Mensuel : Edition de avril 2005
Rubrique : Domiciliation de sociétés
Titre : La domiciliation des sociétés au Grand-Duché de Luxembourg régie par la loi du 31 mai 1999
Article : Depuis les années 1980, le Grand-Duché de Luxembourg connaît un développement important des sociétés de participations (Sociétés de participations financières, holding 1929 et holdings milliardaires). Cet accroissement du nombre de sociétés de participations a parallèlement donné lieu au développement rapide d’une autre activité : la domiciliation de sociétés.


Le Grand-Duché de Luxembourg, par l’adoption de la loi du 31 mai 1999 régissant la domiciliation des sociétés sur son territoire, a ainsi décidé de réglementer tant l’activité que l’accès à la profession d’agent domiciliataire. De précédents auteurs ont, à maintes occasions, d’ailleurs déjà expliqué et commenté avec justesse la définition de la domiciliation et de l’activité de domiciliataire, les critères d’accès à la profession de domiciliataire, les obligations contractuelles des parties co-contractantes et la cessation de la relation de domiciliation. Nous souhaitons dans le présent exposé, nous limiter à un aspect spécifique de la loi du 31 mai 1999, et plus particulièrement aux dispositions de son article 2, paragraphe b, relatif à la”connaissance de son client”:

“Article 2 :
b) tout domiciliataire est obligé de connaître l’identité réelle des membres des organes de la société domiciliée auprès de lui, de conserver la documentation afférente et de la maintenir à jour. En cas de doute sur le point de savoir si ces personnes, en leur qualité de membres des organes, agissent pour leur propre compte ou en cas de certitude qu’ils n’agissent pas pour leur propre compte, le domiciliaire prend des mesures raisonnables en vue d’obtenir des informations sur l’identité réelle des personnes pour le compte desquelles ces personnes agissent. La documentation servant à l‘identification des personnes précitées doit être conservée pendant une période d’au moins 5 ans après la fin des relations de la société avec ces personnes, sans préjudice des délais de conservation plus longs prescrits par d’autres lois.”

Plus généralement, la loi impose à l’agent domiciliataire de connaître ses clients. Pourtant, étant donné que la loi ne donne aucune définition précise de la connaissance de l’identité réelle, l’agent domiciliataire se retrouve confronté à un certain nombre de questions auxquelles la loi ne donne pas de réponse : quels sont les jalons et les limites de cette connaissance? Existe-t-il un relevé exhaustif de mesures à prendre et comment pourrait-il avoir la certitude de connaître cette personne physique ou morale qui lui était totalement inconnue auparavant?

Afin de mieux identifier les divers intervenants, nous nous proposons de les affecter à différentes catégories:
- les organes de la société : administrateurs – gérant(s) – commissaire – comité de surveillance
- le ou les associé(s) - actionnaires directs de la société;
- les personnes morales ou physiques ;
- le ou les bénéficiaires économiques ultimes réels des fonds investis ou qui seront investis dans la société.

De par l’appartenance à l’une ou plusieurs de ces catégories, la nature des documents et informations requis diffère. En ce qui concerne l’identification des organes tout d’abord, la Commission de Surveillance du Secteur Financier (“CSSF”) recommande à l’agent domiciliataire de maintenir pour chaque société un minimum d’information relative aux membres des organes, à savoir :
- une lettre d’acceptation formelle du mandat conféré ;
- une copie certifiée conforme d’une pièce d’identité ;
- un spécimen de signature.

Si ces mandats sont assumés par une personne morale, il conviendra d’établir un dossier identique pour chaque représentant légal de ladite personne morale. De plus, l’agent domiciliataire doit s’assurer de l’existence légale de la personne morale dans sa juridiction propre. Cette existence est généralement documentée par les informations suivantes:
- une copie certifiée conforme de l’acte de constitution et du”certificate of incorporation”
- une copie des derniers statuts coordonnés et un exemplaire récent de l’extrait du registre de commerce, si disponible, ou d’un”certificate of good standing” ;
- une copie du dernier rapport annuel audité ou des derniers comptes annuels approuvés .

