Mensuel : Edition de avril 2009
Rubrique : Finance/Economie
Titre : Perte de confiance
Article : La résolution de la crise actuelle semble lointaine. Les risques économiques sont en hausse, plutôt qu’en phase de stabilisation ou en baisse. Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que plus le temps passe, plus on a l’impression que les gouvernements ne semblent pas maîtriser la situation. Cette perte de confiance dans la capacité des gouvernements à nous sortir de cette crise constitue un problème sérieux, compte tenu du fait que, comme l’écrit le conseiller économique David M. Smick dans son nouveau livre, "La survie du système financier mondial dépend d’un jeu de confiance élaboré. La taille des marchés financiers par rapport aux États est devenue si monstrueusement gigantesque que la seule façon de maintenir la stabilité est d’établir une psychologie de la confiance. Les gouvernements ne sont pas en mesure de rétablir l’ordre par décret. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de faire passer aux marchés l’idée qu’ils savent ce qu’ils font".(1)

Le principal reproche que l’on puisse adresser aux gouvernements quant aux mesures qu’ils prennent pour faire face à la crise, c’est qu’ils sont disposés à risquer d'énormes problèmes à long terme pour éviter de faire face aux problèmes qui se posent dans l’immédiat. Évidemment, il est indéniable que l’économie mondiale est dans une récession profonde. Cette récession est cependant la conséquence des mauvaises décisions économiques prises au cours des 10 dernières années. Il n’existe tout simplement pas de sortie facile pour cette crise. Il peut être tentant, sur le plan politique, de prétendre qu’il serait possible d’éviter de payer pour les erreurs du passé ou de repousser les décisions qui s’imposent, mais ce n’est pas une solution. Résoudre les problèmes issus d'un endettement trop élevé dans le secteur privé en créant un endettement élevé dans le secteur public ne semble pas une bonne idée. Cela ne signifie pas que les gouvernements doivent se croiser les bras. Il semble acquis que la récession actuelle est la pire de l’après-guerre. Elle va mettre à mal beaucoup de gens, dont la plupart ne sont absolument pas responsables de cette crise.

La grande ironie de la situation actuelle, c’est que les gens qui ont fait preuve de prudence semblent être autant touchés par la crise que ceux qui ont fait preuve d’irresponsabilité. Le fait que certaines décisions stratégiques actuelles visent à protéger les gens irresponsables des conséquences de leurs actions pose également un dilemme moral. La volonté d’adopter toutes sortes de plans de sauvetage, qui se développe actuellement, risque de miner le sens des responsabilités de chacun. Paul Volcker, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, qui est actuellement membre de l’équipe de conseillers économiques du président Obama, a récemment déclaré dans un discours: "La récession actuelle n’est pas ordinaire. Il est beaucoup plus difficile de sortir de cette récession et elle a secoué les fondements de nos établissements financiers. Le système est cassé." Les politiques économiques des gouvernements ne devraient donc pas se focaliser sur un rétablissement rapide du modèle économique des 25 dernières années. Ce modèle était fondé sur une croissance mondiale tirée par l’économie américaine, laquelle était tirée par les consommateurs américains, lesquels vivaient au-dessus de leurs moyens, la hausse des prix des logements et des actifs ayant justifié une réduction de l’épargne. Ce modèle n’est plus viable.

Les récentes décisions politiques visant à perpétuer la consommation excessive dans certains pays ne constituent pas une bonne solution pour rééquilibrer l’économie mondiale. Les politiques économiques devraient plutôt viser à promouvoir les changements structurels nécessaires pour jeter les bases solides de la prospérité future. C'est plus facile à dire qu’à faire, particulièrement du fait qu’à court terme les gouvernements doivent contenir la crise et venir en aide à ses victimes innocentes. Bien que tout le monde s’entende par exemple sur le fait qu’une augmentation du taux d’épargne aux États-Unis serait souhaitable à long terme, tout le monde s’entend aussi pour dire qu’à court terme, une augmentation trop rapide serait catastrophique en raison de la réduction de la consommation et de la croissance économique qui s’ensuivrait. Les économistes appellent ce phénomène le "paradoxe de l’épargne" (ce qui est bon pour une personne n’est pas nécessairement bon pour l’ensemble de l’économie, du moins à court terme), et, dans la logique keynésienne, ce paradoxe sert d’argument en faveur d’une augmentation des dépenses de l’État dans le but de compenser la faiblesse du secteur privé.

