Mensuel : Edition de février 2009
Rubrique : Finance/Economie
Titre : Collateralized Debt Obligations : Fonctionnement et Valorisation
Article : GRAPHIQUE VOIR JOURNAL

La crise subprime ainsi que la crise financière qui s’ensuivit ont mis en évidence les problèmes de valorisation de certains produits de gré à gré dont les Collateralized Debt Obligations (CDOs). Ces derniers sont des portefeuilles intégrant des produits de dettes comme actifs et émettant des créances de "seniorité" différente sur ces actifs. On distingue des structures cash et des structures synthétiques. Les cash CDOs investissent dans des portefeuilles de crédit de manière directe, alors que les synthetic CDOs prennent de l’exposition via des Credit Default Swaps (CDS). Ces derniers sont des produits ou des contrats de gré à gré qui permettent à certaines institutions de s’assurer contre la perte de valeur d’un portefeuille sous-jacent via le paiement d’une prime de risque, le spread du CDS.

Il y a à cet égard deux contreparties. Le "protection buyer" paie au "protection seller" une prime pour que ce dernier le compense en cas de pertes d’un portefeuille de référence. Etant donné les commentaires de certains commentateurs suite à la crise sub-prime, il est intéressant de noter que ce type de produits n’ont rien de négatif en soi. Ce qui fait défaut, c’est le manque de centralisation via un "clearing house". Les produits de gré à gré permettent notamment aux intervenants de prendre position sur le même type de risque. Par exemple, une personne ne peut être détenteur d’une maison. Mais, via des produits du type CDS différentes contreparties peuvent prendre position sur les variations de valeur d’un même maison, ce qui engendre du risque systémique.

Comment fonctionnent les CDOs? Considérons une institution financière qui constitue un portefeuille d’obligations pour 100 million de dollars. Le portefeuille étant risqué il génère un spread qui excède le taux sans risque. L’institution ayant émise le CDO peut maintenant vendre des créances en créant des tranches plus ou moins séniores. Le risque respectif varie avec la seniorité de la tranche. Par exemple, l’émetteur peut créer une tranche qui a une valeur notionnelle de 3% du portefeuille, donc 3 millions de dollars. Cette tranche est dénommée "equity" et absorbe les premiers 3% de pertes dues aux défauts du portefeuille de référence. Le détenteur de la tranche "equity" doit donc compenser les premiers défauts jusqu’à hauteur de 3% du portefeuille. Ce risque est compensé par le paiement d’une prime. La prime est appliquée au notionnel restant.

Par exemple, si le portefeuille à perdu 2,5 millions de dollars, la prime ne sera appliquée qu’aux 0,5 millions restant de la valeur notionnelle de la tranche "equity". L’émetteur peut "vendre" d’autres créances de ce type, mais plus seniores, donc moins risquées. Ainsi, la tranche "junior mezzanine" pourrait assurer le portefeuille de référence contre des pertes entre 3% et 7% et ainsi de suite. Typiquement, les tranches sont les suivantes 0%-3%, 3%-7%, 7%-10%, 10%-15%, 15%-30%, 30%-100%. Il est clair que les dernières tranches sont, a priori, les moins risquées. Nous soulignons, ici, le terme a priori car nous verrons que selon le paramètre de corrélation des défauts entre les éléments du portefeuille de référence, les tranches séniores peuvent s’avérer très risquées.

Typiquement, les tranches les plus "seniors" avaient de meilleurs ratings. Le rating influant les stratégies d’investissement, il peut être intéressant d’analyser, qui aurait dû et qui a effectivement investi dans les différentes tranches. Tout d’abord, les fonds de pension ainsi que les "mutual funds" ont surtout investit les tranches "senior" en raison du rating AAA et des restrictions quand à leurs politiques d’investissement. Les banques quant-à-elles, surtout lorsqu’elles furent à l’origine de l’émission des portefeuilles de référence auraient dû garder la tranche "equity". Pourquoi? Les banques ayant constituées les portefeuilles de crédits, elles détiennent de l’information privilégiée concernant les risques sous-jacent. En théorie, le fait de garder la tranche la plus risquée permet de signaler de manière crédible au marché que les crédits sont de bonne qualité. Ceci permet, en principe, d’assurer les tranches "seniors" à un spread plus faible.

