de créer sa propre fondation ou une fondation abritée par la Fondation de Luxembourg?

L’arrivée de la Fondation de Luxembourg représente une possibilité nouvelle et non négligeable pour les entreprises: jusqu’alors la création d’une fondation demandait à l’entreprise un don initial conséquent, la dotation. Or peu d’entreprises peuvent ou souhaitent se séparer définitivement et en une fois d’une telle somme. La Fondation de Luxembourg permet tout d’abord d’accepter des dossiers de création de plus petite taille que pour une fondation reconnue d’utilité publique. Mais plus encore, elle permet la création de ce qu’il est convenu d’appeler "une fondation de flux". Il faut comprendre par là que l’entreprise pourra s’engager à la création de sa fondation abritée à verser annuellement un budget de fonctionnement et non plus une dotation initiale. En termes économiques et fiscaux cela devrait intéresser de nombreuses entreprises. Cette possibilité s’inscrit de plus dans un contexte de sensibilisation accrue aux notions de "responsabilité d’entreprise" qui conduit un certain nombre de firmes à repenser leur mécénat.

Quelles sont les principales étapes de la création d’une fondation abritée?

Elles sont au nombre de trois: (1) la définition du projet: avant toute chose, le ou les fondateurs doivent s’interroger sur leur projet et plus particulièrement sur le domaine d’intérêt général concerné, la localisation du projet (Luxembourg ou pays étranger) ou encore sont budget. Bien souvent cette étape est la plus longue, car il faut avoir les idées suffisamment claires, les conseils et éclairages nécessaires, et une grande cohérence entre les donateurs ; (2) la signature de la convention: la Fondation de Luxembourg dispose de conventions-type, mais il est important que les deux parties identifient clairement leurs droits et obligations réciproques, comme dans tout contrat. D’autant que celui-ci est définitif ; (3) la mise en route des actions: les questions juridiques et financières sont réglés, il s’agit désormais que démarre les projets qui tiennent à cœur des fondateurs: choix des partenaires financés, du monitoring des projets, premiers comptes-rendus … la création est déjà un lointain souvenir, la fondation a démarré sa mission!

Grâce au pragmatisme du législateur, le mécénat peut désormais exister et ce développer au Luxembourg. Néanmoins, cette révolution dans les textes devra également se traduire par une révolution dans les mentalités. Il nous reviendra donc de convaincre, les particuliers, les entreprises mais également les structures de l’économie sociale et solidaire du bien-fondé de la réforme et de la véritable "utilité sociale et citoyenne" du mécénat.

1) Loi du 19 décembre 2008 portant à modification de certaines dispositions en matière des impôts directs (mémorial A-n°198 du 23 décembre 2008) et loi du 19 décembre 2008 modifiant notamment la loi du 7 août 1920 (mémorial A-n°207 du 24 décembre 2008).
2) http://www.impotsdirects.public.lu/az/d/dons/index.html
3) article 25 de la loi du 29 décembre 1971
4) arrêt Centro di Musicologia Walter Stauffer, CJCE 14 septembre 2006, affaire C-386/04, recueil page I, 8203
5) Dont le statut a été créé par la loi du 2 mai 2002 modifiant la loi du 27 juin 1921 sur les associations sans but lucratif, les associations internationales sans but lucratif et les fondations.
6) Articles 19 et suivants de la loi n°87-571du 23 juillet 1987.
7) Articles 140 et 141 de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie et décret n°2009-158 du 11 février 2009 relatif aux fonds de dotation.

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