Mensuel : Edition de janvier 2006
Rubrique : La Place
Titre : L’actualité du droit du travail
La double immatriculation des voitures de service remise en question
Article : Cette rubrique, à paraître tous les mois, a pour but d’informer le lecteur, avisé ou non, de manière claire et concise des sujets d’actualité et des grandes nouveautés en matière de droit du travail aussi bien au niveau des législations luxembourgeoise et européenne qu’au niveau des décisions de justice et cela chaque fois que la nouveauté en question est censée avoir des répercussions sur la vie et le fonctionnement des entreprises luxembourgeoises.


Une entreprise luxembourgeoise a-t-elle le droit de faire immatriculer exclusivement au Luxembourg la voiture qu’elle met à la disposition de son travailleur salarié actionnaire, administrateur ou gérant, demeurant à l’étranger, sans payer de taxe d’immatriculation dans le pays de résidence du salarié ? Une décision récente de la Cour de justice des Communautés européennes nous donne l’occasion de faire le point sur cette question(1).

Deux ressortissants belges résidaient en Belgique, mais travaillaient au Luxembourg en qualité d’administrateur délégué, respectivement d’administrateur, de deux sociétés luxembourgeoises distinctes. En 2002, ils ont fait l’objet, en Belgique, de contrôles parallèles par les services des douanes et accises, alors qu’ils circulaient à bord de véhicules achetés par leurs sociétés respectives, immatriculés au Grand Duché de Luxembourg. Les autorités belges leur reprochent de n’avoir pas respecté la législation belge, qui prévoit que les personnes résidant en Belgique doivent immatriculer les véhicules qu’elles souhaitent mettre en circulation en Belgique, même si ces véhicules sont déjà immatriculés à l’étranger. Seuls les salariés demeurant en Belgique qui utilisent une voiture de service immatriculée à l’étranger par leur employeur étranger sont exemptés de cette formalité.
En revanche, lorsque le bénéficiaire est un dirigeant (gérant ou administrateur de la société), il ne peut invoquer le régime particulier que dans la mesure où il détient le statut d’employé et par conséquent pour autant qu’il démontre qu’il existe un réel lien de subordination entre lui et la société.

L’existence d’un lien de subordination implique que le dirigeant de l’entreprise démontre qu’il est soumis à l’autorité d’une autre personne mandatée ou organe de la société (conseil d’administration, comité de direction, conseil de gérance…), disposant d’une position d’autorité envers laquelle il ne peut exercer aucune influence décisive.

En ce sens, les exploitants d’une société à une personne, les associés fondateurs d’une société ou les actionnaires principaux sont dans tous les cas exclus du régime particulier. Avant de statuer sur la violation de cette réglementation par les intéressés, le tribunal de police de Neufchâteau, en Belgique, demanda à la Cour de justice des Communautés européennes, par une question préjudicielle, si la législation belge applicable était bien conforme au droit communautaire.
En effet, de telles dispositions pourraient constituer une entrave à la libre circulation des travailleurs. Pour les "simples" travailleurs, qui ne cumulent pas de fonctions salariées avec des fonctions d’administration, la Cour avait déjà eu l’occasion de constater que l’obligation d’immatriculation dans le pays de résidence constituait bien une entrave à la libre circulation des travailleurs(2).

La même Cour confirme ici qu’une obligation d’immatriculation telle que celle en cause constitue également une entrave à la libre circulation des personnes, pour autant qu’elle impose cette obligation aux travailleurs non salariés.

Il faut noter que le pays de résidence du salarié peut imposer une seconde immatriculation du véhicule en question, avec paiement de la taxe afférente, lorsque ce véhicule est destiné à être essentiellement utilisé sur le territoire de cet État membre à titre permanent ou lorsqu’il est en fait utilisé de cette façon. Cependant, tel n’était pas le cas en l’espèce. En ce qui concerne la prévention d’abus, le droit communautaire reconnaît aux États membres le droit de prendre des mesures destinées à empêcher que, à la faveur des facilités créées en vertu du traité, certains de ses ressortissants ne tentent de se soustraire abusivement à l’emprise de leur législation nationale et que les justiciables ne sauraient abusivement ou frauduleusement se prévaloir des normes communautaires.

Toutefois, une présomption générale d’abus ne saurait être fondée sur la circonstance qu’un travailleur non salarié résidant en Belgique utilise sur le territoire de cet État une voiture de société mise à sa disposition par la société qui l’emploie, établie dans un autre État membre.

Ainsi, il faut retenir que le droit communautaire s’oppose à ce qu’une réglementation nationale d’un premier État membre (en l’espèce la Belgique), impose à un travailleur non salarié résidant dans cet État membre d’y immatriculer un véhicule de société mis à sa disposition par la société qui l’emploie, société établie dans un second État membre (en l’espèce le Luxembourg), lorsque le véhicule de société n’est ni destiné à être essentiellement utilisé dans le premier État membre à titre permanent ni, en fait, utilisé de cette façon.


Guy Castegnaro et Ariane Claverie, Avocats à la Cour
Castegnaro Cabinet d’Avocats, membre de Ius Laboris


1) CJCE 15 décembre 2005, affaires jointes C-151-04 et C-152/04, Nadin, Nadin-Lux sa et Durré
2) CJCE 15 septembre 2005, Commission/Danemark, C-464/02

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