Par ailleurs, lorsque la banque fait sortir les crédits du bilan pour les mettre dans une structure spécifique dénommée Special Purpose Vehicle, elle n’est plus incitée à monitorer les créanciers. Le fait d’investir la tranche la plus risquée l’incite à monitorer les créanciers, surtout que le monitoring permet de limiter les risques notamment pour les tranches les plus risquées. Or, des recherches récentes (Franke et Krahnen (2008)) montrent que les banques à l‘origine des crédits n’ont pas investies les tanches "equity". Ces dernières ont été "vendues" à d’autres institutions financières et à des Hedge Funds. En ce qui concerne les tranches mezzanine, en théorie, elles devraient être investies par des investisseurs sophistiqués, tels les Hedge Funds, capables d’effectuer la "due diligence" des portefeuilles sous-jacents. Ceci semble effectivement avoir été le cas. Notons, que ces informations, dans le sens où elles indiquent une segmentation par type d’investissuers, peuvent être importantes pour comprendre la valorisation des différentes tranches.

En ce qui concerne la valorisation des tranches respectives, il s’agit de déterminer le spread pour chaque tranche. Le principe en soi est assez simple. Puisque le "protection seller" doit compenser les pertes du portefeuille de référence et ceci jusqu’aux limites définies pour la tranche, c’est-à-dire les "attachment" et "detachment points", la prime doit être telle qu’en moyenne la prime appliquée au notionnel de la tranche doit être égale aux pertes à compenser anticipées. Là ou cela se gâte c’est lorsqu’il s’agit de déterminer les pertes anticipées. Il s’agit à cet égard, de déterminer les probabilités de défaut des différentes composantes du portefeuille de référence ainsi que leur perte attendue lorsqu’il y a défaut, la Loss given Default (LGD). Typiquement, on calibre cette dernière à 60% de la valeur. Les probabilités de défaut peuvent être estimées à partir des spreads des composantes individuelles en recourant soit à un modèle structurel soit à un modèle à forme réduite. Reste alors à déterminer le paramètre de corrélation entre les défauts. Or ce dernier est difficile à estimer et est entaché d’incertitude. Cette incertitude est d’ailleurs indiquée par ce que l’on appelle le "correlation smile" ou "skew".

En effet, si on utilise une approche inverse, c’est-à-dire lorsque l’on applique le modèle de valorisation standard dénommé Large Pool Gaussian Copula model à des spreads de tranches de CDO synthétiques cotées, on trouve des corrélations implicites qui diffèrent selon les tranches de CDO. Or, puisque la corrélation entre les constituants du portefeuille de référence est la même quelque soit la tranche de CDO, la corrélation implicite devrait être la même quelque soit la tranche de CDO considérée. Ce phénomène est connu sous la dénomination "correlation smile" ou "skew" par analogie au "smile" de volatilité des produits vanille standards. L’interprétation standard de ce genre de phénomène c’est que le modèle standard est mal spécifié. Une autre interprétation pourrait être que ce phénomène soit dû à une segmentation des investisseurs, différents investisseurs investissant dans différentes tranches.

A partir de ce constat, la pratique d’industrie a évolué vers la cotation des tranches via le paramètre de corrélation. Etant donné que cette pratique peut poser des problèmes de valorisation car, du fait du "smile", pour certaines tranches, il peut y avoir deux valeurs du paramètre de corrélation des défauts. C’est la raison pour laquelle, certains professionnels ont développé une approche connue sous la dénomination de "base correlation". Cette approche consiste à considérer des tranches fictives plus larges allant de 0%-3%, 0%-6%, 0-12% etc. et d’évaluer la corrélation des défauts implicite pour ces tranches. Cette approche permet de rendre la fonction qui relie le paramètre de défaut aux différentes tranches monotone. Il y a ainsi une valeur du paramètre pour chaque tranche à coter.

Cette approche n’est cependant pas satisfaisante, car elle n’intègre et ne traite pas le problème de l’incertitude du paramètre de défaut. L’incertitude sur les paramètres est d’ailleurs insuffisamment traitée dans la littérature financière en général. A cet égard, depuis quelques années un certain nombre d’économistes travaillent sur le traitement de l’incertain paramétrique et ces problématiques sont connues sous la dénomination de robustesse. La crise subprime à mis en évidence l’incertitude sur les paramètres, notamment de corrélation.

A cet égard, Lo et al. (2007) arguent que des phénomènes de "phase-locking" peuvent apparaître et que dans ce cas il faut estimer des paramètres de corrélation conditionnels. En fait, selon les auteurs, il faudrait, afin d’estimer le paramètre de corrélation, distinguer entre des phases de tranquillité du marché et des phases de stress. L’incertitude concernant le paramètre de corrélation des défauts explique par ailleurs la dénomination de "correlation products" pour les produits du type CDO. A cet égard, il faut noter que l’impact de paramètre de corrélation n’est pas symétrique pour les différentes tranches. Le graphique 1, issu de Wilson (2004) indique les pertes attendues par tranche pour différents paramètres de corrélation.

