Mensuel : Edition de septembre 2005
Rubrique : La Place
Titre : Blanchiment d’argent et financement du terrorisme : "la circulaire CSSF 2005/188 – un numéro important"
Article : Le 27 mai 2005, la Commission de Surveillance du Secteur Financier (ci-après CSSF) a publié une nouvelle circulaire relative à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (ci-après AML), qui était attendue depuis quelque temps. Cette circulaire arrive après la loi AML entrée en vigueur en novembre 2004, qui elle-même résulte de la transposition en droit luxembourgeois de la deuxième directive européenne AML de 2001.

Signalons que, entre la publication de la circulaire et la parution du présent article, une troisième directive européenne AML a été adoptée dont le contenu ne sera officiellement disponible qu’à la fin de l’année. Nous en reparlerons dans un prochain article. La circulaire est adressée à tous les professionnels du secteur financier (PSF) tombant dans le champ d’application de la loi en question. L’objectif de la circulaire est de décrire les changements impliqués par cette nouvelle loi, mais aussi et surtout, de clarifier comment les PSF doivent faire face à leurs nouvelles obligations en pratique.

Il faut souligner que la circulaire ne remplace pas les circulaires AML précédentes mais les complète en fonction de la nouvelle loi. Ceci a d’ailleurs quelque peu déçu les professionnels de la place qui auraient souhaité une circulaire englobant l’ensemble de la matière et abrogeant les circulaires AML précédentes. Selon nos informations, la CSSF travaillerait sur un texte unique. Wait and see… La nouvelle circulaire revoit section par section les différents points de la loi de novembre 2004 et précise le cas échéant leurs implications pour les PSF. Nous faisons ci-dessous un commentaire sur les paragraphes de la circulaire.


1) Extension de la liste des infractions primaires

Il y a une nouvelle infraction primaire : l’obtention illégale de subventions publiques. La circulaire n’ajoute rien à la loi dans ce domaine(1).

2) Extension du champ d’application matériel des obligations professionnelles

Pas de surprise – Les obligations professionnelles sont étendues à la lutte contre le financement du terrorisme. Ceci ne représente pas un changement majeur puisque c’était déjà le cas en pratique.

3) Nouveaux professionnels avec des obligations AML

Une clarification importante est amenée par la circulaire. Les fonds d’investissements sont maintenant objet de l’AML mais la circulaire clarifie que les fonds concernés par les obligations sont ceux qui vendent leurs parts directement au public, c’est-à-dire, ceux qui ont un contact direct avec les investisseurs sans passer par un intermédiaire. Nous pensons que la plupart des fonds luxembourgeois sont vendus par des intermédiaires, et dès lors, les obligations AML seront supportées par les intermédiaires et non par les fonds. (Rappelons que les SICAR sont en dehors du champ d’application de la loi).

4) Application aux succursales et filiales

Ce n’est pas une surprise que les succursales et filiales des PSF luxembourgeois ont les mêmes devoirs AML que les PSF luxembourgeois eux-mêmes et il est de la responsabilité des PSF du Luxembourg d’assurer que ces devoirs sont accomplis de manière satisfaisante par leurs succursales et filiales. La circulaire clarifie que des succursales et filiales localisées dans un Etat membre de l’UE, EEE(2) ou GAFI (Groupe d’Action Financière) ont des obligations AML équivalentes à celles qui sont appliquées au Luxembourg.

5) Obligation d’identifier les bénéficiaires économiques

Ceci est une confirmation de la loi et la circulaire ne fournit pas plus de conseils ni de définition à ce sujet.

6) Clients occasionnels

La circulaire confirme le seuil d’identification : EUR 15.000 en accord avec la loi et la deuxième directive AML.

