Mensuel : Edition de décembre 2004
Rubrique : La Place
Titre : Le dirigeant du futur
Article : Pour se forger une idée du paysage économique de l’année 2005 avec ceux qui vont le construire, le magazine Trends et l’édition européenne du Wall Street Journal organisaient début décembre l’événement "CEO Summit 2004". Sponsor et "consulting partner" du sommet annuel des dirigeants d’entreprise belges, CSC a réalisé une nouvelle enquête sur le profil de ces dirigeants. Dans l’entreprise qui réussira demain, il semble acquis que le changement d’organisation est une composante clé, et que le choix des hommes pour conduire cette nouvelle entreprise n’obéit plus forcément aux mêmes critères.

L’enquête, menée en collaboration avec Top Management et SAS, confirme que le dirigeant est désormais "condamné" au changement. Tous en conviennent : la transformation s’inscrit désormais dans un processus naturel d’évolution de leurs entreprises, pour adapter en permanence leur modèle opérationnel aux conditions du marché.

Depuis 45 ans, dans le conseil et les technologies de l’information, CSC a mené à bien de très nombreux programmes de transformation. De quoi faire une observation : le "chief executive officer" (CEO) joue, à chaque fois, un rôle clé au sein de l’organisation pour piloter ce processus.

Pour le vérifier, l’enquête a pris cette année un peu de distance avec ce qui constituait auparavant ses thèmes de prédilection (les choix stratégiques et les modèles économiques) pour se concentrer sur le rôle central du CEO. Ce dirigeant, à la fois architecte et chef d’orchestre de la transformation, qui est-il, que fait-il, en quoi son rôle a-t-il changé ? Qui est cet homme ou cette femme qui possède la vision nécessaire pour faire passer son entreprise à la vitesse supérieure ?

Les auteurs de l’enquête se sont livrés à un premier décodage sur les caractéristiques du CEO belge. L’enquête esquisse ainsi un profil-type du dirigeant de demain, tel que l’envisagent aujourd’hui ses pairs en Belgique. Ces derniers ont passé au crible ses priorités, ses qualités, ses méthodes de travail, sa rémunération, et même son style de vie, et décryptent finalement ce qui sera le "kit" des futurs leaders.


Concilier la stratégie et le développement de ses collaborateurs

Premier résultat révélé par l’enquête : la stratégie d’entreprise et la gestion des hommes seront les deux axes privilégiés par le CEO (cf. figure 1). Presque trois-quarts des répondants (71%) font l’hypothèse que le futur leader passera plus de temps sur la stratégie, et 46% supposent qu’il s’agira même de son activité la plus importante. Une grande partie de la semaine de travail devrait également être dédiée à la gestion des collaborateurs, selon 63% des sondés.
"Prenez toujours la cause de vos salariés", "développez un réseau de collaborateurs compétents", "n’hésitez pas à investir dans la stratégie, et dans les ressources humaines", etc. : les très nombreux commentaires soulignent une vraie tendance de fond.
Selon Francis Vaningelgem, managing partner au sein de la société Ray & Berndtston, spécialisée dans le recrutement de cadres supérieurs, "la définition de la stratégie de l’entreprise est évidemment indissociable du chef d’entreprise. C’est vrai aujourd’hui et ça le sera demain, dans la mesure où il faudra toujours une vision pour l’entreprise, et quelqu’un pour la guider vers la profitabilité.
Gérer les talents, et tirer le meilleur de ses collaborateurs, devraient naturellement constituer un volet de cette stratégie : en effet, un recrutement de qualité, en ligne avec le déploiement de la stratégie, a un impact immédiat sur la profitabilité de l’entreprise".

La carte d’identité du CEO : la nouvelle donne

Signe des temps : la mondialisation, vécue comme une réalité structurante dans bien des domaines, influence également le profil du dirigeant de demain. Aujourd’hui, un curriculum vitae enrichi par des expériences à l’étranger est un pré-requis, pour plus des quatre-cinquièmes (84%) du panel. Ils sont aussi plus de la moitié des répondants (54%) à penser que le futur CEO d’une société belge n’aura pas forcément la nationalité belge. Ce résultat est remarquable, dans la mesure où ils sont actuellement 92% à avoir la carte d’identité du pays… Pour Marc Heeren (cfr. photo), managing director de CSC en Belgique, "les fusions et les acquisitions de sociétés, mais également le suivi de la valeur de l’action, sont aujourd’hui des mouvements vécus à l’échelle internationale. Comme leurs pairs à l’étranger, les CEO belges prennent en compte un contexte économique de plus en plus global. Pour cette raison, un parcours international et, plus encore, des qualités relationnelles et une ouverture culturelle seront vraiment recherchés pour la prochaine génération de CEO".