Le débat économique actuel est cependant devenu, dans une large mesure, dogmatique. On retrouve d’un côté les partisans de l’école keynésienne, qui soutiennent l’adoption de programmes de dépenses publiques pour "relancer" l’économie, et de l’autre les partisans de l’école autrichienne, qui soutiennent qu’il faut "ne rien faire", et ce, afin de purger les excès des dernières années. Ces deux vues des choses sont extrêmement simplistes (et ne font honneur ni à Keynes ni à l'école autrichienne). Bien qu’une augmentation des dépenses publiques puisse être justifiée dans le contexte actuel, l’histoire nous enseigne que les gouvernements ont rarement résolu avec succès les problèmes économiques. Les défis auxquels ils font face à l’heure actuelle sont nombreux:
- le concept de croissance lui-même doit être repensé. L’appétit vorace de croissance, que ce soit en termes macroéconomiques (croissance du PIB) ou en termes microéconomiques (augmentation des profits) est au cœur des problèmes actuels. Le modèle de croissance des dernières décennies semble dorénavant insoutenable, tant sur le plan économique que sur le plan écologique. Malgré tout, la plupart des solutions mises en avant par les gouvernements semblent viser à perpétuer ce modèle, sans égard pour les conséquences à long terme ;
- plus particulièrement, les autorités publiques semblent croire que la solution aux problèmes économiques réside dans l’accroissement du crédit offert par les banques, sans égard pour la qualité du crédit, et dans celui de la consommation, sans égard pour les niveaux d’endettement élevés. Elles retardent ainsi le désendettement tant du secteur financier que du secteur de la consommation, lequel est nécessaire pour rétablir l’économie ;
- dans une économie mondialisée, les politiques économiques doivent, par définition, être coordonnées. Bien que cela soit tentant pour ceux qui ne connaissent rien aux sciences économiques ou qui sont prêts à se livrer au populisme, l’abandon du libre échange et l’imposition de mesures protectionnistes ne constituent pas des solutions viables à la crise économique. Comme le vieil adage le déclare, "quand les marchandises ne traversent pas les frontières, les armées le font". Le libre échange est encore plus important aujourd’hui, l’un des principaux défis de l’économie mondiale étant de se préparer au remplacement des États-Unis par l’Asie comme consommateur de dernier ressort ;
- les dépenses de l’État ont un prix. Les emprunts contractés actuellement par les gouvernements pour financer les divers plans de sauvetage, le système financier et les programmes de stimulation économique (et pour compenser la perte de recettes fiscales) vont créer un fardeau durable pour les générations futures ;
- le problème à long terme constitué par les déficits budgétaires importants sera moins sérieux si les fonds sont investis dans des projets d’infrastructures créant une valeur à long terme que s’ils sont engloutis en vue de stimuler la consommation. En Allemagne, les subventions offertes aux consommateurs pour remplacer leur voiture ont peut-être provoqué une hausse provisoire des achats de voitures, mais l’impact du programme sur la croissance économique sera minime et de courte durée. Dépenser l’argent des contribuables pour essayer de corriger une situation qui ne peut être corrigée ne constitue pas une politique économique saine ;
- les ressources de l’État ne sont pas inépuisables. Si les gouvernements vont trop loin dans leurs tentatives pour sauver les entreprises et l’économie, ils risquent de devenir eux-mêmes insolvables. Cette perspective est très inquiétante, compte tenu des sommes faramineuses que les gouvernements ont déjà engagées pour prévenir l’effondrement du système financier. Le problème est particulièrement grave en Europe où, selon la plupart des économistes, le risque de faillites nationales n’a jamais été aussi élevé depuis la Grande Dépression. Ce qui rend la situation si périlleuse en Europe, c’est la taille du système bancaire par rapport au PIB, et aussi le fait que les banques sont aux prises non seulement avec les mêmes problèmes que les banques américaines, mais également avec leur exposition massive à l’Europe de l’Est ;
- compte tenu des points ci-dessus, il est particulièrement important d’énoncer clairement les objectifs économiques recherchés, mais aussi les mesures incitatives mises en avant pour atteindre ces objectifs. La science économique repose essentiellement sur des mesures incitatives, et le système fiscal constitue la meilleure structure incitative que les gouvernements aient à leur disposition ;
- dans son livre publié en 1942, intitulé "Capitalisme, socialisme et démocratie", l’économiste autrichien Joseph Schumpeter a écrit que le "processus de destruction créatrice est le fait essentiel du capitalisme". La destruction créatrice est un concept économique puissant, l’idée étant, en substance, que des sursauts d’innovation détruisent des entreprises établies et donnent naissance à de nouvelles. Parmi les exemples illustrant ce concept, on peut penser à des sociétés telles que Polaroid, ou à des produits tels que les cassettes audio et les macroordinateurs. Il est évident que la destruction créatrice met à mal les ouvriers des sociétés/secteurs obsolètes, et la tendance normale consiste à résister au changement. L’histoire montre cependant que le soutien artificiel, au moyen de fonds publics, de sociétés qui ne sont plus concurrentielles est voué à l’échec et qu’il serait mieux d’utiliser cet argent pour aider les ouvriers de ces sociétés. Le concept de destruction créatrice nous vient à l’esprit en observant le secteur automobile américain ou, de manière plus générale, en réalisant que la surproduction constitue actuellement l’un des principaux problèmes de l’économie mondiale. Le fait d’empêcher la disparition nécessaire ou la contraction de certaines entreprises empêche la réaffectation des ressources et le processus d’innovation qui ouvrent la voie à la prospérité future;
- avant de penser à relancer l'économie, les autorités devraient concentrer leurs efforts sur le rétablissement de la santé du secteur financier. Dépenser des sommes énormes dans des programmes de conjoncture risque de s'avérer futile tant que le secteur financier restera malade.

La réalité actuelle est que personne ne peut prédire la durée de cette crise et que personne ne sait comment l’inverser. Jusqu’à ce que la confiance soit rétablie, il sera difficile pour les marchés actions d’atteindre un plancher durable. Les marchés boursiers ont déjà fortement souffert et un certain nombre de sociétés de qualité se traitent à un niveau de valorisation attrayant. Une reprise temporaire des cours est possible à tout moment. A moins de voir l'économie mondiale se stabiliser, une telle reprise risque toutefois de ne pas être durable.

Guy Wagner, Banque de Luxembourg, http://www.guywagnerblog.com

David M. Smick, The World is Curved (Penguin Group)

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