En ce qui concerne ensuite l’identification des actionnaires, les exigences sont très semblables à celles requises pour l’identification des organes de la société. Analysons les recommandations et leur mise en oeuvre d’un point de vue pratique. Madame ou Monsieur X souhaite procéder à la constitution d’une société luxembourgeoise et procure à son agent domiciliataire les informations demandées, relatives aux gérants / administrateurs, aux actionnaires et aux bénéficiaires économiques. Sur base des recommandations de la CSSF, l’agent pourrait considérer avoir une “connaissance raisonnable” de Madame ou Monsieur X, dès lors qu’il est en possession d’une copie certifiée d’une pièce d’identité, d’une lettre d’acceptation de mandat et d’un spécimen de signature. On pourrait cependant s’interroger sur l’opportunité pour l’agent de réclamer d’autres documents tels qu’une déclaration sur l’honneur de non-faillite, un extrait de casier judiciaire vierge ou un certificat de bonne vie et mœurs. De même, dans l’hypothèse où l’agent obtient ces documents supplémentaires, il est logique d’en réclamer leur mise à jour systématique?

En ce qui concerne l’identification du ou des bénéficiaires économiques actuels, personnes physiques, de la société luxembourgeoise, il leur est généralement demandé de signer une déclaration confirmant l’origine des fonds investis dans la société au moment de sa constitution ou de son acquisition. Il est d’ailleurs fortement recommandé d’obtenir une mise à jour régulière afin d’être tenu informé de tout changement de bénéficiaire économique. L’obtention d’une lettre de recommandation bancaire constitue un atout supplémentaire pour parfaire l’identification.

Dans certains cas, l’identification réelle du client peut être très difficile voire impossible. Ainsi, dans le cadre d’une planification successorale où la discrétion est de mise, sachant que le secret professionnel est évidemment d’application, comment l’agent domiciliataire peut-il avoir la certitude de connaître l’identité réelle des personnes pour lesquelles il agit et avoir la certitude absolue que les bénéficiaires économiques agissent réellement pour leur propre compte et qu’il n’y ait pas volonté de dissimulation ?

Prenons l’exemple d’une personne qui remplit les conditions décrites ci-dessus, mais qui, à la tête d’un groupe d’activités plus opaques que transparentes ou dont le développement des affaires est en déclin, possède plusieurs relations bancaires. Cette personne transmet à son agent domiciliataire la lettre de recommandation d’une banque avec laquelle elle entretient de bonnes relations. Cette banque n’est cependant pas forcément informée de sa situation financière auprès d’autres concurrents. Après avoir obtenu les informations et documents requis, l’agent domiciliataire connaît-il réellement son client ? Il reste à espérer que l’identification de l’origine des fonds et la certitude que ces fonds n’aient pas été générés par l’exercice d’activités frauduleuses, ont été dûment vérifiées par les banques concernées à l’arrivée et au départ des transferts de fonds concernés. L’identification de personne morale ne va pas non plus sans poser de problèmes. Pour rappel, en sus de la documentation légale généralement disponible, il est recommandé d’obtenir le dernier rapport annuel ou les derniers états financiers approuvés, nous permettant d’obtenir une image fidèle de la situation financière de cette société.

L’actualité financière bousculée par des scandales à répétition (détournements de fonds, pertes masquées, bénéfices fictifs, chiffres d’affaires remodelés,…) tendrait à discréditer une situation financière présumée saine. Comment s’assurer que la valeur boursière d’une entreprise, basée tant sur des projections bénéficiaires que sur l’évolution de cette entreprise dans son secteur d’activités, est fiable ?

Quelles sont les conclusions à en tirer ?
Les notions tant de ”connaissance de son client”que de ”mesures raisonnables”semblent être laissées à l’appréciation de l’agent domiciliataire, la loi ne procurant pas un relevé clair et précis des procédures à suivre. Ce qui semblerait raisonnable pour l’un, pourrait être totalement insuffisant pour l’autre et inversement.
Ce qui peut sembler requis pour l’un, serait excessif pour l’autre. En définitive, chaque cas devrait être traité différemment en fonction des tenants et des aboutissants du projet, mais une fois encore, soumis à la discrétion et à l’approbation finale de l’agent domiciliataire. Rappelons l’importance d’une mise à jour régulière des informations obtenues au début de la relation professionnelle.

Si toutefois une définition exacte du niveau de connaissance requis n’est pas évidente, mieux vaut prendre le risque de perdre un client réticent plutôt que d’être associé à la création d’un projet opaque et, par conséquent, se lancer dans une relation professionnelle vouée à l’échec. Prudence et rigueur sont de mise sans pour autant tomber dans un excès de méfiance systématique.
Qui peut le plus, peut le moins.




Francis Zéler, Senior Manager
Corporate Support & Compliance Department
Ernst & Young Luxembourg

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