7) Exception du devoir d’identification

Quand le client est une institution financière qui a un devoir d’identification équivalent, les PSF luxembourgeois ne sont pas requis de procéder à l’identification. La circulaire fournit une liste d’institutions financières nationales qui sont sujettes aux mêmes obligations :
- PSF du Luxembourg
- Entreprises d’assurances du Luxembourg
- Fonds d’investissement du Luxembourg

En ce qui concerne les institutions financières étrangères, il faut qu’elles soient sujettes à un devoir d’identification équivalent. La circulaire précise que les institutions financières situées dans l’UE, l’EEE et GAFI ont un devoir d’identification équivalent. Ceci est également le cas pour les filiales de ces institutions financières aussi longtemps que, en vertu de la loi locale ou de la politique du groupe, elles sont sujettes aux mêmes devoirs AML que leurs maisons mères.

8) Opérations à distance

Ce type d’opérations est clairement autorisé mais doit être exécuté en respectant une des deux conditions suivantes :

a) Il faut obtenir une copie certifiée de la carte d’identité du client. Quelques autorités compétentes pour la certification de la carte d’identité sont indiquées à titre d’exemples dans la circulaire (ambassade, consulat, notaire, police). La carte d’identité peut aussi être certifiée par une institution financière, sujette aux mêmes obligations AML que celles appliquées au Luxembourg. Elle peut aussi être certifiée par un délégué si l’ouverture de compte est faite dans le contexte d’une délégation (voir ci-dessous) ;

b) Une simple copie de la carte d’identité est acceptée si le premier paiement est exécuté à partir d’un compte ouvert au nom du client dans un pays qui a des obligations AML équivalentes à celles applicables au Luxembourg.

Toute autre procédure doit être autorisée au préalable par la CSSF.

9) Délégation de l’exécution matérielle de l’identification

La circulaire décrit les conditions pour une délégation valide :
a) Même si la délégation est acceptable, la responsabilité ultime subsistera dans le chef du PSF à Luxembourg;
b) La délégation doit être faite par écrit avec une description précise des tâches déléguées et la copie originale de ce document doit être dans les mains du PSF ;
c) Avant de commencer les opérations avec le client, tous les documents obtenus du client doivent être reçus au Luxembourg ;
d) Délégués éligibles

a. Professionnels nationaux
- PSF
- Assurance
- Fonds d’investissements
- Société de gestion
- Fonds de pension supervisés par la CSSF

b. Professionnels étrangers : les mêmes que ci-dessus si ils sont sujets aux mêmes obligations d’identification qu’au Luxembourg.

10) Obligation d’examiner les transactions

Sur base de l’obligation générale de surveillance de transaction, la circulaire fournit aux professionnels certains conseils à propos de ce qui peut être fait dans ce secteur et être considéré comme une transaction douteuse. Une fois de plus, la CSSF insiste sur le suivi des personnes exposées politiquement et des personnes émanant de pays et territoires non coopératifs.
La CSSF confirme aussi que cette obligation couvre non seulement les transactions anormales en tant que telles mais aussi les transactions anormales en considération du profil du client. Quelques exemples de transactions anormales en tant que telles sont donnés: transactions complexes, pour des montants élevés, sans aucun objet licite ou économique, transactions présentant un risque élevé, et ainsi de suite.

Certains exemples de transactions anormales en considération du profil du client sont aussi fournis. La circulaire innove quelque peu lorsqu’elle précise que les PSF doivent avoir en place des processus et mécanismes, non seulement pour détecter des clients figurant sur des listes officielles (listes terroristes) mais aussi sur des listes privées/internes (Personne politiquement exposée). Ces systèmes doivent aussi détecter des fonds venant de pays black-listed et les transactions douteuses (soit en ellesmêmes, soit en considération du profil du client). Finalement, la circulaire recommande, en fonction du nombre de clients et des transactions à risques, l’utilisation de système informatique pour détecter des transactions douteuses. La CSSF ne fournit pas plus de conseils dans cette recommandation et chaque professionnel devra se poser la question de savoir si un suivi manuel des transactions est suffisamment efficace ou pas.

11) Obligation de faire un suivi continu des clients en fonction du risque

Pour être en règle avec cette nouvelle obligation, les professionnels doivent développer une méthode qui leur permettra de déterminer à quelle catégorie de risque leurs clients appartiennent. La circulaire donne quelques exemples de clients à risques et précise au passage que seules les personnes détenant une fonction publique importante dans un Etat étranger, doivent être considérées comme clients à risque. La circulaire recommande aussi que le nombre de clients attribué à chaque chargé de clientèle devrait être limité selon le type de client et les systèmes et techniques mis en place..

