Mensuel : Edition de avril 2010
Rubrique : Finance/Economie
Titre : Considérations sur les hedge funds UCITS
Article : Tandis que la nouvelle directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers), visant à introduire en Europe un cadre réglementaire harmonisé pour les fonds non UCITS, prend du temps à être finalisée, les acteurs de la gestion alternative reprennent en main leur développement en transformant certains de leurs fonds offshore en fonds UCITS III(1).

Dans ce cadre, il nous a semblé intéressant de revenir sur ce sujet à travers la très récente étude de l’Edhec(2), suite à l’enquête très large et significative qu’elle a réalisée auprès d’institutionnels actifs dans ce domaine.

Alors que la structuration de hedge funds en UCITS devient une tendance de plus en plus commune, cette étude tente de répondre à 4 questions principales:
- Est-il approprié de suivre une stratégie UCITS?
- Est-ce que la transformation des stratégies alternatives en UCITS ne risque pas d’altérer ces stratégies et leurs performances?
- Le cadre UCITS est-il réellement approprié, ou profite-t-on d’une faiblesse dans la règlementation?
- Quelles sont les conséquences opérationnelles de ce reconditionnement?

Le contexte général qui entoure ce sujet est l’incertitude concernant la directive AIFM qui, même validée, ne prévoit pas de règlementation claire pour une distribution efficace de ces fonds, telle qu’elle existe pour les OPCVM (passeport européen). Et même si la Directive autorise un marketing actif pour les fonds d’investissements alternatifs, elle ne garantit pas que les investisseurs institutionnels auxquels elle s’adresse puissent y investir. En effet, cet aspect, particulièrement vrai pour les compagnies d’assurance, reste du ressort des autorités de régulation domestiques.

De plus, des considérations relatives au coût du capital (Solvency II) et à la fiscalité (au Royaume-Uni, les plus-values des fonds de hedge funds sont taxées comme revenus et non comme gains en capital) pénalisent les fonds non UCITS par rapport à la structure UCITS. Enfin, l’affaire Madoff et la faillite de Lehman ont rendu les investisseurs institutionnels beaucoup plus prudents vis-à-vis des risques opérationnels, ce qui accentue leur préférence pour des structures UCITS, susceptibles de leur offrir une meilleure protection. Aussi, alors qu’une grande majorité des promoteurs de fonds (au sens large) rapportent qu’il est difficile de promouvoir et distribuer leurs propres fonds alternatifs en Europe, ils soutiennent que le cadre UCITS facilite la distribution de fonds, mais aussi de hedge funds. De plus, cette norme est un label internationalement reconnu: 40% d’entre eux sont distribués en dehors de l’Europe.

Tous ces éléments suggèrent un développement important des hedge funds UCITS, provenant tant de l’offre que de la demande. Ainsi, les incertitudes qui pèsent sur la Directive AIFM, censée réglementer les fonds non coordonnés, poussent paradoxalement les promoteurs à structurer leurs fonds en UCITS. En outre, la crise a eu un impact majeur sur les préférences des investisseurs pour des fonds onshore et régulés, supposés leur apporter une meilleure protection.

S’il ne fait plus de doute sur les ambitions des intervenants de développer ce marché, nous devons néanmoins examiner en synthèse les contraintes auxquelles les gestionnaires devront faire face pour transformer leurs hedge funds en OPCVM sophistiqués:
- Effet de levier: celui-ci pourra être appréhendé par la value-at-risk (VaR absolue ou VaR relative) qui ne pourra pas dépasser un certain niveau ;
- Actifs éligibles: en résumé, les UCITS doivent investir dans des actifs financiers liquides, dont la liste fait régulièrement l’objet d’adaptations ;
- Contraintes de liquidité: en pratique et généralement, les UCITS doivent être capables de valoriser leurs parts au moins deux fois par mois ;
- Restrictions quantitatives: sont établies pour atteindre les objectifs de diversification et de contrôle des risques:
o le risque de concentration se traduit par les limites suivantes 5%-10%/20%/40%,
o le risque de contrepartie est limité à 10% (hors risque étatique),
o pas de vente short, et emprunt limité à 10% de la valeur liquidative,
o un ratio de 10% (communément appelé "ratio poubelle") autorise les fonds à investir dans d’autres actifs, même non régulés.
- Reporting: ils doivent publier des rapports annuels et rapports financiers audités.

