Mensuel : Edition de octobre 2010
Rubrique : Finance/Economie
Titre : SEPA Direct Debit, contrainte immédiate et opportunité à long terme
Article : Quelques années après l'introduction de l'euro fiduciaire (les pièces et billets), le SEPA (Single Euro Payement Area) étend l’harmonisation du marché au niveau scriptural. Le projet SEPA (SCT, SDD, SCF) qui a pour but de rendre homogènes les moyens de paiements européens, en vue de créer plus de dynamisme dans les transactions paneuropéennes, ouvre son deuxième volet, le Direct Debit.

Qu'est-ce que le prélèvement bancaire européen? Le projet remplacera à terme la domiciliation actuelle à l'échelle européenne. Le but est de créer un instrument paneuropéen permettant de débiter le compte d'une personne détenu auprès d'une banque de la zone SEPA, sur requête du créancier situé lui aussi dans la zone SEPA. Le prélèvement SDD permettra de traiter de la même façon des opérations de débit récurrentes ou ponctuelles, et ce sans limite de montant. La mise en place annoncée des flux SDD pour cette année, bien plus complexe à mettre en œuvre que la partie SCT du projet SEPA, cristallise les critiques et les réflexions de tous les acteurs concernés jusqu’ à mettre en doute les objectifs initiaux de SEPA.

Le SDD, contrainte ou opportunité?

1. Les impacts de la solution SEPA Direct Debit

SDD est extrêmement délicat car il touche plusieurs aspects:
- Organisationnel. Le défi consiste à harmoniser le paiement sans nuire à la souplesse et aux besoins des parties ;
- Informatique. SEPA cherche à éliminer les différences nationales des technologies de l’information en créant une norme technologique européenne et une interopérabilité ;
- Juridique. La variété des régimes juridiques dans les pays concernés par le peut rendre difficile le déploiement SEPA ;
- Financier. Les "business model" au travers la fin souhaitée de la commission multilatérale d'interchange et la concurrence européenne sont remis en cause.

SDD s’inscrit dans le cadre de schémas définis au préalable sous la conduite de l’EPC:
- Le "SDD core" permet aux entreprises créditrices et leurs banques de déclencher directement les prélèvements via les banques des débiteurs ;
- Le "SDD core Fixe Amount" permet les prélèvements sur les montants fixes (montant fixe définit dans le mandat et pas de remboursement possible) ;
- Le "SDD B to B" permet de gérer les prélèvements entre les entreprises créditrices et leurs banques et les entreprises débitrices et leurs banques (validation des mandats entre les deux parties et pas de remboursement possible).

Dans le système de prélèvement SEPA, le débiteur autorise la collecte des paiements en faveur du créancier par l'intermédiaire de sa banque et par le biais d'un mandat signé, en général un formulaire papier. La banque débite le compte du débiteur à la demande de la banque du bénéficiaire, sans notification préalable ou l'approbation par le débiteur. Pour limiter la fraude et tous différends, l'EPC a défini un cadre SDD option e-mandat qui exige une pré autorisation de paiement par le débiteur.

SDD demande des investissements et des adaptations techniques conséquentes:
- Messages ISO standard développés pour compléter le soutien des opérations de débit direct dans l'espace des sociétés et dans l'espace interbancaire ;
- Nouveau format d'échange d’information: la norme ISO 20022 / UNIFI, le format XML ;
- Nouvelle référence, comprenant 140 caractères modifiant la structure et le dimensionnement des bases de données ;
- Nouvelle norme ISO 9362 BIC (pour Bank Identifier Code) et ISO 13616 IBAN (International Bank Account Number), respectivement conçues pour l'identification de la banque et du compte bancaire ;
- Coordonnées bancaires au format BIC/IBAN, de numéro de comptes bancaires locaux vers les formats IBAN nationaux et les codes BIC correspondant aux routages bancaires.

SEPA donne aussi la possibilité de prendre un avantage concurrentiel grâce aux services additionnels optionnels (AOS):
- Développement d'autres services sur leurs canaux électroniques: (afficher, confirmer ou rejeter les ordres en cours) ;
- Offre de services supplémentaires en vérifiant l'existence et la validité du mandat avant de transmettre les ordres aux banques débitrices ;
- Dématérialisation des mandats et renforcement de la sécurité grâce à l'utilisation des canaux électroniques.