12) Obligation de disposer d’une organisation interne adéquate

Cette obligation n’est pas nouvelle et la CSSF insiste pour que des procédures spécifiques soient mises en place en matière de transactions à distance.

13) Obligation de coopérer avec les autorités

La circulaire donne certains conseils quant à cette obligation qui n’est pas nouvelle mais dont l’étendue et les spécificités ont été développées par la nouvelle loi. La CSSF rappelle que la déclaration faite de bonne foi ne peut pas mettre la responsabilité du professionnel en jeu. La circulaire clarifie la portée de cette protection: pénale, civile et, ce qui est plus novateur, disciplinaire.

Bien que la loi permette aux professionnels d’informer leurs clients quand une transaction est bloquée, la circulaire précise que cette révélation peut seulement avoir lieu si le client en question demande explicitement au PSF pourquoi la transaction a été bloquée. Ceci veut dire que le PSF doit s’abstenir d’informer, de sa propre initiative, son client que son compte est bloqué.

La circulaire confirme aussi les circonstances dans lesquelles un PSF peut divulguer des informations aux organes de contrôle interne de son groupe :
- Quand une déclaration au procureur d’Etat est été faite par le PSF après avoir reçu de ce dernier une autorisation écrite ;
- Quand cela est nécessaire dans le cadre de la gestion globale des risques juridiques et de réputation liés à l’AML, et ce, sans en informer le procureur d’Etat.

14) Obligations en cas de transfert de fonds

En accord avec la loi, la circulaire indique que tous les transferts (y compris domestiques) doivent inclure soit le nom soit le numéro de compte du donneur d’ordre.

15) Contrôle du respect des obligations professionnelles

La CSSF rappelle au PSF sa mission spécifique et le rôle de l’auditeur externe dans la vérification du respect des obligations professionnelles par le PSF. La CSSF précise aussi que le respect des obligations professionnelles devrait être vérifié à fréquence élevée par la fonction Compliance du PSF et par son service d’audit interne. La notion de "fréquence élevée" n’est pas définie mais on peut raisonnablement estimer que cette vérification devra avoir lieu annuellement.

16) Sanctions en cas de non-respect des obligations professionnelles

Last but not least, la circulaire mentionne que le non respect de toutes les obligations professionnelles (à part celle en matière de virements) est maintenant susceptible de sanctions pénales.


Conclusion

A la première lecture de cette circulaire, les professionnels ont pu éprouver une certaine déception dans la mesure où elle semble "paraphraser" quelque peu la loi de novembre 2004. Néanmoins, une analyse plus profonde révèle que d’importantes précisions sont données par la circulaire. L’importance donnée par la CSSF à l’obligation de suivi de transactions devrait selon nous entraîner dans les prochains mois un questionnement important dans le chef des directions des PSF et accentuer l’intérêt des professionnels pour les outils informatiques permettant de répondre plus complètement à cette obligation.


C’est dans ce contexte que Deloitte organise son prochain petit-déjeuner/débat sur "la mise en place de solutions AML informatisées : de la théorie à la pratique" le 13 septembre 2005. Vous pouvez recevoir une invitation officielle à cet événement en envoyant un e-mail à luevents@deloitte.lu avant le 5 septembre 2005.


Pierre-François Wéry (cfr. Photo), Deloitte S.A.
Directeur Forensic & Anti Money Laundering Services
+352 451 452 528
pfwery@deloitte.lu

1) Depuis la parution de la circulaire, le législateur a donné une définition plus large à l’infraction de corruption via la loi du 23 mai 2005, publiée au mémorial le 9 juin 2005. En effet, l’insertion dans le code pénal des articles 310 et 310-1 pénalise à présent la corruption privée.
2) EEE : Espace Economique Européen qui comprend, en plus des 25 membres de l’Union Européenne, l’Islande, la Norvège et le Liechtenstein.

Retour début de page