Des évolutions sont également à prévoir en matière de formation initiale. Aujourd’hui, environ un CEO sur deux en Belgique est titulaire d’un diplôme d’ingénieur.
La prochaine génération serait bien inspirée de passer un MBA, ou un diplôme d’école de commerce : près de deux-tiers des répondants envisagent, en effet, une telle formation pour le poste de CEO. Les fantasmes entourant le mythe du "self-made man" semblent moins puissants en Belgique, puisque seuls 10% misent sur un parcours autodidacte.

L’enquête fournit également des indications sur les compétences attendues du CEO. Ils devraient être une grande majorité à avoir exercé des responsabilités dans la vente et le marketing (53%), ou au sein d’une direction financière (18%). 14% des sondés estiment, quant à eux, que le profil type est plutôt celui d’un ancien directeur de la production ou des opérations.
Un parcours réussi de directeur juridique, de directeur des ressources humaines ou de directeur informatique ne serait donc pas la voie royale pour accéder au plus haut poste de l’entreprise (seuls 1% des dirigeants interrogés imaginent une telle promotion).

International, manager chevronné, familier des chiffres… le profil du CEO évolue, mais que dire de sa rémunération ? Sur ce plan, le statu quo semble de mise, du moins au sens global du terme. En effet, plus de la moitié des sondés (58%) s’attendent à une augmentation de la part variable, et 27% considèrent que cette augmentation sera même très significative.


Visionnaire, déterminé, à l’écoute: des aptitudes nécessaires au dirigeant de demain

Ces considérations posées, un diplôme et un parcours idéal ne donnent pas la garantie d’être un bon chef d’entreprise, tous en conviennent. Questionnés sur les qualités humaines les plus importantes qu’un chef d’entreprise doit posséder, les sondés citent avant tout la confiance et la détermination (25%), l’intelligence (23%), l’honnêteté (18%) ou la créativité (14%). Étrangement, disposer d’un bon réseau informel est la qualité la moins importante dans ce classement. Décrypter le profil du CEO passe également par l’analyse de son style de management. Les auteurs distinguent justement deux types de managers, assez différents.
Le premier, perçu plutôt comme un "coach", met en place un environnement favorable, dans lequel l’équipe de direction définit la stratégie. L’écoute, l’empathie et l’humilité sont des qualités qu’il cultive, car si la délégation de pouvoir est une réalité, le rôle du dirigeant est bien d’agir en support aux opérationnels. Le second, en revanche, s’apparente plus à un leader charismatique et autoritaire, qui donne la direction à atteindre et mobilise son entreprise dans ce but.

Pour Marc Heeren, "l’équation ne paraît donc pas si simple : il faudra au dirigeant un tempérament d’entrepreneur visionnaire ; l’engagement d’améliorer sans cesse la performance en étant créatif, combatif et tenace ; avec, enfin, une vraie capacité à motiver et à conduire les hommes". "Il faudra au dirigeant un tempérament d’entrepreneur visionnaire ; l’engagement d’améliorer sans cesse la performance en étant créatif, combatif et tenace ; avec, enfin, une vraie capacité à motiver et à conduire les hommes"


Intégrer le facteur temps

Si le changement caractérise l’ensemble de l’organisation, le CEO est lui-même un acteur pleinement concerné, puisque ses responsabilités le conduisent à des déplacements fréquents et au travail à distance. La mobilité est donc loin d’être un vague concept, et ce n’est pas près de changer : 80% des sondés imaginent un dirigeant de plus en plus rodé au travail et au reporting à distance, quand 68% pensent que sa fonction le conduira à voyager encore plus.

Il est donc bien loin le temps où le bureau d’un dirigeant était le dernier endroit au monde où trouver un ordinateur… Aujourd’hui, l’ordinateur et le téléphone portables sont des outils qui lui sont essentiels, et ils le seront encore plus demain.
Ceci n’implique pas des modes de travail radicalement différents, reposant uniquement sur le confort de la technologie. "Pouvoir compter sur son assistant(e) de direction" est toujours cité dans le top 3 des moyens mis à disposition du dirigeant pour exercer efficacement sa fonction. Le "tout technologique" a donc ses limites… et c’est heureux !

Si le dirigeant doit ajuster ses outils, c’est essentiellement pour intégrer le facteur temps, dans une dimension jusqu’ici méconnue. Il y a quelques années encore, tout semblait gravé dans le marbre. Les grandes entreprises dominaient, quand les petites se débattaient pour exister sur le marché. Aujourd’hui, une petite entreprise peut connaître un essor fulgurant, quand un processus défaillant peut faire chanceler un leader sur son marché…
Cette nouvelle réalité inspire les dirigeants, désormais "toutes antennes ouvertes", pour décoder avant tout le monde ce qui est susceptible d’arriver. En matière d’information, le dirigeant est de plus en plus exigeant, en particulier dès qu’il s’agit de veille concurrentielle. Au second rang de ses priorités, se classent les données financières et des informations spécialisées (telles que celles concernant de nouveaux modèles économiques, des structures de gouvernance, des modèles opérationnels, etc). Multiplication des chaînes d’information à la télévision, avec des horaires adaptés aux dirigeants, déclinaison de la presse généraliste et économique sur le Web, informations ciblées directement accessibles sur leur téléphone mobile par SMS : ce n’est pas la rareté qui caractérise aujourd’hui l’information. Pour la moitié des répondants, le principal enjeu pour le dirigeant consiste donc à la trier, l’analyser et la digérer très rapidement. La pertinence des informations (23%) et l’accès rapide à l’information (18%) arrivent bien après dans ce classement.