2. Des chantiers complexes pour les banques

La mise en place "technique" du SEPA exige une refonte de l’ensemble des chaînes de transactions et d’échanges interbancaires. Le choix du protocole permettant les virements SEPA reste primordial pour le passage au SDD (EBICS, SwiftNet, e-banking). La Banque doit en outre analyser les impacts de cette implantation, établir la cartographie des comptes (les comptes de paiements externes, les comptes de trésorerie…) et communiquer avec les tiers sur la répercussion du virement SEPA.

La mise en place du e-mandat pose la question de la validité transfrontalière de l’e-mandat.
- Comment s'assurer de la validité juridique des mandats électroniques transfrontaliers? Le cadre ne précise pas les conditions requises pour la dématérialisation et le stockage des mandats, et les messages pré notification.
- Est-il nécessaire pour les plates-formes interopérables d’avoir des normes de sécurité commune?
- Comment gérer la co-existence de mandats nouveaux et existants?

La refonte et la mise aux normes techniques comportent de nombreuses conséquences opérationnelles qui nécessitent une mise à jour des conventions de compte, une modification des relevés d’identité bancaire (mise à jour des coordonnées bancaires des fournisseurs et des salariés) et expliquer les modalités des nouveaux prélèvements automatiques (Adaptation des processus de prélèvement sur les clients abonnés).

Pour le cas du SDD Core:
- il y aura désormais 8 semaines de contestation d’une opération, si l’e-mandat est conforme, mais que le problème porte sur le montant du prélèvement ;
-ce délai peut être ramené à 13 mois, s’il y a erreur sur la matière même de l’e-mandat, ou fraude de l’opération (pour un consommateur par exemple).

3. Comment expliquer le manque d’engouement des principaux acteurs pour le projet SEPA SDD?

La résistance des banques provient à la fois des coûts engendrés mais aussi des pertes de revenus potentiels. Les banques craignent la concurrence accrue, la convergence des prix et la suppression de la commission d’interchange. Les entreprises créditrices voient de leur point une responsabilité dans la gestion du mandat et surtout peu de bénéfices financiers à court terme. A ceci s’ ajoute une opération fastidieuse de conversion des anciens mandats vers les mandats SDD.

Si nous prenons le cas d’une entreprise de service, serait-ce aux entreprises de préconiser aux particuliers les changements BIC-IBAN, aux banques de le faire, aux particuliers de prendre connaissance de ce nouveau format? Les impacts sur la trésorerie des entreprises sont réels si l’on considère le droit du débiteur de contester plus facilement les paiements. Le concept de "trésorerie zéro" qui est appliquée par les grands groupes obligera à prévoir un excès de liquidité sur les comptes bancaires ou d’augmenter les volumes des encours bancaires (avantages pour les banques).

D’autres points critiques reviennent souvent:
- Gouvernance de SEPA. SEPA ne peut atteindre ses objectifs si les utilisateurs ne sont pas pleinement impliqués dans sa construction. Il est nécessaire de faire remonter les besoins des utilisateurs selon les mêmes canaux que ceux utilisés par les Banques ;
- Mandats. La migration vers les nouveaux mandats ne doit pas entraîner de surcoûts. Il est nécessaire de statuer sur les aspects légaux de la migration des mandats (acceptance automatique, uniquement pour les nouveaux contrats, possibilité de retour en arrière...) ;
- Date de fin de migration. Aucune décision de migration ne devrait être prise sur SEPA sans l'accord de toutes les parties concernées et le règlement de tous les points en suspens ;
- Tarification. Une étude complète sur la structure des coûts du SDD est nécessaire ;
- Structure du prélèvement SEPA. Les guides d’implémentation SDD doivent être complétés en prenant en comptes les besoins des utilisateurs et en intégrant des contrôles de sécurité dans le processus.

Les consommateurs craignent davantage une dégradation des services offerts par les banques et une augmentation des coûts.

- Les risques de fraudes. Désormais c’est le créancier qui déclenchera le prélèvement vers le compte du débiteur. En d’autres termes, si quelqu’un détient les coordonnées exactes de compte bancaire, il pourra déclencher le prélèvement (en falsifiant un e-mandat, et la signature du "débiteur"), à charge pour le débiteur de contester ce prélèvement ;
- Le risque d’augmentation des autres services bancaires. Le SDD a pour but de faire baisser les frais bancaires liés aux prélèvements bancaires. La situation des banques européennes est encore fragile. Des frais qui baissent de manière importante, pourraient cacher l’apparition de nouveaux frais, soit sur des nouveaux services bancaires, soit sur les services existants ;
- Le risque de non respect des délais conseillés par la commission européenne, sur le déploiement du SEPA devrait prendre fin en 2012. Plusieurs entreprises (toute taille confondue) n’ont pas encore commencé à migrer vers le premier volet: le SCT!

