Mensuel : Edition de janvier 2009
Rubrique : Finance/Economie
Titre : Le bois, le nouvel or vert
Article : La demande en faveur des produits et services liés au bois évolue en étroite corrélation avec la croissance de la population du globe et le phénomène de la mondialisation. Mais les forêts naturelles diminuent et les plantations ne se développent pas assez rapidement pour éviter la raréfaction imminente de l’offre. Les forêts proposent également l’avantage d’une grande valeur optionnelle environnementale en tant que puits de carbone et source de biocarburants.

Dans la mythologie grecque, le roi Midas était connu pour le pouvoir que lui avait conféré Dionysos - dieu du vin et capable de libérer les hommes d’eux-mêmes - lui permettant de transformer tout ce qu’il touchait en or. Selon la légende, lorsque le roi Midas mit son nouveau pouvoir à l’œuvre pour la première fois, il en crut à peine ses yeux… une brindille de chêne fraîchement coupée se transforma instantanément en or entre ses mains. Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les branches de chêne, mais toutes les forêts et le bois, ce matériau qui est une des bases même de notre civilisation, qui pourraient à nouveau se transformer en or. Les exploitations forestières recèlent en effet de plus en plus de valeur aux yeux des investisseurs. Et ce regain d’intérêt puise sa source dans plusieurs origines. D’une part, la demande en bois de construction ou d’ameublement, d’emballage ou de papier va continuer à progresser régulièrement, en ligne avec le phénomène de mondialisation et de croissance de la population. D’autre part, les forêts naturelles disparaissent à un rythme alarmant, et même si les plantations forestières progressent, elles ne suffiront pas à satisfaire la demande, en constante augmentation. Dès lors, la raréfaction de l'offre va engendrer une augmentation de la valeur du bois.

Les moteurs de la demande

Dans les pays en développement, la croissance des dépenses en infrastructures et le dynamisme économique stimulent la demande mondiale pour le bois. Par ailleurs, l’augmentation des niveaux de vie et la poursuite du processus d’urbanisation font inévitablement croître la demande pour des produits sylvicoles transformés tels que le papier, les emballages ou les produits d’hygiène. A titre d’exemple, la consommation de papier par habitant de la ville de Shanghai a atteint 170 kg par personne par an, tandis que la moyenne nationale chinoise est encore inférieure à 50 kg - la consommation aux Etats-Unis avoisine quant à elle les 300 kg/habitant -. Dans ce contexte, il est peu surprenant que la Chine, dont les importations ont plus que triplé entre 1997 et 2005, soit devenue l’un des plus grands importateurs de bois au monde. Enfin, le bois fait l’objet d’un regain d’intérêt de la part des consommateurs des pays développés, qui l’utilisent comme matériau de construction en raison de sa performance supérieure sur les plans de l'efficacité énergétique, de sa polyvalence et de sa capacité élevée de recyclage par rapport aux matériaux tels que le béton, la brique ou bien encore l'acier.

Taux de déforestation: toujours élevés

La croissance de la population stimule non seulement la demande, mais elle affecte également l’offre, car cette augmentation se traduit par une progression de la déforestation et de la surexploitation. Cette déforestation se poursuit ainsi à un rythme annuel d’environ 13 millions d’hectares, soit l’équivalent environ de la surface de la Grèce. Au Brésil par exemple, le rythme net annuel de déforestation atteint plus de 3 millions d’hectares, soit l’équivalent de près de la moitié des pertes de forêts tropicales humides à travers le monde. Une superficie similaire de forêt est détruite chaque année en Indonésie, à mesure que les plantations de palmiers à huile progressent et que l’exploitation illégale persiste. A ce facteur s’ajoute une législation environnementale toujours plus stricte dans les régions tropicales notamment, qui restreint progressivement l’accès aux forêts primaires. En outre, les mesures politiques telles que l’introduction de barrières à l’exportation pour le bois et les différends commerciaux, devraient eux aussi contribuer à la raréfaction de l’offre et à la hausse des prix.

Ainsi, les plantations sont fréquemment avancées comme une solution idéale pour augmenter l’offre et pour proposer une réponse viable à la demande croissante. La Chine, par exemple, déploie des efforts particuliers en ce sens. Mais les plantations ont leurs propres limites, car les terres adaptées se font de plus en plus rares ou sont encore utilisées à d’autres fins, et particulièrement pour l’agriculture. Comme même les plantations à fort rendement et à croissance rapide requièrent plusieurs années pour arriver à maturité et nécessitent des investissements financiers importants, elles resteront malheureusement insuffisantes pour parer à la croissance de la consommation.