On voit clairement que pour de faibles valeurs du paramètre de corrélation, la distribution des pertes est concentrée sur la tranche "equity" et "mezzanine junior", alors que pour des valeurs élevées du paramètre l’impact est moindre sur la tranche "equity" alors que les tranches séniores sont d’autant plus impactées. C’est la raison pour laquelle l’impact sur la valeur des tranches est asymétrique comme l’indique le graphique 2. Ainsi la tranche "equity" gagne en valeur lorsque le paramètre de corrélation s’accroît alors que c’est l’inverse pour la tranche séniore.

Malheureusement, ce phénomène semble avoir été mal appréhendé par les investisseurs ayant investis dans les tranches séniores. Ainsi, les imperfections mentionnées auparavant, nous ont mené à développer une méthodologie robuste de valorisation des CDOs. La dénomination robuste provient du fait que l’on tient compte, explicitement, de l’incertitude paramétrique dans les décisions financières. Cet axe de recherche est relativement nouveau et, à l’origine, fut appliqué an macroéconomie par Hansen et Sargent (2000, 2001) et Hansen et al. (2005). En Finance, l’approche est plus récente mais pertinente comme la crise des "subprime" l’a montré.

Föllmer et al. (2007) fournissent une revue des problématiques de robustesse en lien avec l’optimisation de portefeuille. Notre approche, qui est détaillé dans Verlaine (2008) consiste à partir du fait que le paramètre de corrélation est incertain et difficile à estimer. Nous considérons un ensemble de distributions possibles de pertes et supposons que la probabilité de réalisation d’une distribution respective des pertes peut être estimée un recourant à des techniques d’entropie. Cette approche est développée dans Maccheroni et al. (2006).

D’un point de vue pratique, l’intervalle de réalisations possibles peut être évalué à partir de la "base correlation" qui varie typiquement entre 0,2 et 0,7. Nous supposons alors que le "protection seller", évalue les pertes anticipées par tranche en prenant la distribution (en quelque sorte le scenario) la plus risquée. Etant donné que la paramètre de corrélation à l’origine des différentes distributions de pertes impacte les tranches de manière asymétrique, le paramètre considéré par les "protection sellers" des différentes tranches va varier lui-aussi. Cette approche permet donc à la fois de valoriser les différentes tranches et de donner une explication sensée du "correlation smile". Des applications concrètes ainsi que les codes d’optimisation sont actuellement développés avec IFB Avisory Services. A cet égard, l’approche sera présentée lors d’un Fund Workshop de l’IFB.

Dr. Michel Verlaine
Associate Professor of Finance
ICN Business School
Expert for IFB Audit and Advisory Services
Michel.verlaine@icn-groupe.fr

ICN Business School conjointement avec IFB Audit and Advisory offrent des programmes de Formation Continue sur les sujets traités dans cette rubrique. Pour de plus amples détails contacter l’auteur.

www.ifb-group.com

A ne pas manquer le Fund Workshop de l’IFB le 17 Février à 9h00 à l’Hotel Sofitel au Kirchberg.

Références bibliographiques

- Elizalde, A. (2005) “Credit Risk Models IV: Understandingand pricing CDOs”, Working Paper.
- Franke, G. et Krahnen, J. P. (2008) “The future of securitization”, Working Paper Center for Financial Studies.
- Föllmer, H., Schied, A. and Weber, S. (2007) “Robust preferences and robust portfolio choice”, Working paper.
- Gibson, M (2004) "Understanding the Risk of Synthetic CDOs", Federal Reserve Working Paper
- Hansen, L., Sargent, T. (2000), Wanting Robustness in Macroeconomics, Mimeo, University
of Chicago and Stanford University.
- Hansen L., Sargent T. (2001), Robust Control and Model Uncertainty, American Economic
Review, 91, 60-66.
- Hansen, L.P., Sargent, Th., Turmuhambetova, G., Williams N. (2005), Robust Control and
Model Misspecification, Working Paper.
- Lo, A., Chan, N. , Getmansky, M. , Haas, S. (2007) “Systemic Risk and Hedge Funds” in M. Carey and R. Stulz, eds., The Risks of Financial Institutions and the Financial Sector, 2007. Chicago, IL: University of Chicago Press.
- Maccheroni, F., Marinacci, M. and Rustichini, A. (2006), Ambiguity Aversion, Robustness
and the Variational Representation of Preferences, Econometrica, Vol. 74, p. 1447-1498.
- Schonbucher, Ph. (2003) Credit derivatives pricing models, Wiley Finance.
- Verlaine, M. (2008) “Robust Valuation of CDOs”, Working paper ICN 2008-21 (peut être consulté sur http://www.icn-groupe.fr/ spip.php?article628&titre_mot=public et sur www.ssrn.com)
- Willeman, S. (2004) “ An Evaluation of the Base Correlation Framework for Synthetic CDOs”, Aarhus Business School Working Paper

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