4. Des incertitudes sur le calendrier et le rôle de la Commission

Au-delà des incertitudes réglementaires, l’abandon total des moyens de paiement nationaux dès 2010 semble peu envisageable, vu l’ampleur des chantiers à mener. C'est pourquoi la Commission européenne a lancé une consultation sur l'opportunité et la façon de fixer une date limite de migration pour envoyer un signal fort à toutes les parties prenantes. Il apporterait de la certitude et la prévisibilité et une forte incitation pour l'industrie et les utilisateurs à accélérer la migration.

Le document de consultation présente toutes les options disponibles aujourd'hui au sujet de la définition d'une telle date de fin et de ses pratiques possibles:
- Faut-il couvrir seulement les normes, ou des systèmes aussi?
-Faut-il couvrir seulement l'espace interbancaire, la banque ou à l'espace client?
- Faut-il entraîner une migration totale ou permettre l'exclusion de certains produits?
-Si une date de fin est considérée comme nécessaire, devrait-il fixer une même date pour SCT (virements) et SDD (prélèvements) de migration ou deux dates séparées?
- Faut-il être fixé au niveau national et / ou au niveau européen?
- Faut-il être laissé à l'autorégulation ou fixé par la réglementation?
Pour beaucoup, les décideurs devraient cesser de pousser les fournisseurs de paiements dans les dépenses inutiles et se concentrer plutôt sur d'autres initiatives comme le E-payment. La discussion autour du périmètre et du planning de la migration contribue aux incertitudes.

5. Quels axes de réflexion pour faire du SDD une opportunité

SEPA entraînera la reconfiguration globale du marché des paiements. La concurrence d’établissements étrangers ou non bancaires (opérateurs de téléphonie, grande distribution…), la remise en question des commissions interbancaires, vont imposer une refonte des modèles économiques et une réactivité accrue des processus métiers, dans une activité jusqu’à présent assez abritée. Il est donc à prévoir que les stratégies de ciblage, de tarification et de fidélisation soient largement impactées. Quelques initiatives sont à prendre pour profiter des opportunités du SDD?

E-invoicing peut permettre une meilleure gestion du mandat. Un service de facturation électronique couplé à un transfert de crédit peut remplacer un débit direct. Si une banque offre des services en ligne, comme la réception de la facture dans son environnement e-banking, on pourrait utiliser les "ordres permanents" pour payer automatiquement toutes les factures reçues par un créancier.

Les grilles tarifaires et le packaging. La péréquation tarifaire permet aux consommateurs de jouir de certains produits d’appel à un prix très attractif. Mais elle entraîne de fortes dépendances tarifaires entre produits pour les banques et il leur est devenu difficile de faire évoluer le prix de certains produits sans revoir l’ensemble du modèle. Faire évoluer l’offre actuelle vers une offre plus personnalisée permettrait aux banques de dégager des revenus supplémentaires.

Le Hub paiement ou les usines à paiement. L’usine à paiement permet une évidente interopérabilité avec les systèmes d’information existants et la mise en place de processus clairs. La réduction des coûts passe par l’orchestration et la flexibilisation des processus au travers d’usine holistique capable de supporter un modèle global de tous les paiements, le reporting et plusieurs niveaux de services. Quelques grandes institutions financières comme Citi ou la Deutsche Bank se place sur ce créneau.

Le modèle économique du SDD. Trois pistes sont actuellement à l’étude. La première consiste à généraliser les accords bilatéraux pour fixer le prix de la rémunération du service rendu par la banque du débité à la banque du créancier lors d’une transaction par prélèvement. Une deuxième piste, plus simple à mettre en œuvre, consisterait à facturer directement le service de prélèvement au consommateur final, à charge pour lui de se faire accorder une réduction de tarif. Une dernière piste pour le modèle économique du prélèvement SEPA consisterait à englober directement les coûts des prélèvements dans d’autres services. Cette solution irait à l’encontre de l’objectif de transparence sur le coût des services prôné par la Commission européenne.

Conclusion

La majorité des banques européennes ont suivi une stratégie d'investissement minimum pour assurer la conformité au SEPA de base. Les avantages de la mise en œuvre ultérieure du SEPA demandent des investissements prohibitifs. Les banques européennes doivent-elles poursuivre des investissements massifs dans des projets SEPA ou plutôt reconsidérer la place des paiements dans leur modèle?


Romuald Poos
Manager
Financial Services Industry
Ineum Consulting

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