Le CEO est donc aux avants-postes pour écouter, ressentir, anticiper… et traduire ensuite ceci dans sa propre communication. Dans l’enquête, les "clients" (74%) et les "collaborateurs" (56%) sont ainsi décrits comme ses interlocuteurs privilégiés. Sur ce chapitre, l’enquête souligne encore une modification des priorités, puisque les médias (31%) sont de plus en plus importants dans la communication du dirigeant et rivalisent désormais avec les actionnaires et les analystes financiers (36%).


Le profil-type : un quadragénaire, sportif et travaillant "9 jours sur 7"

Un patron plus jeune, est-ce si surprenant ? Sans prendre en compte les innombrables start-ups qui n'ont pas fait leurs preuves, la liste des succès remportés par des entrepreneurs de moins de trente ans est impressionnante : Michael Dell a créé Dell à 19 ans, Steve Case a fondé AOL à 27 ans, sans parler de Bill Gates qui a lancé Microsoft à 19 ans, en compagnie de Paul Allen, son aîné de trois ans… Les visionnaires de l'informatique américaine, aujourd’hui milliardaires, ont plus souvent trente que quarante ans. Cette tendance a donc gagné les autres secteurs d’activité, mais avec une certaine prudence (cf. figure 2). Si les dirigeants sont de plus en plus jeunes, le patron trentenaire reste encore un mythe en Belgique.
En tout cas, à l'heure de la réduction du temps de travail et de la civilisation des loisirs, ce jeune dirigeant ne montre pas l’exemple ! Il fait plutôt figure d’hyperactif, la moitié des dirigeants interrogés anticipant pour la prochaine génération un rythme moyen de 50 à 59 heures par semaine. 37% prédisent même un rythme effréné de plus de 60 heures.

Pour compenser ce surinvestissement professionnel, la grande majorité des CEO estime que leurs successeurs passeront plus d’un jour en famille ou à leurs activités de loisirs. Ils sont également 70% à penser à lever le pied pendant des vacances annuelles de trois semaines. Ces résultats semblent indiquer que les chefs d’entreprise recherchent l’équilibre entre leurs obligations professionnelles et leur vie privée.

Beaucoup d’entre eux confient trouver cet équilibre par la pratique du sport. Raisonnablement, entendons-nous. Nous ne les imaginons pas tous disposés à tenter le tour du monde en montgolfière, à l’instar de Richard Branson, le flamboyant patron du groupe Virgin… Sans verser dans l’extrême, faire du sport séduit une grande majorité de dirigeants, qui l’associent volontiers aux valeurs de leur entreprise. Les sports d’adresse (pêche, golf, chasse, etc.) et les sports d’endurance (cyclisme, course à pied, squash, etc.) recueillent ainsi majoritairement leurs suffrages. Les sports d’adrénaline (parachutisme, surf, sports automobiles, ski, équitation, voile, etc.) et les sports de contact (gymnastique, arts martiaux, etc.) restent peu prisés.

Un monde d’hommes…

Récemment, Carly Fiorina, CEO de HP et première femme à diriger une société du classement très sélectif Fortune 50, a déclaré que le fameux "plafond de verre" avait finalement éclaté (employant cette expression pour nommer cette frontière invisible qui empêche la gent féminine d’accéder aux plus hautes responsabilités).
Carly Fiorina est, sans nul doute, une pionnière dans le monde des affaires, et son parcours doit susciter autant l’admiration chez les femmes que chez les hommes. Mais elle reste une exception, tant ces barrières artificielles ne semblent pas volatilisées en Belgique, et freinent encore les ambitions de carrière des femmes.

Quand les auteurs ont adressé leurs questionnaires, ils ont d’ailleurs très souvent commencé leur lettre par "Cher Monsieur"… Pour 62% d’entre eux, ces messieurs reconnaissent d’ailleurs l’existence de telles barrières. Quant au démantèlement de ce "plafond de verre", l’heure est malheureusement encore à la fatalité : seulement 48% pensent que le nombre de femmes chefs d’entreprise va augmenter en Belgique (51% n’anticipent pas de bouleversement).


Méthodologie

L’enquête, conduite en collaboration par CSC, Top Management et SAS, a été menée par courrier et par téléphone durant les mois de septembre et d’octobre 2004. 110 dirigeants ont répondu à l’enquête, soit un panel représentant 59% des entreprises figurant parmi les 500 plus grandes entreprises belges. Les réponses couvrent l’ensemble des secteurs d’activité, avec une représentation notable de l’industrie (54% des répondants).


Grégory Cann, CSC

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