Le poids des facteurs environnementaux

Les énormes défis environnementaux qui nous attendent, notamment ceux liés au changement climatique, devraient également devenir des moteurs de valorisation du secteur. En effet, les forêts constituent d’énormes réservoirs de CO2 et contiennent même davantage de ce gaz que l’atmosphère terrestre. Le dernier sommet des Nations Unies sur le climat, qui s’est tenu à Bali à la fin de l’année 2007, a d’ailleurs envisagé d’accorder des crédits carbone pour éviter la déforestation au cours de la période postérieure au protocole de Kyoto, soit à partir de 2013. Les taux de déforestation actuels sont en effet responsables d’environ 20% des émissions de gaz à effet de serre. Le versement d’indemnités compensatoires sous la forme de crédits carbone pourrait ainsi être accordé aux propriétaires de surfaces forestières qui limiteraient la perte nette de forêt. En outre, comme le bois est une source d’énergie neutre en carbone, ses prix devraient bénéficier des politiques gouvernementales de réduction des émissions de CO2. A titre d’exemple, les sources d’énergie neutres en CO2 qui libèrent la même quantité de gaz lors de la combustion ou de la décomposition que celle absorbée lors de la croissance, comme le bois par exemple, seront de plus en plus soutenues par les gouvernements.

Ainsi, la Commission européenne a adopté fin 2005 un plan d’action dans le domaine de la biomasse, proposant des mesures qui pourraient plus que doubler l’utilisation de celle-ci au sein de l’Union européenne d’ici 2010. Les prix du bois devraient ainsi bénéficier de l’intérêt mondial porté au défi que constituent les changements climatiques. Les biocarburants à base de bois semblent même encore plus prometteurs. A la différence des biocarburants de première génération, qui sont à base de produits agricoles tels que le maïs, le colza ou la canne à sucre, les biocarburants dits de deuxième génération, issus de la cellulose par exemple, sont produits à partir de résidus végétaux non comestibles comme le bois, et ne sont donc pas - ou peu - controversés, car ils ne contribuent pas à la crise alimentaire.

Investir dans le bois

Traditionnellement, les investissements dans la classe d’actifs du bois se faisaient à travers le private equity, qui jusqu’ici a produit des performances attrayantes, couplées à une faible volatilité, et bénéficiant de surcroît d’une corrélation limitée avec les autres classes d’actifs, faisant ainsi d’un investissement dans le bois, sous la forme de private equity, une option idéale de diversification d’un portefeuille. Toutefois, investir directement dans ce secteur présente d’importants inconvénients. Les commissions de souscription minimales des produits de private equity sont généralement très élevées et les longues périodes de détention requises, généralement de 10 à 12 ans et parfois plus, apparaissent excessives pour la plupart des investisseurs, à l’exception des grands investisseurs institutionnels. Une alternative consiste à sélectionner prudemment des actions cotées en fonction de leur exposition aux ressources forestières, offrant ainsi la liquidité et la commodité d’un produit en actions classique, pour des profils de rendement similaires sur le long terme à ceux décrits ci-dessus. De nombreuses sociétés cotées du domaine des produits forestiers ne se contentent en effet pas seulement d’acquérir ou de gérer des exploitations forestières, mais intègrent souvent verticalement plusieurs activités à différents degrés. Un choix avisé de titres peut donc offrir une diversification à l’intérieur même du secteur et un potentiel de rendement tout au long de la chaîne de valeur sylvicole.

A la différence des exploitations forestières autonomes qui ont récemment attiré de nombreux capitaux émanant d’investisseurs institutionnels et dont la valeur a sensiblement augmenté, les exploitations détenues par des sociétés du secteur cotées en bourse présentent souvent une décote. En outre, la valeur sous-jacente du bois semble être plus résistante aux ralentissements mondiaux, ce qui constitue un avantage certain dans des contextes de marché difficiles. A noter également que le bois a toujours été corrélé positivement avec l’inflation, une caractéristique qui offre aux investisseurs une protection naturelle contre la hausse des prix à la consommation. Si le bois a encore du chemin à parcourir pour rattraper l’or, il présente toutes les caractéristiques d’une ressource stratégique clé du XXIe siècle, voire au-delà. Les investisseurs disposent donc aujourd’hui d’une opportunité en or, à l’image du roi Midas, qui eut juste à tendre la main pour saisir cette fameuse brindille de chêne…

Christoph Butz
Ingénieur forestier EPFZ
Certified International Investment Analyst (CIIA)
Pictet Asset Management

Gabriel Micheli
Economiste HSG
Investment Manager
Pictet Asset Management

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