Au niveau des différentes stratégies, la plupart des participants à l’enquête pensent que les long short equity sont plus enclines à être structurées en UCITS que d’autres stratégies, alors que celles qui sont les moins adaptées sont les relative value et les event driven, en raison du fait qu’elles pourraient plus difficilement satisfaire aux contraintes de diversification et de liquidité. Quant aux fonds de hedge funds, il semble qu’ils opteraient plus pour une domiciliation européenne (Luxembourg-Dublin) que pour une adaptation au cadre UCITS, dans lequel ils n’auraient d’autre choix que de construire leur fonds à partir d’une offre plus limitée de hedge funds obligatoirement UCITS.

Une autre conclusion est que beaucoup pensent que l’adaptation des hedge funds en UCITS va altérer les stratégies et diminuer les performances. Les raisons proviennent moins d’un effet de levier désormais contenu (les tests d’exigences de VaR sont généralement rencontrés) que de la disparition de la prime de liquidité et des coûts engendrés par l’implémentation (et le suivi) des stratégies au moyen de produits dérivés (swaps, CFDs, CDS, …) afin de pouvoir respecter les contraintes légales. Cette distorsion inévitable entre le hedge fund UCITS et son modèle originel, source de tracking error, serait acceptée par les investisseurs européens en raison des exigences réglementaires auxquelles ils sont astreints, mais pourrait être rejetée par les investisseurs non-européens qui – non contraints – préféreraient généralement des fonds moins chargés et plus performants, fussent-ils offshore.

Toujours est-il que la plupart des répondants pensent que les investisseurs institutionnels devraient avoir accès aux stratégies alternatives sans être obligés de passer par un coûteux cadre UCITS. Ils sont même 97% à penser que le cadre UCITS ne devrait pas nécessairement donner accès aux stratégies alternatives! Une grande majorité soutient également que les hedge funds UCITS ne sont simplement pas adaptés aux investisseurs particuliers, dès lors qu’ils sont exposés à des risques spécifiques qu’ils pourraient plus difficilement appréhender. Au niveau des risques opérationnels, alors qu’une majorité pense que la définition et le rôle du dépositaire sont appropriés, il apparaît une contradiction totale par rapport à l’avis des dépositaires et conservateurs eux-mêmes qui considèrent que leurs rôles et responsabilités ne sont pas définis de manière adéquate. Cette déconnexion semble indiquer les problèmes qu’ils rencontrent, et qui sont accentués quand des hedge funds souhaitent être structurés en UCITS: responsabilités, obligations de due diligence, processus de valorisation et coûts. Le manque d’harmonisation au niveau européen des règles de responsabilités est très pénalisant à ce niveau.

Dans l’ensemble, les résultats de l’enquête montrent que les gestionnaires et promoteurs voient dans ce processus une opportunité de croissance et de développement après une période difficile au cours de laquelle leur existence même était mise en cause. Les investisseurs institutionnels quant à eux, ont pris grandement conscience, suite à la crise récente, de l’importance des risques opérationnels. Plutôt que d’assumer ces risques eux-mêmes via des processus coûteux, et de continuer à investir dans des hedge funds offshore traditionnels, ils montrent une grande appétence vis-à-vis des stratégies alternatives reconditionnées pour faire face aux contraintes réglementaires européennes, même si cela doit se faire au prix de performances moindres.

Les particuliers enfin, "sécurisés" par un environnement réglementaire connu, pourraient être attirés par ce type de produits auquel ils n’avaient pas particulièrement accès jusqu’alors, et qui pourrait ne pas correspondre totalement à leur profil de risque. Le rôle du distributeur et du conseiller sera à cet égard d’une importance considérable.

En conclusion, l’utilisation de véhicules UCITS pour distribuer des hedge funds provient principalement d’une régulation inadaptée et d’un manque d’harmonisation au niveau européen. En s’engouffrant dans cette brèche, les intervenants ont répondu à leur façon aux incertitudes liées à une Directive AIFM qui tarde à venir.


Philippe Debatty, CAIA
Managing Director
Alternative Advisers S.A.
pdebatty@alternativeadvisers.com

1) Des hedge funds dans un cadre UCITS III – Agefi Luxembourg – Novembre 2009 (www.agefi.lu, rubrique “Le Mensuel”)
2) Are hedge funds UCITS the cure-all? – Edhec-Risk Institute – March 2010. Cette étude est disponible sur le site www.edhec-risk.com ou sur simple demande.

Retour début de page