Mensuel : Edition de mai 2009
Rubrique : Finance/Economie
Titre : La finance islamique sous le feu des projecteurs
Article : La crise financière actuelle a bouleversé l’ordre financier au niveau mondial. Les impacts sur l’économie réelle seront importants. Utilisant des critères très rigoureux d’investissement, la finance islamique est désormais sous le feu des projecteurs et apparaît comme une alternative car elle n’a pas subi la charge de la crise du crédit internationale et continue d’enregistrer, et cela depuis 30 ans, une croissance annuelle de 15% à 20%(1).

De façon plus globale, les investissements conformes à la loi islamique ‘Charia’ peuvent être considérés comme faisant partie de l’investissement ‘socialement responsable’. Les investisseurs choisissant ce type de placement ont un double objectif: faire fructifier leur épargne bien évidemment, mais également investir leur argent dans les entreprises identifiées comme exemplaires selon des critères sociaux et/ou moraux. Si elle n’est pas réglementée par des critères et références fixes, trois principes sous-tendent la finance islamique ; le Riba, on ne peut inclure de rémunération basée sur un taux d’intérêt, l’idée d’une rémunération fixe déconnectée de la rentabilité de l’actif financé est exclue par principe; le Haram: ou "interdit", désigne les investissements proscrits dans des activités non conformes aux principes du Coran (alcool, tabac, élevage porcin, jeux de hasard, pornographie…) et le Gharar / Massir, la spéculation abusive et le hasard sont bannis interdisant ainsi les systèmes de vente à découvert, options, swaps…

Au départ d'une niche spécialisée, la finance islamique a connu une croissance exceptionnelle et rapide pour devenir une industrie mondiale portant sur plusieurs centaines de milliards de dollars. Alors que la finance mondiale recherche de nouveaux équilibres, ce marché devrait même atteindre 13.000 milliards de dollars d’épargne à l’horizon 2020(2). L’essor des fonds a incité les plus grands indices boursiers tels que le FTSE et le Dow Jones à développer des indices islamiques, qui suivent un panier d'entreprises respectant la Charia. Ainsi, pour servir de repères aux investissements des institutions financières islamiques, le Dow Jones Islamic Market Indew (DJIMI) et le Global Islamic Index Series (GIIS) ont été lancés dès 1999, suivis en 2007 par le SP500 Charia. De plus, certaines banques dites conventionnelles telles que Deutsche Bank, Citigroup, HSBC ou Fortis, n’ont pas tardé à réagir, et ont lancé leurs propres filiales ou instruments financiers islamiques.

Les principaux produits islamiques représentent une alternative intéressante à ceux des banques traditionnelles en période de crise, du fait qu’ils soient basés sur des principes de partage du risque (Moudaraba) et d’association (Musharaka). En particulier, les produits obligataires islamiques, représentés par les Sukuks sont en forte progression ces dernières années. Ils sont à la finance islamique ce que les Asset Backed Securities (ABS) sont à la finance conventionnelle. Ils ont une échéance fixée d'avance et sont adossés à un actif permettant de rémunérer le placement en contournant le principe de l'intérêt(3).

GRAPHIQUE VOIR JOURNAL

Sur le marché Européen, le Grand Duché s’est positionné en précurseur en étant la première place européenne en 2002 à accueillir des produits respectant les principes de la Charia. Aujourd’hui, 14 Sukuks d’une valeur combinée de plus de 5,5 milliards de dollars ont été émis et listés par la Bourse de Luxembourg. On compte sur le territoire Luxembourgeois 31 fonds d’investissements respectant la loi islamique et de grands noms de la place n’hésitent pas à lancer des procédures d’accréditation délivrées par la CSSF(4). Dédiés à l’origine à l’immobilier, ces fonds ont progressivement diversifié leurs portefeuilles d’investissements mais restent principalement des acteurs en Private Equity.

Afin de continuer leur développement, les fournisseurs de services islamiques doivent faire face aux multiples défis internes et externes suivants:
- Des produits chers et encore peu connus des consommateurs, la conformité à la Charia apparaissant comme un niveau de complexité supplémentaire sur un sujet que les consommateurs trouvent déjà redoutable.
- Un manque de liquidités pour certains produits, particulièrement sur le marché des Sukuks, où les investisseurs peuvent se retrouver bloqués pour l'exploitation de leurs actifs, en raison du peu de liquidité du marché secondaire.
- Une complexité inhérente élevée, étant donné la difficulté d’échange de swaps de couverture et d’exécuter des transactions dans un environnement compatible avec la Charia.
- De nombreux défis réglementaires non seulement autour de la conformité avec Bâle II, mais aussi par rapport aux exigences de capital prévues par chaque commission et conseil propre à chaque pays.
- Il reste enfin de nombreuses questions internes y compris le manque de personnel, ou la prise en compte des différentes interprétations de la Charia dans les processus opérationnels et les systèmes informatiques.

Grace à son cadre légal et fiscal, le Luxembourg a su réduire la complexité des structurations requises et le potentiel est important pour les administrateurs de fonds, les banques privées et gestionnaires de fortune. Le défi actuel n’est pas tant dans la commercialisation des produits de finance islamique à une plus large clientèle que dans l’appréhension des modalités et conditions des arrangements financiers islamiques pour les traduire en contrats, locaux, légaux et conventionnels. Accenture a déjà initié divers partenariats avec divers éditeurs de solutions bancaires intégrées dédiées à la finance islamique et nous collaborons très fortement avec nos filiales Asiatiques sur des projets d’adaptation de solutions bancaires existantes aux principes de l’investissement "islamique". L’investissement dans la finance islamique est l’une des 80 idées concrètes contenues dans le Sustainability Financial Services Framework d’Accenture. L’utilisation de cet outil pragmatique permet d’améliorer et de quantifier la performance d’une entreprise sur les 4 axes majeurs que sont l’augmentation des revenus, la réduction des coûts opérationnels, la protection de l’image ainsi que la gestion des risques financiers, opérationnels et réglementaires.

Favorisé par ses principes fondamentaux de partage des pertes et des profits, ainsi que par la nécessité de respecter un investissement scrupuleusement choisi et validé au regard de la Charia, malgré les nombreux défis présentés, la finance islamique, réputée plus éthique et plus solidaire, pourrait profiter de la crise de confiance des investisseurs dans le système financier conventionnel. A l'heure actuelle, le volume des transactions reste relativement faible du fait d'une certaine pénurie de l'offre. La montée au créneau des grandes banques d'investissement et des gestionnaires d'actifs ayant fait l'annonce du lancement de fonds ‘Charia compliant’ et la multiplication de nos projets en Asie du Sud Est et au Moyen Orient nous laisse penser que le volume des transactions de la prochaine décennie atteigne des niveaux record. Et les acteurs à Luxembourg devraient poursuivre leurs efforts pour gagner des parts de ce marché.

Mhamed Zlitni, Manager Accenture Luxembourg

Pour plus d’information sur nos services ou pour recevoir une copie du Whitepaper "Islamic Finance: From niche to mainstream" veuillez contacter Mhamed Zlitni, Manager Accenture Luxembourg (mhamed.zlitni@accenture.com)

1) Sources: The Banker magazine, November 2007, Emirates Business Research et Accenture Research analysis, May 2008
2) Sources: Standard Chartered minimum estimate, 2008, Banker magazine, November 2007 et Accenture Research analysis, May 2008
3) Définition: http://www.vernimmen.net/html/glossaire/definition_ sukuk.html
4) Source: ALFI

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